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Le Riddim Collision, quand Lyon fait rugir la nuit

En 17 ans, le Riddim Collision s’est imposé comme un festival de référence dans la culture musicale lyonnaise. Garant d’un programme de haut-vol, le festival tient à mettre en avant des groupes locaux qui méritent amplement leur place aux côtés de DJ Krush ou encore Clark. Sur une semaine, c’est un hommage à la musique qui s’est tenu avant l’annulation de la soirée du samedi après les tragiques événements parisiens.

Jour 1. 22h28, la fameuse soirée Barbars commence en douceur  

Une soirée, 5 bars aux ambiances très différentes. Il y en a pour tous les goûts ce jeudi soir ! On commence avec un lieu atypique : la Clef de voûte. La salle c’est une cachette en contrebas, un repère qui accueille généralement les pointes du jazz de Lyon. A cette heure Kuna Maze (photo), le jeune producteur local membre du collectif Orbit, offre un set aux influences diverses. Sur sa MPC, il enchaîne des samples hip-hop, électro, jazz, dans une ambiance décontractée. Les gens sont venus discuter et prendre un verre dans une atmosphère chaleureuse. On apprécie la douceur de ce début de soirée, où le lieu et l’artiste se complètent parfaitement.

22h45, descente aux enfers

Aux Valseuses (photo), fameux bar des pentes de la Croix-Rousse toujours blindé, c’est Gejj qui donne le ton. Mais la musique et les enceintes ne sont pas d’accord, le système son n’est pas à la hauteur des basses et des kicks. Ca grésille mais le public n’a pas l’air déçu, la plupart se désarticulent devant la scène de ce bar minuscule ou on se piétine sans broncher. Il y a autant de gens dehors que dedans, autant dire que c’était le rendez-vous ce soir de plus d’un raveur habitué de ce bar aux chiottes immondes.

23h15, 30 degrés plus tard

En descendant les pentes, on tombe toujours sur ce bar à la terrasse immense et toujours pleine dès 17h. Au Trokson (photo) le pass “barbars” donne accès à une salle en bas par un escalier périlleux et sombre. Ceux qui n’ont pas prévu les boules kies pour Godzilla se sont racheté un tympan le lendemain. C’est peut être ici qu’on a chopé la crève. A peine le pied dans la salle, on dégouline de sueur. Headspin ou pas, le punk énergique de ces italiens met tout le monde d’accord. Dans la pénombre, la batterie est agressive, la guitare aussi, le son fait vibrer tous nos organes. On ne saura jamais ce que ce garçon nous a hurlé dans l’oreille devant la scène.

23h45, comme à la maison

Au bar des Capucins, c’est Régal (photo), le groupe de garage qui rétablit notre ouïe. L’ambiance est plus jeune, et la salle voûtée en brique donne une atmosphère plus chaleureuse, plus familiale. D’après la légende, les membres du groupe se seraient rencontrés sur World of Warcraft… Ce quatuor énergétique nous rappelle notre adolescence passée à écouter du rock dans le garage de papa.

00h03, collés serrés

Il est presque minuit, on se dépêche d’aller découvrir le dernier bar, le Kraspek Mysik (photo) C’est plein, il nous faut attendre 10 minutes avant de pouvoir entrer. A l’intérieur, nous ne sommes pas déçus : les gens sont entassés dans 30m², l’ambiance est survoltée. Pas de scène pour les musiciens du groupe Garmonbozia, ils jouent carrément dans le public un rock psychédélique endiablé, teinté de sonorités orientales grâce au violoncelle. La bière est pas chère, les barmans et le public déchaînés dégoulinent de sueur. On retourne à la Clef de Voûte où l'on découvre un autre membre du collectif Orbit : Auriculaire, qui passe du Nirvana à Flying Lotus avec une aisance qui nous rappelle Gaslamp Killer. Le personnage est à l’image de ce qu’il joue. C’était le bon before si vous vouliez vous mettre en jambes pour la nuit, beaucoup parlent d’aller en after à la Maison Mère pour une soirée un peu plus techno.

