Zoom sur
Le No Logo, un festival pour les festivaliers

Le festival qui résiste encore et toujours à l'envahisseur fête cette année sa 5ème édition à Fraisans dans le Jura du 10 au 12 août en compagnie de Julian Marley, Groundation, The Wailers, Biga Ranx, Protoje et Calypso Rose. Zoom sur le No Logo, un festival pour les festivaliers. 

"C'est vous qui décidez", ce slogan, le No Logo l'affiche fièrement depuis sa création en 2013 dans les Forges de Fraisans. Une petite cinquantaine de jours plus tard, le nouveau-né sort de terre afin de proposer un événement aux influences reggae, mais surtout totalement indépendant. Un festival régi par le billet du festivalier, sans sponsors, ni subventions publiques. Désormais, ce sont 14 000 joyeux lurons qui viennent fêter l'été dans les enceintes du festival. Ethique et éclectique, le No Logo propose, en plus de sa programmation pointue, une expérience sociale gorgée de valeurs à travers l'environnement, la valorisation du circuit-court, la consommation locale ainsi qu'une ouverture au dialogue social au cours de projections documentaires traitant de sujets sociétaux, sur l'appui d'intervenants qualifiés. Un projet ambitieux porté par son directeur Florent Sanseigne. Rencontre.  

Qu'est-ce que ça représente pour vous d'être un festival indépendant, d'être un festival pour les festivaliers ?

L’idée c’est de pouvoir proposer une grande manifestation sans forcément dépendre du financement publique ou des sponsors comme le mécénat qui, souvent, ne sont pas en rapport avec la culture, à l’image d’une banque. Aujourd’hui, des festivals que l’on retrouve dans les pays nordiques par exemple sont gérés par des fonds d’investissement, il n’y a plus trop de notion sociale et d’accessibilité, ces événements sont presque réservés à des « CSP+ » avec une politique tarifaire importante. Notre volonté au No Logo c’est de privilégier cet accès à la culture et si on laisse se privatiser complètement les choses, on risque de tuer l’exception culturelle française indirectement. De plus, on voit également que les « gros festivals » récupèrent le plus de subventions publiques, je n’ai rien contre ces manifestations importantes, ni contre ces subventions. Mais quand tu réunis 15 à 20 000 personnes par jour, ça devient une « machine à fric », ce n’est pas péjoratif, mais si tu gères l’hébergement, la restauration et la billetterie, ça amène de l’argent. On se rend compte que ce sont les plus gros qui en ont le plus, et quand des festivals émergents veulent se lancer et qu’ils demandent des subventions, ils ont du mal. Alors quand certains festivals expliquent que les subventions publiques se raréfient et qu’elles représentent 10 à 12% de leur budget, ce pourcentage représente quand même plus de 100 000 euros, combien de festivals pourraient entreprendre avec cette somme ? Ce serait intéressant d’en laisser un peu aux plus petits, de reverser cet argent à des jeunes qui ont envie d’entreprendre et de se lancer avec des idées novatrices. Plus il y’a d’événements, mieux c’est.

"L'idée c'est de montrer que l'on peut faire de grandes choses sans dépendre d'acteurs externes"

Sans pouvoir profiter du schéma financier classique que l’on peut retrouver dans un festival comme les sponsors, les subventions, quels sont les moyens de financement utilisés pour le No Logo ?

Les entrées ! *rires*, mais aussi les bars, les espaces de vente et de location, un peu de merchandising et puis c’est tout. Grâce à ça, on arrive à financer un budget d’environ un million d’euros. C’est une utopie. L’idée c’est de voir le festivalier comme acteur de l’événement et non pas comme un consommateur. Aujourd’hui les bières, la billetterie… Tout est cher, nous souhaitons donc que ce soit le festivalier qui décide de comment il veut faire évoluer le No Logo à court ou moyen long terme. Nous travaillons donc sur des enquêtes sur la programmation, le taux de satisfaction et les points à améliorer dans le but de proposer un festival adapté aux festivaliers et non aux intérêts de l’organisateur ou des lobbys qu’il y’a derrière. D’un point de vue plus politique, l’idée c’est de montrer que nous pouvons faire de grandes choses sans dépendre d’acteurs externes. Ce pouvoir de décision pour changer les choses, nous l’avons.

Est-ce que vous avez des activités externes qui vous permettent de faire vivre le festival ?

Justement, c’est très précaire. Le No Logo ne génère quasiment aucun bénéfice, on arrive à équilibrer. Ici tout le monde est rémunéré, donc tous ces CDD réunis ça correspond entre 8 et 10 emplois à l’année entre régime général et régime intermittent.

Pourquoi ne pas faire appel à des bénévoles comme la majorité des festivals ?

C’est pour partager le gâteau, c’est de proposer un festival où l’on peut tous gagner un peu d’argent, qu’un événement culturel peut développer économiquement un festival, qu’il peut créer de l’emploi dans une région. On ne gagne pas énormément, mais au moins on gagne tous un petit peu.

Effectivement cette dimension locale est très importante pour le No Logo, notamment car vous êtes dans une démarche de circuit-court, pour autant vous ne travaillez pas avec des partenaires spécifiques ?

