On était à
Levitation France, le psychédélisme à l'ère de la musique électronique

Cette année encore, le Levitation France a investi la salle du Quai située dans la commune d’Angers, pour un festival d’une rare puissance de frappe. Sa particularité : proposer une programmation moderne et cohérente dans le style de la musique psychédélique tout en sachant briser les frontières du genre. Et 2018 était sous le signe de la musique électronique.

Jour 1. 19h30, structure organique et champignons hallucinogènes 

C’est un peu malade que nous approchons du but, rue Cale de la Savatte à Angers. La gorge prise, les paupières lourdes et bouillonnantes, le nez en plein état de grâce, nous longeons doucement le canal qui borde la salle de concert Le Quai où se déroule le festival Levitation France pour sa 6e édition. Fin prêts à enfoncer les portes de ce festival en apparence modeste à raison de nos 10 paquets de Kleenex ultra doux, nous nous dépêchons d'arriver à destination, le festival ayant commencé depuis déjà plus de deux heures. Ça ne se bouscule pas à l'entrée, nous devons être une petite dizaine à faire la queue, il fait encore jour, des groupes de personnes boivent quelques bières avant de retourner à l'intérieur de cette grande enceinte de béton. Impatients, nous passions les barrières de sécurité au bout de seulement quelques minutes et entrons enfin dans les poumons de la salle du Quai. 

20h30, de la musique planante pour ouvrir (notre) bal

Pour nous, ça ouvre le bal, normal on vient de rater les deux premiers concerts de ce début de soirée, mais en tout cas c'est une belle mise en bouche. Toujours sur The Reverberation Appreciation Society, un des labels majeurs de la scène néo-psyché, le jeune quintet d'Holy Wave a bien grandi depuis son premier disque « Evil Hits » sorti en 2013. Et malgré nos quelques réserves, il semble que le groupe fasse le job pour amener tranquillement mais surement nous autre festivaliers dans le monde d'Alice aux pays des merveilles. Le public ondule tranquillement, et un jeune homme aux longues dreads commence un headbanging au ralenti. Nous sommes fascinées par ce slow motion version coupe de cheveux et commençons déjà à entrer en apesenteur sur la planète du Levitation. 

21h00, le bracelet cashless pour les plus négligent(e)s

Enivrées par la musique qui serpente tous les recoins de ce grand espace culturel, nous commençons à oublier mielleusement les symptômes de notre amie la grippe. Déambulant à travers des couloirs où se réverbèrent toutes sortes de lumières multicolores, la nuit est tombée et il est enfin temps de combattre le mal par le mal en commandant notre première bière. Munies d’une carte cashless tandis que d’autres ont le droit à des bracelets, nous nous demandons pourquoi ce traitement de faveur. Empoigné autour de sa main, la personne n’a qu'à donner son bras au barman pour qu'il le scanne et que la commande soit payée. Nous aurions préféré avoir ça, plutot que de se tromper à chaque passage en caisse entre la carte bleue, le permis et la cashless. 

21h30, Prettiest Eyes, tout droit sortis d'un asile de fous 

Loin des gros poissons des machines festivalières, le Levitation est organique et se suffit à lui-même. Ici, pas de stand de couronnes de fleurs, ni d’animations en tous genres; seule la musique est au coeur de toutes les préoccupations. Les concerts se chevauchent de quelques minutes à peine, ce qui laisse le temps de les voir quasiment tous du début à la fin. D’ailleurs, après le concert de Holy Wave, Prettiest Eyes arrive à point. Ovnis californiens dénichés par le chanteur des Thee Oh Sees, Monsieur John Daywer, Prettiest Eyes semblent déjà avoir tout compris. Alors que le chanteur à la voix criarde grimace tout en se défoulant à la batterie, le guitariste au chapeau de cow-boy déambule sur scène et le claviériste fou caché derrière un long rideau de cheveux est au bord de la syncope. Entre punk, garage et visuels effrénés, la musique de Prettiest Eyes est tachycardique, enragée, frénétique mais pleine d’élégance. Et c'est sans l'ombre d'un doute, notre plus grande claque de la soirée.

