On était à
We Love Green 2022, ou plutôt We Love Rain ?

Après deux ans, le festival parisien qui aime le vert est de retour dans le Bois de Vincennes avec une programmation riche de concerts et de conférences sur 3 soirs et 2 journée. Les bracelets cashless remboursables, les écocups qui transforment les consignes en plants de fraises, les points d’eau de la ville de Paris, l’orage et les chaussures trop chères ruinées des influenceurs, on vous raconte tout ici de notre expérience pour le moins mouvementée du weekend de la Pentecôte à We Love Green.

Jeudi 2 juin. 19h10, chaleur d’un soir d’été festivalier

Les habitudes de festival nous avaient manquées. La marche de procession dans le bois pour accéder au site, le passage à l’entrée pour obtenir le fameux bracelet cashless, la musique qui résonne déjà un peu partout sur ce grand site qui ce soir accueille 25 000 festivaliers (jauge réduite pour la soirée) sans parler des stands de nourriture à perte de vue qui nous font déjà saliver. Le temps de mettre de l’argent sur nos bracelets en passant par le site internet du festival et nous voilà partis dans le grand bain ! 

Les stands sont ceux de restaurants parisiens, il y en a pour tous les goûts (cuisines mexicaine, africaine, du Moyen-Orient ou de l’Asie). Nous jetons notre dévolu sur un mafé végétarien du Rio dos Camaros, un restaurant familial de Montreuil dont l'équipe nous accueille avec un immense sourire. Ça fait chaud au cœur de voir les restaurateurs locaux.

Le festival a de nombreux stands de partenaires en tous genre plus où moins “éco-responsables” en réalité : Mini Cooper, Lavazza, Heineken, Uber ou encore Back Market, présentent tous une image de “durabilité” liée à leurs activités économiques. On a quand même du mal à faire le lien avec les préconisations du dernier rapport du GIEC, surtout quand on voit un festivalier repartir avec un téléphone acheté sur le stand.

19h50, “J’aime beaucoup c’que tu proposes”

Le soleil est au rendez-vous ce soir. Les festivaliers fraîchement sortis des bureaux sont dans une ambiance d’after work joyeuse. On comprend vite que beaucoup sont surtout là pour le show final de Gorillaz. Enfin…. pas tous ces très jeunes en basket-chaussettes-casquette qui courent pour ne pas rater le show du rappeur survolté Ziak à la Clairière (photo). Nous, on commence le concert avec le mafé sur les genoux, un verre de blanc dans la main, et dans l’herbe encore bien verte. On se retrouve rapidement pris dans l’engrenage de la drill. Le beat est puissant, le flow maîtrisé et les paroles très “gang”. Ziak impressionne, découvert il y a tout juste 2 ans sur YouTube, il reste anonyme sur scène, son visage caché par un bandana noir et blanc. On aime beaucoup les petits passages d’afro trap qui enflamment le public en formation pour un pogo énervé.

On passe devant le début du concert de La Fève sur la scène de la Canopée. Mais l’autotune après Ziak, c’est difficile d’adhérer. Rendez-vous alors devant les stands du Chef Lab, des cuisiniers semi-gastronomiques parisiens à la mode qui proposent des plats un peu plus élaborés pour le festival : comme la crêpe vonnassienne à la crème de chaource et pulpe de cresson d’Adrien Cachot. Ce n’est pas très différent niveau tarif mais les quantités sont clairement moindres. Affamés en recherche de gras et de glucides s’abstenir.

21h45, décollage pour “Feel Good Inc.”

On arrive tôt pour se trouver une place pas trop lointaine devant la grande scène de la Prairie où se produisent les artistes les plus attendus du festival. Nous ne sommes pas les seuls à être en avance pour espérer apercevoir la légende anglaise Damon Albarn et sa formation qui semble dépasser les 15 personnes (dont 5 choristes et une ribambelle d’invités dont Fatoumata Diawara ou le rappeur Posdnuos). Le concert de Gorillaz (photo) nous fait entrer dans une nouvelle dimension à la fois visuelle et sonore. Aucun temps mort pendant plus de 1h45 alors que s’enchaînent les titres les plus emblématiques du groupe (du premier album en 2001 au plus récent en 2020). Sur les écrans derrière les musiciens et de chaque côté de la scène c’est un savant mélange entre vidéos et clips animés des personnages imaginés par Jamie Hewlett superposés aux images en temps réel du concert. C’est un spectacle complet et magistralement orchestré par Albarn qui jongle entre son mélodica, sa guitare et les bains de foule avec les spectateurs du premier rang. Le tout en peignoir rose fluo et lunettes de soleil orange.