Jour 2. 21h11, embarquement imminent au club Transbo   

L’ancienne usine de traitement des eaux réunit deux salles emblématiques de Lyon. Le Transbordeur possède 1800 places, le club Transbo 600, avec une disposition atypique. C’est Sheik Anorak (photo) qui ouvre le bal. A lui seul le lyonnais est un groupe tout entier. Sa musique est progressive, plânante, le public est attentif d’un silence presque religieux. “Alors, ça c’est un morceau très répétitif donc si vous voulez aller fumer une clope, allez y je comprendrai”. C’est une ambiance intimiste, le public se laisse totalement emporter. Des boucles profondes et puissantes qui laissent un public béat et un peu sonné. Belle découverte !

22h04, au coeur de l’orage

Les quatre garçons d'Oiseau Tempête (photo) sont sur scène. Ce projet musical porte bien son nom. Comme un oiseau qui lutte pour résister contre les vents, c’est une musique puissante et presque douloureuse. Un genre de post-rock ou le cri de la guitare se pose sur un tempo lent. Quelques notes de clarinette sur des nappes atmosphériques envahissantes.  Un chanteur vient réciter une incantation magique, c’est une montée en puissance qui nous étourdit totalement. Autour de nous, les Led des écrans lumineux s’animent en rythme avec la musique. C’est notre coup de coeur de la soirée.

23h09, rock on !

C’est l’heure de Peter Kernel (photo). Trois musiciens, deux garçons et une fille offrent un rock énergique, proche du post-punk expérimental. Le batteur est allemand, la chanteuse canadienne, le bassiste suisse. Entre eux c’est l’osmose, ils échangent avec le public d’un franc parler qui fait leur charme, comme un groupe qui se serait posé dans notre garage. Une dernière bière à 3,50€, et pour ceux qui ont la dalle, le foodtruck et ses hamburgers sont à l’extérieur. Pour marquer les 10 ans d’existence du Marché Gare, un lâcher de ballon à la dernière chanson.

Jour 3. 22h12, on commence tout doucement...

Pour un début de festival à 21h30, on ne s’attend pas à voir énormément de monde. Mais l’énergie du Mc RacecaR de Asagaya donne le ton, ceux qui sont déjà là apprécient. Derrière le beatmakeur caché par un masque, des vidéos expérimentales concordent avec son hip-hop percutant. Quand la chanteuse Mary Mary (photo) arrive, le concert prend une autre tournure : soul, chaleureux, on adore. On décide de découvrir la grande salle, fermée la veille, et tout de suite on apprécie la qualité du son. Le live de Kormac est groovy, agrémenté d’un mapping farfelu. Malheureusement pour le groupe irlandais il y a encore trop peu de monde. Un petit tour dehors, les gens arrivent, une fumée s’échappe déjà du food-truck. 5 euros les quatres frites ? Aïe…

22h45, session Ninja Tune

1664 de blanche et sandwichs sont proposés au bar. Un coup d’oeil sur nos téléphones nous interpelle, les notifications d’info s’enchaînent à propos d’une fusillade à Paris. Loin de la réalité des évènements, la soirée semble suivre son cours... Ceux qui sont dans la petite salle sont des connaisseurs du phénomène Dorian Concept. L’artiste qu’on ne saurait mettre dans une case est fidèle au label Ninja Tune, chez qui on retrouve Falty DL ou encore Machinedrum. L’Autrichien a un groove incomparable, accompagné de son microkorg il ramène le soleil où il se pose. A côté Dj Krush a commencé, les sets se chevauchent... mauvais timing les gars ! Tout le monde l’attendait, même si la line-up de ce soir est un bijou, Dj Krush c’était le rendez-vous. Deux platines vinyles, son set balance entre ses classiques et un trip-hop comme au bon vieux temps. C’est un peu une surprise car après 11 ans d’absence, il revient avec un album : Butterfly Effect.