22h00, Louis XVI aussi prenait du LSD 

Nous décidons de faire une petite pause manger car l'énergie percutante de Prettiest Eyes nous a vraiment donné faim. Environ 6 stands de restauration sont proposés sur l’ensemble du site. Entre nourriture indienne, africaine et burger maison... le choix est assez varié mais nous optons pour la facilité avec un burger-frites au confit d'oignons sauce mayo-ketchup à 8€, copieux et très bon. Petit bémol en revanche sur la blonde, qui n'avait comme seul choix la Heinekein, et que nous trouvons particulièrement mauvaise. Il faudra peut etre penser à un peu plus de diversité pour l'année prochaine. ..

00:00, Brian Jonestown Massacre, le gang aux lunettes noires 

Le groupe tant attendu de la soirée débarque enfin sur la scène du Forum, scène principale du Levitation. L’un après l’autre, chaque membre s’installe devant son micro ou son instrument, regarde le public et sort de sa poche une paire de lunettes noires. Tout ça prend des airs de grand cérémonial.  Il est vrai que cette année le Levitation a misé sur pas mal de légendes et les Brian Jonestown Massacre en font partie. Vieux papas du shoegazing psychédélique, Anton Newcombe et ses homologues ont déjà fait leurs preuves et en ont dans la bouteille. Au crépuscule de leur gloire, rares étaient les fois où les membres du groupe ne se battaient pas sur scène, ou n'arretaient pas de jouer en plein set parcequ'un spectateur avait fait une mauvaise remarque. Mais quand même, nous sommes légèrement déçues pas la prestation de nos idoles, qui livrent un concert des plus communs, sans grand enthousiasme, comme s'il fallait simplement faire le taff. J.C Satan cloture la soirée, avec cette énergie de groupe qui ont encore tout a prouver, et même si on ne connait aucune des chansons, on préfère largement. 

Jour 2. 18h45, le sosie de Mick Jagger joue de la flûte traversière 

Pour ce deuxième et dernier jour de festival, nous arrivons un peu plus tôt pour le concert de Flamingods qui se tient dans la petite salle appelée T400. Le chanteur est habillé en gourou ringard des années 70, lunettes jaunies et coiffe orientale, qu’il modernise fraichement par une chemise large, un pantalon noir et des mocassins très frenchy. C’est surement la scène ou s’entremêlent le plus de micros, porte instruments, amplis et câble éclectriques. Nous distinguons ce qui ressemble étrangement à un luth, un clavier, des percussions, guitare, basse, batterie, flute traversière et le clone de Mick Jagger. Le groupe nous livre une musique transcendentale, où chaque membres est multi-instrumentiste. Ainsi, Mick Jagger 2.0 passe de la flûte aux percussions, le batteur transvase pour la guitare, la chanteur empoigne le luth, et ainsi de suite jusqu'à la fin du set. Nous ressortons de la salle conquises, une ardeur envahissante dans les tripes, et l’envie de boire pour nous enivrer encore... 

19h20, moment karaoké sur les paroles de l'outsider 

Il faut se rendre à l’évidence, la répartition des groupes pour cette 6e édition du Levitation, est en tout points parfaite et très bien étudiée. Après Flamingods, le coeur encore étourdi et qui lutte pour se stabiliser, la quiétude de Juniore tombe à pic. Et si sa musique sonne rock sixties, elle est efficace et nous fait tournoyer les jambes à la manière d’Elvis Presley, elle nous apaise aussi. Festivaliers et festivalières s’accrochent aux rambardes qui longent la scène et chantent à tue tête les nombreux « tubes » de la chanteuse : « A la plage » ou « Panique ». Infallible, Juniore est perchée derrière son clavier en plein milieu de la scène, à sa droite une jolie blonde joue de la batterie, et un homme masqué s'exécute à la guitare. Les deux jeunes femmes se font des sourirs complices, et l'homme est mis au second plan. Ce qui n'est pas pour nous déplaire. 