Nous ne sommes plus tout à fait les mêmes quand nous quittons tranquillement le Bois de Vincennes. Au loin, le son electro de Moderat, nous frustre un peu. Nous qui devons reprendre la semaine demain et qui avons fait le choix de partir avant la fin de la fête...

Samedi 4 juin. 15h, “ Risques d’orages”

On aborde la journée du samedi avec plus de curiosité que de certitudes en regardant la programmation du jour. Mis à part Phoenix, Myd et Floating Points, le programme de la soirée n’est pas encore arrêté, et on se prend à flâner entre les différentes scènes. La “Prairie” est la plus grande des cinq, la “Clairière” est abritée sous un grand chapiteau et accueille la plupart des groupes de rap programmés, ainsi que de l’électro et un peu de variété, la “Canopée” fait face à cette dernière et permet de faire alterner les concerts de l’une à l’autre, “Lalaland”, à l’entrée du site et également couverte, propose des DJ-sets quasiment ininterrompus, et le “Think-Tank” abrite les discussions sur l’environnement et le climat. Aujourd’hui, les festivaliers attendus sont beaucoup plus nombreux: 40 000 personnes pour une ambiance nettement différente du jeudi: c’est le weekend, ce veut faire la fête.

Notre premier arrêt se fait devant Amaarae qui joue à la Prairie, et les grands écrans qui diffusent le concert en gros plan sur les bords de scène annoncent des risques d’orage dans la soirée. Le staff assure qu’ils nous tiendra au courant de l’évolution des événements en fonction de la météo.

16h, premier gros couac

Nos pas nous mènent aux abords de la Canopée, où la jeune chanteuse Elia (photo) devait se produire. Et pourtant, une demie heure après l’heure annoncée du début du concert, les réglages de la sono ne sont toujours pas terminés. La chanteuse finit par monter sur scène accompagnée par un batteur et une bande-son. Les problèmes techniques persistent et elle finit par sortir de scène sans même finir son second morceau. Une personne du staff nous annonce alors que la technique ne permet pas de continuer le concert.

On tourne les talons vers les stands de cuisine pour un petit en-cas, tandis que Lous and the Yakuzas s’installent sous le chapiteau de la Clairière. Après avoir fait le tour des différentes offres, nous jetons notre dévolu sur un fish & chips de chez Mersea que l’on part déguster en se dirigeant vers la scène couverte Lalaland.

17h10, des boules à facettes en pleine tempête

Qui aurait cru que ce serait notre dernier concert/set du samedi ? Nous ne le savons pas non plus quand nous pénétrons dans l’antre de Lalaland qui ressemble à un ball room pour teufeur en after. C’est LA scène électro du festival avec comme première grande tête d’affiche le dj anglais Floating Points (photo) qui nous a plus habitué récemment à un style d'électro ambiant mais qui, aujourd’hui, a prévu de nous secouer un peu les poils. Ça marche très bien, l’enfant de Manchester est un habitué de festivals et est parfaitement adapté à une fin d’après-midi.

Un peu avant la fin du set nous nous éclipsons pour nous recharger en boisson et tester un panini au manioc et à la truffe d’été sur l’un des stands du Chef Lab. C’est là que notre journée de concerts s’arrête. Sous un pauvre parasol. Clairement le festival n’a pas prévu la pluie et peu d’espaces de restauration sont couverts. Nous sommes une vingtaine les uns sur les autres, pour beaucoup debout, à attendre que la pluie cesse. Mais nous nous rendons vite à l’évidence. L’orage qui gronde et les énormes éclairs ne sont pas prêts de s’arrêter. De nombreuses personnes ne sont pas équipés et c’est la débandade totale. Certains s’abritent sous des tables montées les unes sur les autres. Au loin, on voit le public tout excité du concert de SCH sous le chapiteau de la Clairière. Le dernier à avoir lieu, au sec. Mais on n’envie pas les spectateurs pour autant. Une bonne partie a cherché à échapper à la pluie en s’entassant le long des barrières. 

19h15, Circulez, il n’y a rien à voir

On croit encore possible de voir Myd sur la scène de la Canopée, même si, vu les problèmes techniques rencontrés plus tôt et le fait que la scène n’est pas couverte, on a du mal à être positifs. Nous apprenons par des agents de sécurité du festival que tous les concerts sont annulés et qu’il faut se diriger vers la sortie. (photo 7) C’est la cohue. Heureusement une accalmie nous permet enfin de sortir de sous notre parasol mais l’entrée du site a été partiellement inondée et le retour au garage à vélo (où nous avons laissé nos montures) va s’avérer être un parcours du combattant. Ceux qui espéraient encore épargner leurs belles baskets toutes neuves et lustrées pour pavaner sont dégoûtés à ce stade. Très rapidement on apprend que c’est la Préfecture qui a demandé la fermeture du parc et l’annulation des concerts suite aux violents orages annoncés. Ironie du sort, notre retour se fait sans pluie et nous finissons la soirée à la maison sans avoir vu aucune des têtes d’affiches: Clara Luciani, Caribou, Phoenix, Laylow ou encore Charlotte Adigéry.

