On était à
La Villette Sonique, une balade musicale au coeur du plus grand parc de Paris

Pour sa 14ème édition, la Villette Sonique change d’équipe de programmateurs et de directeur artistique mais conserve la même identité sonore et visuelle. Éclectique, indépendant et ouvert sur le monde, il y en a eu pour tous les goûts et toutes les bourses. Le temps de 4 soirées et de 2 journées de concerts gratuits en plein air, nos oreilles ont fait l'expérience d’un voyage sonore au cœur de la capitale.


Jour 1, 20h00, voyage intimiste au Cabaret

On se retrouve dans la salle du Cabaret Sauvage, qui sera tout au long du festival un point névralgique, où se succéderont les concerts du off !Villette Sauvage! Pour ce premier soir, le chapiteau, magnifiquement illuminé, est doté de 3 écrans de projection, pour nous faire vivre une expérience musicale immersive. Le programme est surtout electronique et ambiant, la soirée s’annonce tout de suite calme et planante. La pianiste Kelly Moran inonde la salle du son de son piano cristallin sur un fond sonore synthétique. Un flot mélodieux de notes qui transporte la petite foule qui grandit au fur et à mesure du concert.

Le concert se termine alors que la salle s’est peu à peu animée. Mais nous avons à faire à une foule d’érudits sages et concentrés, qui n'hésite pas à “chuter” les voisins un peu trop bruyants. C’est là que Mondkopf, jeune producteur français avec tout son matériel électronique, monte sur scène pour nous propulser vers une autre galaxie. Son très sombre morceau « Last Day on Earth » accompagné d’une vidéo façon super 8 faite de paysages de montagnes, de randonnées dans des espaces désertiques et de plages perdu dans l’océan, nous permet de lâcher prise et de rentrer dans un état proche de la méditation. Le concert s’achève sur une note lumineuse. Nous sommes particulièrement heureuses d’avoir trouvé les banquettes autour du chapiteau pour profiter pleinement du spectacle assises.


22h30, la cérémonie japonaise dans une ambiance de communion

Nous profitons un peu de la terrasse du Cabaret Sauvage avant la fin du jour. Encore troublées par la prestation du jeune français, nous embarquons dans un autre voyage sonore avec Tim Hecker et le Konoyo Ensemble. Les aficionados sont là en nombre, immobiles mais fébriles, pour apprécier le cérémonial qui s’installe sur scène : les instruments traditionnels japonais et le bourdonnement électronique ambiant. Même pour s’approcher prendre des photos nous avons l’impression de troubler l’ordre céleste installé dans le public. Sans aucune interruption et pendant près d’une heure la musique remplit la salle du Cabaret. Nous n’avons pas tout compris: l’entrelacement des notes et des instruments, le long moment de pause des instrumentistes quittant la scène pour revenir 10 minutes après, l’absence totale de repères rythmiques; mais le public sort ravi et apaisé.


Jour 2, 20h30, place aux MCs et aux rappeurs

Nouveau lieu et nouvelle thématique musicale pour cette deuxième soirée. Le public n’a plus rien à voir non plus, beaucoup plus jeune et dynamique. Finie la musique contemporaine et l’ambiant feutré, place au hip-hop dans une atmosphère de club au Trabendo. Les conditions météorologiques (le vent) n’ont pas permis que les concerts se fassent au Périphérique, l’une des scènes en plein air. C’est peut-être finalement la meilleure option en terme de lumière et d'acoustique car la salle réverbère bien les beats énergiques des MC's.  Après la prestation de l’anglaise Shygirl (photo) dans une nuisette rose de satin, la rappeuse Bbymutha et sa DJ enflamme la scène du Trabendo. Les femmes sont de plus en plus représentées à la Villette Sonique. Cette tendance générale est particulièrement appréciable.


22h00, de Compton à Détroit, quand le rap rencontre la house

Après une pause au bar en terrasse pour profiter d’une bière, nous embarquons dans une nouvelle aventure musicale inédite. Sur scène, le chanteur Channel Tres est accompagné de deux magnifiques danseurs. Le son est celui d’un club de house et les lumières roses et jaunes flashent au son du beat de batterie. Sur ce groove électro, la voix grave de l’américain de Los Angeles détonne. La présence hyper masculine des trois américains se confond avec la chorégraphie aux allures de voguing. On a presque honte de danser tellement le chanteur et ses danseurs synchronisés enchaînent parfaitement les figures entre les couplets. En plus d’être un bon danseur et un rappeur confirmé, Channel Tres a pour lui d’être drôle. À la fin du concert, alors qu’il avait fait monter une partie du public sur scène pour se déhancher, il renvoie tout le monde à la maison avec autorité mais bienveillance, en retrouvant notamment le propriétaire de clefs perdues sur scène.


23h15, Détroit, encore et toujours

C’est au tour de Danny Brown de s’installer pour une prestation très attendue. L’américain est une référence du rap US. Son style sombre et intense, sa voix nasillarde reconnaissable entre mille et son flow instoppable, en font l’un des rappeurs américains les plus singulier de ces dernières années. Il va faire plaisir au public et jouer ses plus gros titres. Parmi eux, beaucoup de son album Atrocity Exhibition sortie en 2016. Il est aidé par un public qui lui est tout acquis et connaît et entonne toutes les paroles des chansons. On en redemande. Dans la fosse, une série de pogos animent le show alors que Danny passe checker toutes les mains tendues. Le concert s’achève dans la calme. On a hâte de voir la suite!