20h45, MIEN : le super groupe de la scène néo-psyché 

Il faut le dire, pour seulement 21 groupes, la moitié sont ici des têtes d'affiches. Il y a donc beaucoup de concert que nous ne pouvions pas louper et MIEN en fait largement partie. Alex Mass, le chanteur du groupe, est aussi le chanteur des Black Angels, eux-mêmes fondateurs du Levitation à Austin, dont découle le Levitation de Angers. Autant vous dire que l’on tire la révérence lorsqu'on le voit balader timidement dans les couloirs de son propre héritier. A ses côtés, Rishi Dhir, membre du groupe Elephant Stone, John Mark Lapham de The Earlies, et bien sur Tom Furse, dernière pièce du puzzle et chanteur de The Horrors. Tous sont des poitures et constituent l’ADN de la musique indé. MIEN se positionne alors comme un carrefour entre toutes leurs influences couchées dans une seule et même oeuvre. Et tandis que Rishi Dhir joue de la sitar et Alex Mass de la basse, les claviers respectifs de Tom Furse et de John Mark Lapham renouvellent un peu plus l’essence même du rock psychédélique, organique et intemporel, dans une musique aux références électroniques. 

21h30, Oktober Lierber, électro berlinoise dans les profondeurs de l'enfer 

Si nous devions donner une définition de l’enfer à l'ère industrielle, ce serait certainement à l’image du groupe de ces deux parisiennes d'Oktober Lieber dont la musique nous plonge sans concessions dans une ambiance inquiétante et ultra tendue. La salle baigne dans un noir infini, et nous peinons à arriver jusqu'au devant de la scène sans bousculer quelqu'un. Lorsque les deux femmes commencent leur set, une sensation étrange nous vient : l'impression de suffoquer à l’intérieur de rythmes électroniques aussi obsédants qu'oppressants, aux influences mélangeant post-punk apocalyptique et électronique. Les coeurs font mille tours, les lumières blanches et noires saccadées à 120 BPM nous donnent le vertige, et même si nous restons admirative de la puissance de ces deux petites nanas, nous courrons vite chercher de l’air vers la porte de sortie. Pire qu'un shot d'héroïne, cette musique était pour le moins dévastatrice. 

22h10, Flavien Berger ou Jésus réincarné en claviériste 

Après Juniore et MIEN, tout le monde attendait l’enfant terrible Flavien Berger. Nous qui nous attendions à voir un artiste timide, la tête dans les claviers, c’est un personnage plutôt avenant qui innonde la scène, seul et auréolé par des faisseaux de lumières bleues. En le voyant, nous pensons tout de suite à Sebastien Tellier et à son album “My God Is Blue” dont Flavien semble en être le successeur. “Il parait que c’est coutume de parler entre les morceaux” lorsque nous tous lui répondons “Non ! Joue plutot, par pitiéééé !! ”... “Ca tombe bien parceque j’ai rien à dire mis à part que c’est coutume de parler entre les morceaux”. Il est plutôt drôle et attachant ce Flavien avec ses cheveux longs, sa moustache et sa gueule d’adolescent prépubère. Mais fini de rigoler, l'artiste prend possession de la scène et de ses divers claviers éparpillés face à lui, et nous inhume d’une électro psychédélique pleine de sagesse et de maturité. “Je t’aime” hurlent des festivaliers du fond de la salle. Nous aussi nous t’aimons.

00h02, un vinyle et une affiche pour rentrer comblées 

Encore saouls des effluves de Flavien Berger, l’heure est venue d’aller faire un peu de shopping. Depuis hier, nous passons devant cette salle qui termine le couloir avant d’arriver dans un patio où un bar et quelques stands de restauration sont disposés. Pour une fois, nous n'avons pas fait l'erreur fatale, nous jeter sur la meilleure attraction d’un festival : le merch. Non, cette fois-ci, nous avons attendu sagement le dernier jour, à quelques heures de la fin, et maintenant nous nous précipitons pour voir ce qui reste. Sans hésitation, c'est le vinyle des Prettiest Eyes qui tombe dans notre sac et puis une affiche, parce qu’un festival de musique psychédélique n’est rien sans ses mythiques affiches. Ondulations dans tous les sens, couleurs flashy sous LSD et atmosphère surréalistes, elles sont toutes magnifiques. Mais fidèles à ce que nous aimons, nous nous décidons pour l’affiche de l’édition 2018 du Levitation.