On essaye d’avoir cette volonté de développement locale. Au niveau des boissons et des bars, on travaille avec un brasseur du coin qui est « Rouget de Lisle », alors ce n’est pas non plus le petit brasseur indépendant, au vu de la consommation du festival, nous avons besoin d’une quantité importante de bières. Mais en général on va toujours essayer de chercher autour du festival pour trouver ce dont nous avons besoin. Vu que nous sommes dans une logique de non-sponsoring, on souhaite remettre le festivalier en lien avec l’artiste, de proposer un lieu sans aucun visuel publicitaire. Ca permet de se sentir mieux et de favoriser cette proximité pour le public sans avoir toutes ces publicités grandeur nature qui sautent aux yeux. Néanmoins il y’a des exceptions, par exemple pour la billetterie, nous travaillons avec Weezevent, ce qui n’a rien de local mais ils ont une démarche intéressante. Donc nous ne faisons pas tout bien, mais nous essayons de proposer un festival au plus près des prestataires. Personnellement, je suis de la Franche-Comté, donc ça me rend fier car je sais que je n’ai pas besoin d’aller chercher ailleurs, il y’a plein de richesse et des équipes compétentes tout autour de nous. Nous ne sommes pas donneurs de leçons, mais nous essayons de faire au mieux en se prenant un peu la tête. Néanmoins, nous ne sommes pas du tout contre les subventions publiques et les bénévoles, de nombreux festivals proposent de belles choses avec ce schéma là.

"Une ambiance de bien être, de convivialité et d'échange"

Est-ce que vous avez des retours de la part du public vis-à-vis de cette proximité que vous créez au sein du No Logo ?

Il y’a une ambiance qui se crée qui est un peu spéciale. Les gens nous font des retours en nous disant qu’ils voient ça nulle part ailleurs. On retrouve une ambiance de bien être, de convivialité et d’échange. Cette particularité, tu ne peux pas la choisir, ce sont les festivaliers qui le font. Après nous faisons très attention aux enquêtes que nous proposons à notre public, et sur les dernières éditions, nous avons remarqué que ce qui déclenchait l’achat d’un billet, c’était le prix. De plus en plus, on retrouve aussi des personnes qui passent leur week-end au No Logo afin d’adhérer au projet, de montrer que l’on peut faire les choses localement avec une prise de conscience économique et environnementale. Maintenant cette situation reste précaire, tout peut s’arrêter d’une année à l’autre.

Au delà de l’indépendance du côté éthique, le No Logo propose un véritable engagement auprès de son public à travers l’environnement mais aussi avec des projections documentaires sur des thèmes qui vous sont cher, cette dimension sociale du festival est importante pour vous ?

Elle est super importante ! Je crois que les jeunes en ont plus rien à faire, je sais pas si je me fais vieux, mais je trouve qu’il y’a plus de fatalisme et d’individualisme dans nos sociétés aujourd’hui. Donc oui, c’est important pour nous de faire ça. Tout ce qui se passe autour des migrants me révolte, encore récemment un bateau d’une centaine des migrants a été refusé en Italie, on va donc vraiment axer un de nos documentaires sur ce qui se passe en ce moment afin de sensibiliser les jeunes du No Logo. Je ne fais pas de la politique, mais la suite me fait peur.

C’est donc important pour vous de montrer à travers le No Logo qu’un festival n’est pas seulement un lieu de fête ?

Heureusement que ça reste un lieu de fête, mais si en plus on peut amener un peu de valeurs là dedans, oui ça me parle. On reste A-politique mais on prône une prise de conscience. Que ce soit la nourriture, la dimension sociale, la géo-politique… Au No Logo, on veut créer du dialogue, du débat avec des intervenants afin de faire évoluer les consciences, sans pour autant être moralisateur.

Pour conclure, comment imaginez-vous le futur du No Logo ?

Je suis tellement stressé, je dors tellement peu ! *rires*, c’est surtout le problème, jamais prendre de la hauteur, viser à long terme… Mais c’est une situation précaire donc c’est assez difficile à vivre car je n’ai pas envie que ce festival meure, et si un jour c’est le cas, il faudra l'accepter. Le slogan du No Logo rime avec « c’est vous qui décidez » donc ça dépend du festivalier. Après c’est sûr que j’aimerai bien m’imaginer un peu plus de rentabilité, sans que ce soit péjoratif, mais ça nous permettrait de viser sur le moyen-long terme pour pouvoir faire de grandes choses. C’est ce que j’ai tenté de faire cette année en essayant de déléguer et de voir plus loin, maintenant nous ne sommes pas assez et on travaille sur ce projet avec tellement d’acharnement que c’est au jour le jour. Dans 10 ans j’aimerai qu’on soit encore là, que le prix ait encore diminué parce qu’il y’aura plus de monde, que les gens viennent partager ces valeurs et qu’ils viennent faire la fête tous ensemble. Montrer que l’on peut faire de grandes choses simplement en remettant le côté humain au centre.

Le No Logo Festival, du 10 au 12 août à Fraisans (39). Pass 3 jours : 57 euros.

Retrouvez plus d'informations sur le site du No Logo Festival ou sur la page Facebook de l'événement. 

Crédit photo : No Logo, Mesh Photography, JC Polien