On était à
Tsugi Maison Festival, est-ce que vous êtes (au) chaud ?!

On en avait rêvé, ils l’ont fait : un festival sans ticket d’entrée, sans vigile sur-baraqué, et sans navette blindée. Alors que l’épidémie grippe nos rendez-vous musicaux de l’été, le Tsugi Maison Festival a sorti la meilleure des ordonnances pour soigner notre blues : un DJ set live deux fois par jour, à renouveler à volonté. Annoncé sans date de fin, le festival étoffe son line up chaque jour et promet de balancer du son jusqu’à ce que dancefloor s’ensuive. De quoi apporter un peu de douceur dans un monde de doutes. 

Lundi 14h50, tu viens au festival ? c’est sur internet.

Comment se rend-t-on à un festival qui se passe sur internet ? Accompagné bien-sûr. Sauf que la veille, on a bien tenté de rameuter les troupes, mais sans la promesse de partager des nuits d’ivresse, des galères dans la file du bar et des insomnies de camping, l’emballement reste tiède. Et puis il y a l’heure : le 15h-16h quotidien élimine d’entrée les (télé)travailleurs. Le Tsugi Maison Festival serait-il un rendez-vous de freelances et de chômeurs ? 

15h10, in the Maud for dance

Pour Maud Geffray (photo) aussi c’est une première. « Là c’est parti… a priori. Putain alors voilà c’est une expérience, la scène est un peu ridicule » dit-elle dans son gros micro branché pour l’occasion. « Circonstances étranges, on va faire un DJ set stream de chez moi, j’ai jamais fait ça ». Après quelques rapides réglages techniques, elle ouvre le festival en direct depuis son salon avec un remix épique du groupe de trance vocal néerlandais 4 Strings. Coïncidence ou pas, les paroles résonnent tout particulièrement dans ce contexte de confinement : « Take me away, A million miles away from here, Take me away, Find a place for you and me ». En quelques minutes, 500 confinés répondent à son appel et rejoignent le live. Le son voyage impeccablement de ses platines Pioneer jusqu’à nos enceintes et transforme notre lundi 15h en un vendredi 3h du mat. « C'est très bizarre et très kiffant » avoue-t-elle à la moitié du set. « Mettez des cœurs » demande-t-elle, version numérique du « est-ce que vous êtes chaaauds ? ». À défaut de s'époumoner, on lâche des likes sur le live. Nos cordes vocales nous disent merci. 

Mardi 15h, Louisahhh la mère tape-dur

Même lieu même heure, le mardi rattaque très fort avec un set dangereux de Louisahhh (photo), la punk de la techno. Sans intro mais avec un petit sourire face-cam, elle chausse son casque et lâche les chevaux. Ses sons sont aussi brûlants que l’ordi qui surchauffe sur nos genoux. Dans les commentaires du live sur la page Facebook, des festivaliers versent des larmes par emoji interposés : ils ont réu à 15h et sont obligés de passer leur tour. Chez nous aussi, réunion du coworker oblige, le set se passe au casque. L’occasion de réaliser qu’on a rarement aussi bien vu l’instal' d’un artiste lors d’un DJ set. Jamais aussi bien profité non plus des remarqes du public : dans les commentaires, Caro lance à Alex « Louisahhh qui balance le pâté à 15h au milieu de la sieste en fut’ d'équitation. Fallait voir ça une fois dans sa vie. Best artist ever ». Eh bien, best critique de festival aussi.  

Mercredi 15h, jam session colossale 

Mercredi, le Tsugi Maison Festival prend quelques libertés et balance à 15h… un replay. Mais pas le temps d’être déçu, notre attention est aussitôt attirée par un set up colossal façon vaisseau spatial éclairé dans la pénombre d’une lumière pourpre. Aux manettes de cette jam session enregistrée la semaine dernière : le suédois Peder Mannerfelt (photo) - collaborateur de Fever Ray ou remixeur de Massive Attack - accompagné d’un ami. Pendant la demi-heure de montée en puissance du live, on découvre le bien-nommé synthé modulaire analogique Colossus sous toutes ses coutures grâce à la cam mobile qui couvre le live.  La seconde partie du live est un petit bijou musical qu’on garde bien au chaud de notre navigateur pour pouvoir le réécouter à l’envie lors des longues journées de confinement. 