02h15, fin du festival et Rendez-Vous l'année prochaine

Alors que Spiritualized et leur chanteur mythique Peter Kember ancien membre des Spacemen 3 terminent leur show, certains commencent à partir doucement vers l’autre salle où joue dans quelques minutes le groupe de post-punk français Rendez-Vous. Il est évident que c’est le dernier concert de la soirée, les fumeurs reviennent du patio, les mangeurs engloutissent leurs derniers restes et la salle est pleine en quasi 2 minutes 30. C’est lourd, très très lourd. Le chanteur pousse des cris graves dans son micro, le batteur castagne ses fûts et le guitariste est à deux doigts de péter toutes les cordes de sa guitare. Ça y est, on est réveillé et le choix est parfait pour terminer le festival, sur une note bien catchy que tout le monde retiendra. 

Bilan

Côté scène

Parce que trois spectacles en valent mieux qu’un
Prettiest Eyes, trois musiciens pour trois univers différents et une musique qui décrasse les oreilles 

Les gourous ringards des temps modernes
Flamingods, les multi-instrumentistes du festival et leur univers néo-transcendantal

L’outsider de la chanson française
Juniore, certainement celle dont tout le monde connaissait les paroles par coeur 

Les papas du rock ou les vampires prétentieux
Les Brian Jonestown Massacre, cachés derrière leurs lunettes noires et dans la suffisance de ce qu'il savent faire, pas plus, pas moins. 

Coté festival

On a aimé

- Un festival à l’état brut, sans chichis et sans froufrous qui propose l’essence même de ce que l’on attend de lui, de la musique à balle
- La qualité du son sur les deux scènes que proposait le Levitation. La salle du Forum et la salle T400
- Le burger frites aux confit d’oignons, impeccable sur les coups de 23h après un bon concert de rock d’énervés
- Les lumières kaléidoscopiques disséminés dans tous les couloirs et recoins du festival
- L’équilibre parfait dans la répartition des groupes. Planant, agressif, doux, percutant. Ca apaise et ça reveille. 

On a moins aimé

- Le manque de diversité des bières.
- Le camping à 15 km du festival, Airbnb oblige...
- Mise à part de longues tables de pique nique, pas beaucoup de coins pour chiller
- Apparement, il y avait une séance cinéma gratuite retraçant l’histoire du festival le samedi après-midi. On regrette le manque de communication sur cette activité.

Infos pratiques

Prix des boissons
4e le demi de Grimbergen, et entre 7 et 8e la pinte (+1e de consigne)

Prix de la nourriture
Burger-frites maison pour 8e
Stand de nourriture traditionnelle africaine et indienne entre 10 et 12e le plat

Prix de festival
Pass 2 jours à 57e et 35e la soirée

Transports
Paris-Angers, environ deux heures de train. 35€ avec la carte jeune 
Salle à environ 10 minutes du centre ville

Conclusion 

Le Levitation France est un festival qui n'a pas besoin d'artifices et l'a prouvé encore une fois grâce à sa 6ème édition. Avec une des programmations rock les plus cohérentes et exclusives de l'année, la répartitions des artistes, entre musique planante et set plus aggresifs, donnait un très bon équilibre pour tenir les festivaliers jusqu'au bout de la soirée. Le rock psychédélique est né dans les années 60 aux sons de pédales wha-wha et d'artistes tels que 13th Floor Elevator ou Jefferson Airplane, mais en 2018 il sait se renouveller, ne s'enferme pas dans un carcan qui ne serait qu'une caricature de ses plus belles années. Avec des artistes à l'affiche comme Flavien Berger, Oktober Lieber, ou Flamingods aux influences très électroniques, la nouvelle ère de ce revival brise les frontières du genre. Et le Levitation était présent cette année pour leur rendre justice. Un grand bravo. 

Récit et photos : Léa Mabilon