Dimanche 5 juin. 14h45, retour sur la paille

On a essayé d’arriver tôt ce dimanche. Mais après la débâcle de la veille, on a du mal à être motivés par la journée qui s’annonce très pluvieuse. Les organisateurs du festival ont annoncé qu’ils allaient rembourser les billets du samedi. On les voyait mal faire autrement vu l’heure et les conditions de l’évacuation de la veille amplement relayés sur les réseaux sociaux. Sur le fil Twitter du festival il est recommandé de venir “équipé”, mais on nous assure qu’aujourd’hui c’est la bonne, pas de concerts annulés, promis. 

Nous arrivons à point nommé pour le début du concert d’Ibeyi sous le chapiteau de la Clairière (photo). Rien à dire sur les lumières et la qualité du son, les deux chanteuses sont des habituées du We Love Green et le concert est bien ficelé.

Le site a partiellement séché et les zones les plus boueuses ont été recouvertes de paille. Quelques tentes ont été rajoutées dans les espaces où il y a des stands de restauration (enfin !). Mais, surtout, les festivaliers ont retenu la leçon. Aujourd’hui, c’est bottes, k-way et parapluie. Fini le style Coachella et Californie sous le soleil.

15h30, “I smell greeeeen”

Notre petite surprise de l'après-midi c’est la londonienne Greentea Peng à la Prairie, enceinte jusqu’au yeux, tous tatouages dehors, qui nous propose un programme de néo-soul sous perfusion de Marijuana. Elle nous porte chance, le soleil brille tout le long du concert et nous profitons du climat ambiant pour nous allonger dans l’herbe sèche plutôt préservée des manques d’excès de la veille. C’est en plein milieu du concert qu’elle s’exclame “I smell green, guys, we LOVE green”. Nous nous demandons si c’est elle qui a mal compris le concept du festival ou si c’est nous qui ne sommes pas au clair avec le festival qui aime le vert. D’ailleurs c’est peut-être justement le moment de faire un saut aux conférences organisées autour des questions climatiques, histoire de se rassurer sur le nom du festival. 

Dans le chapiteau Think Thank c’est un ancien ministre de l’écologie du Sénégal, Haïdar El Ali, (photo) qui nous conte de façon romanesque ses déboires avec les pêcheurs de son pays, ou encore son action pour la “Muraille verte”, vaste projet encore à l’état embryonnaire pour végétaliser les pays d’Afrique de l’Ouest. On découvre avec amertume que Salomé Saqué et Paloma Moritz (intervenantes à notre goût bien plus pertinentes sur le thème de l’écologie que les noms mis en avant) étaient là un peu plus tôt, sans que leurs noms n’apparaissent sur la timetable générale.

17h30, Douceur anglaise sous la pluie

Un dilemme de la programmation s’offre à nous, et il va nous falloir trancher : entre le brit rock de Wet Leg et le groove poétique londonien d’Arlo Parks, notre cœur balance. C’est la dernière qui aura finalement notre préférence, et on ne le regrettera pas. La jeune chanteuse nous salue dans un français parfait qui lui vient de sa mère, tout en s’excusant de fautes qu’elle ne commettra pas, se sentant trop peu habituée à parler notre langue (photo 10). Entourée de quatre musiciens très efficaces, elle nous offre un show à la fois d’une grande douceur et au groove communicatif. La pluie se présente à nouveau sur le festival, mais cette fois, tout le monde est prêt. En un tournemain, la foule se pare d’imperméables et de parapluies pour continuer à danser. Voyant la difficulté qu’ils ont à troubler la fête, les cieux se ravisent rapidement et le soleil reparaît. Le sol se retrouve toutefois à nouveau bien humide et la poussière du premier jour se transforme rapidement en boue.

Après cet agréable moment, la faim se fait sentir, et nous repartons en quête de nourriture. Un kebab de chez Özlem, des accras de légumes de chez Presqu’île et un bao de la Bao Family nous régalent.

20h30, l’heure de la communion musclée

La foule commence à se former sous le chapiteau de la Clairière, en amont du concert de Bicep. On s’y mêle rapidement, en espérant pouvoir profiter d’une place non loin du duo d’électro from Belfast (photo). Dès les premières notes, le ton est donné : le son ciselé des synthés et les boîtes à rythmes énervées nous soulèvent dans une danse effrénée. Nous ne sommes pas les seuls, tout autour de nous ça se balance au rythme entêtant des kicks et des snares, certains ont carrément les larmes aux yeux, en pleine béatitude musicale. On sort du chapiteau comme encore pris dans un songe, et il nous faut quelques instants pour reprendre nos esprits.