Vendredi 21h, party multi-joueurs

Weekend oblige, les lives de vendredi et samedi sont décalés à 21h, nous annonce-t-on sur la page Facebook de Tsugi. Après avoir séché le set de la veille - encore un replay, et cette fois sans vidéo - on revient dans la place vendredi inquiets de savoir à quelle sauce on va être mixés. Prouesse du soir bonsoir : aujourd’hui c’est mi-live mi-replay. Sur le son d’un mix enregistré quelques jours auparavant, le jeune loup de la scène électro française Jon Beige (photo) a décidé de partager en live… sa partie de Call Of Duty sur smartphone, tout en chattant avec le public via son logiciel de traitement de texte, en lançant des blind tests, et en tapant l’apéro avec son pote Rémy. Ce dernier, laissé aux manettes pendant la pause petit-coin du DJ (eh oui), partage avec nous ses pensées profondes : « je vous conseille fortement la pizza diavola de chez Carrefour, 5,90 euros seulement, super qualidad » tappe-t-il en mâchant. Heureusement, malgré trois bugs successifs obligeant le live à se relancer, le contenu du mix est lui aussi d’une très grande qualidad. 

Samedi 15h20, sieste, set and sun

Depuis quelques jours, on a pris l’habitude de recevoir les notifs annonçant les lives du Tsugi Maison Festival à un rythme de plus en plus erratique. Il est 15h20 lorsqu'on découvre le live impromptu de Joseph Schiano di Lombo (photo). Dans le post du live, on apprend que c’est à lui que l’on doit la naissance du festival : après la découverte par les équipes de Tsugi de cet artiste confiné qui se filme tous les jours en train de jouer du piano, un premier contact est lancé et le festival est né. Dans son appartement arboré, l’artiste nous pianote une berceuse ambient sur son Clavia Nord Stage rouge. On s’allonge et on se remercie d’avoir dégoté la bande-son idéale pour notre programme de l’après midi : la sieste. On est visiblement pas les seuls à ronronner : une festivalière nommée Marine déclare vivre sa « best sound bath life », et une autre réclame un massage. Wow, get a room! Ah non pardon, l’avantage d’un festival en ligne, c’est qu’on peut tous kiffer à notre manière sans gêner les autres… sauf peut-être nos propres voisins.  

Le bilan 

Côté concert 

Peder Mannerfelt, maestro pour le plaisir des yeux et des oreilles

Maud Geffray, meilleure ambianceuse de salon 

Jon Beige, Oscar du format de live le plus surprenant

Côté festival

On aime :

- S’inviter incognito dans le salon des plus grands DJ
- Pouvoir enfin s’assurer une place au premier rang
- Dancing comme si personne is watching
- Pouvoir mater le replay de nos lives préférés

On aime moins : 

- Ne pas savoir quel artiste va passer à quelle date : trop de suspens !
- Des horaires de passage qui s’ajoutent sans crier gare : d’abord 15h puis 21h puis 18h30
- Des lives qui n’en sont pas toujours (on te voit Tsugi !)
- La distanciation sociale entre festivaliers 

Infos pratiques

Prix des boissons :

Susceptible d’exploser si une pénurie fait passer la bière en marché noir. 

Prix du festival :

Tout dépend à combien vous évaluez la paix avec vos voisins. 

Transport :

Pour venir, empruntez ces bonnes vieilles autoroutes de l’internet et mettez votre fibre en mode turbo.

Conclusion

À l’image à notre société confinée, il manque au Tsugi Maison Festival le goût des autres. Ici, personne pour renverser sa bière sur vos pompes, pour headbanguer dans votre dos ou pour vous barrer la vue d’un drapeau breton. Et quelque part, ça manque. Heureusement, ce festival de salon compense ces manques en nous plongeant dans une boulimie musicale dont on peine à s’extraire. Il suffit de quelques jours pour devenir complètement accro à ces shots quotidiens de bons sons qui popent à tout moment dans notre emploi du temps. De quoi relativiser son isolation, en réalisant que l’on n’est jamais à plus de quelques heures d’un prochain live maison.