00h30, un petit tour dans la savane

A côté, DEbruit joue depuis une demi-heure, on arrive presque à la fin de son set. La salle s’est transformée : écouter DEbruit, c’est comme faire un tour dans la savane, retourner à un état primitif. Son style c’est le voyage, un africanisme électronique pas loin de Romare. Dans la grande salle, enfin une fille sur scène… et laquelle ! Alo Wala (photo) c’est une chanteuse et un beatmakeur. La rappeuse américaine ne tient pas en place, sur un fond tropical bass elle pose sa voix improbable, on dirait Santigold ou encore MIA. C’est un genre de musique qui nous donne le goût d’ailleurs, dans la salle c’est la frénésie personne ne tient en place.

1h30, la claque de la soirée

Le programme est bien ficelé, c’est un véritable ascenseur émotionnel. Avec Om Unit le ton se durcit, la bass music est à l’honneur ce soir. Le producteur britannique qu’on retrouve chez Metalheadz aux côtés de Goldie ou Photek est une étoile montante de la scène électronique londonienne. Entre la jungle, la drum et la dubstep son style qu’il qualifie de “slow-fast” est d’une puissance jouissive. Les basses ne nous quittent pas, on a complètement perdu le public sur le fameux titre “Ulysses”.

On voudrait continuer les concerts, mais à vrai dire... l’humeur n’est pas au rendez-vous. Un tour dehors et on découvre que le bilan des attentats s’est alourdi. Impossible de continuer la soirée, autour de nous la plupart des gens ne sont pas au courant. En discutant avec le premier venu, la réaction est immédiate, c’est l’heure de rentrer. On passe par la salle où Dj Fly et Dj Netik mixent : tout est là, mais nos esprits n’y sont plus. En quittant le Transbordeur, on devine que la soirée du samedi est annulée, dans le respect de chacun et pour la sécurité de tous.

Le Bilan

Côte concert 

La grosse claque
Om Unit, un cocktail drum/jungle/bass efficace

L’exotisme
DEbruit, l’artiste qui te colle le sourire

La révélation
Oiseaux-Tempête nous ont emmené bien loin et nous ont laissé sonnés

Le plus dansant
Alo Wala, de l’énergie sans limites

La valeur sûre
Dj Krush, piqûre de rappel des incontournables du trip-hop

Le collectif cosmique
Le collectif “Orbit”, dans son ensemble avec Kuna Maze et Auriculaire, ont du talent à revendre

Côté festival 

On a aimé :
- Un programme très éclectique mais une identité affirmée. Entre artistes internationaux et locaux, c’est un large panel qui satisfait tout le monde.
- Un public respectueux et averti qui est venu apprécier la musique
- Une multitude de lieux et de thèmes pour fêter dignement la musique et les espaces qu’elle investit

On a moins aimé :
- Certains concerts ont manqué de monde… Vous avez loupé quelque chose !
- Timeline un peu serrée…Avec des artistes pareils, difficiles de laisser faire un choix
- Où est la gente féminine ? On aurait aimé voir plus de groupes féminins

Conclusion

Pour une 17ème édition on s’attendait à une véritable foule. La soirée barbars a fait son succès : c’est un marathon de découvertes où chaque lieu est une suprise. Avec le programme du weekend, le Riddim propose de découvrir des bijoux d’artistes à la pointe de leur style. C’est une scène qui progresse à grande vitesse chez nos voisins Outre-Manche et qui s’exporte doucement dans nos oreilles, pour ça on les remercie infiniment. Les lieux, le concept et l’ouverture musicale qu’offre le festival n’ont pas fini de parler d’eux. A chacun son Riddim, il y en a pour tous les goûts.

Un récit de Mélodie Chum et Maylis Haegel
Photos de Maylis Haegel, Mélodie Chum et Reno Masterstone (Photo 1, 2, 3, 4 et 5 de la soirée BarBar)