21h50, pérégrinations crépusculaires

La “Green Room” de Heineken est une sorte de bar de plage surexcité, que nos errances sur le site du festival nous ont donné à voir et à entendre plusieurs fois : le samedi quand tout le reste du festival cherchait à s’abriter de la pluie et que Funkytown y résonnait de façon cocasse, ou encore avec un notable “il est 15h10 et on écoute Johnny Halliday !” tonitruant le dimanche. On passe donc y jeter un œil et une oreille pour assister, le regard amusé, à cette sorte de contre-soirée permanente. Pour danser, il faut dire qu'il n'y a pas mieux. 

Quelques poignées de minutes plus tard, le concert de PNL se met en place, et la foule s’étend sur une grande partie de l’espace en face de la Prairie (photo). Nous ne nous trouvons pas le courage de jouer des coudes pour aller écouter Au DD au plus près, donc nous profitons distraitement des premiers morceaux du concert à distance.

22h30, boum boum et bling bling 

Après un ultime détour aux stands de cuisine pour arracher le dernier mafé du stand, on s’installe à bonne distance du concert d’Ascendant Vierge, dont les échos nous font penser à ce qu’on pouvait certainement entendre lors de l'édition de l’Eurovision. Ils ont l’air de bien se marrer, mais l’énergie nous manque pour s’y mêler. Une petite pause s’impose avant le dernier set.

La boue a maintenant recouvert la plupart des espaces découverts du festival. (photo) On l’évite tant bien que mal pour se rendre au DJ-set de Tale of Us. Les festivaliers profitent du fait que le lendemain est férié pour poursuivre la fête jusqu’au cœur de la nuit, éclairés par les lasers et les boules à facette du Lalaland. Le duo de DJs italien semble avoir invité quelques-uns de leurs copains sur scène, une bonne dizaine de personnes se tiennent derrière les platines. On danse avec eux pendant une bonne heure avant de finalement déclarer que nous avons eu notre compte de décibels pour le week end.

Le bilan

Côté concerts

L’électro nord-irlandais, c’est le coucher de soleil après la pluie
Bicep, ça flashe partout et on en a plein les mirettes

Le retour du maître chanteur Damon Albarn
Gorillaz, parce que le public était beaucoup trop chaud et le show clairement au-dessus du game

La voix douce et les mélodies délicates sous la pluie
Arlo Parks, la timide et parfaitement bilingue britannique

Côté festival 

On a aimé : 

- Les plants de fraises contre les consignes
- L'eau fraîche et gratuite de la Mairie de Paris en accès libre partout
- Les "gens de la Green Room" s'ambiançant sans condition sous la pluie, sur du Johnny comme sur du dancehall, à midi comme à minuit. Respect.
- Les restaurateurs adorables, vraiment.
- Les festivaliers, discrets, pas les plus dynamiques mais franchement tous adorables et souriants. C’est quand même important de le souligner. OUI, les Parisiens sont des gentils.

On a moins aimé :

- Le manque d’espaces couverts (notamment pour manger en cas de pluie annoncée)
- Le peu de salles couvertes suffisamment grandes
- Les gros couacs sons et retards sur la scène de la Canopée
- La gestion de l’orage et notamment les inondations spectaculaires à la sortie
- La com’ douteuse sur les conférences du “Think-Tank”

Infos pratiques 

Prix des boissons : 5 euros le petit verre de vin / à partir de 7 euros la pinte de bière Heineken ou Gallia (plus local) avec une consigne de 1 euro 50

Prix de la nourriture : comptez entre 10 et 15 euros pour un plat qui cale (burger ou falafel, mafé ou bao)

Prix du festival : plus de 55 euros la journée / 99€ les deux jours

Transports : Métro ligne 1 Château de Vincennes / Garage à vélo à l’entrée du festival dans le Parc floral du Bois de Vincennes.

Conclusion

Un festival clairement en demi-teinte. Si l’organisation n’est pas responsable de l’annulation de la soirée du samedi (ordonnée par la préfecture pour des raisons de sécurité publique), l’amateurisme avec lequel le concert d’Elia a été préparé nous a laissés songeurs. Il semblerait également que la conscience écolo ne soit réservée qu’aux plus aisés d'entre nous, au vu des prix pratiqués sur le festival (la myriade de sponsors plus ou moins we love green-washés aurait pourtant pu aider un minimum). Mais on ne va tout de même pas bouder notre plaisir d’avoir pu assister à de superbes concerts.

Rédaction et photographies : Fanny Salmon et Georges Ledoux Lanvin