Jour 3, 16h, il est temps du plein air!

Les concerts en plein air de la Villette Sonique, c’est une institution. Tous les ans, le festival propose une programmation entièrement gratuite dans le parc. C’est une exception dans le paysage des festivals français, car cette programmation est loin d’être secondaire et les conditions d’écoute sont celles d’un grand festival. 3 scènes, dans un grand périmètre, de très belles pelouses et des espaces arborés avec les stands des labels, des foodtrucks de restaurants parisiens, des bars et des espaces toilettes très grands où l’attente n’est jamais trop importante. Les publics sont toujours improbables : des familles, des trentenaires en goguettes, des jeunes échappés du lycée, des passants dans le parc du jour et des fans (aussi).


16h30, mot d’ordre: éclectisme musical

Pour se mettre en jambe sur la scène du Périphérique (sous le périphérique parisien donc) la multi-instrumentiste italienne Maria Violenza, nous sert des mélodies délicieusement post-rock en y ajoutant sa voix suave en reverberation. Puis sans transition on court voir l’anglais et rappeur Novelist (photo), qui va enflammer la scène de la Prairie du Cercle Nord. Il réussit merveilleusement à rallier à lui un public de non-initiés au grime : genre de musique électronique au rythme très rapide, né en Angleterre et qui allie dancehall, hip-hop et garage. C’est un succès, le concert finit en apothéose, le public hurle les paroles de la chanson « No Weapons/See Me » en dansant frénétiquement.


18h30, on ne sait plus où donner de la tête !

Sur la scène du Jardin des Îles, c’est l’extase quand les deux français de Nyoko Bonkbae entrent en piste vêtus de la tête au pied de combinaisons fluos. Ils chantent en français sur des sons taillés pour le club et ils régalent les fans de techno comme de house, les petits comme les grands. Après eux, c’est leur jeune prodige, producteur et Dj français, qui reste sur scène et utilise son nom de scène saugrenue Krampf pour nous emporter dans une spirale techno infernale. Sa technique est impeccable et ses transitions parfaites entre des classiques de musique pour enfants et ses propres “sons qui tachent” comme Fiesta!. Face à la géode et la Cités des Sciences, on en prend plein les oreilles. Un retour sur la scène de Périphérique nous permet de prendre en cours le concert rock alternatif de Black Midi, avec un leader et chanteur pour le moins énigmatique qui passe son temps à former des longs cercles sur la scène.


20h05, voix de femmes et mélodie pop d’une fin d’après-midi

Un cornet de frites sur un foodtruck et quelques pintes de cidre plus tard, nous quittons la zone du plein air pourtant encore en ébullition. Les concerts principaux se terminent mais le off au Cabaret se poursuit et l’ambiance est de plus en plus festive sur le site. Nous regrettons presque d’être de retour au Trabendo, à l’écart des turbulences, pour la suite des concerts payants. Il y a peu de monde dans la salle de concert où Cate le Bon a commencé son concert. L’ensemble d’instruments sur scène et sa voix nous transportent dans un univers pop encore peu représenté dans le festival. Mais nous avons été beaucoup trop stimulés par le plein air pour rester gentiment en place. L’américaine Julia Holter prend la suite mais on n’est pas convaincu non plus par l'énergie psychédélique pop. C’est peut-être là la critique à faire au festival, tellement plurielle et éclectique, avec une proposition boulimique de concerts simultanés dans des lieux éloignés qu’il perd en cohérence.


23h30, les grands noms de l’electro dans une rotonde octogonale

Il est temps pour nous de filer vers le Pavillon de la Villette, pour le moins éloigné du reste du festival. Heureusement nous avons prévu les vélos. Rien de tel qu’une petite promenade dans le parc avant de repartir “dans le son” ! Le ton est donné ce soir, ce sera une soirée club electro. Au menu pour nous (car nous ne resterons malheureusement pas pour les autres sets après 3h du matin) : le son arabe et très contemporain de la belle tunisienne Deena Abdelwahed et les envolés lyriques du pianiste et producteur hambourgeois de génie David August.

La salle du Pavillon est accueillante et un immense escalier menant vers une terrasse permet de prendre la mesure des dimensions de la rotonde. C’est là que nous nous installons pour voir le concert de David August. La salle s’est remplie de véritables fans hypnotisés par les effets sonores et le sens du suspens de l’allemand. On a regretté de ne pas assister au set de Ross from Friends, connu pour ses rythmes entraînant et sa house des années 80 aux petits oignons. Mais il reste encore dimanche et la Villette Sonique est un vrai marathon pendant lequel il est important de gérer son effort.


Dimanche 9 juin. Jour 4, 17h05, balade sonore dans le parc

De retour au plein air pour cette dernière journée de la Villette Sonique. L’organisation reste bien maîtrisée même si les conditions climatiques, les problèmes de matériel et les annulations de concerts (celui de Nova Materia la samedi ou de Fontaine D.C. le dimanche) ont beaucoup modifié les horaires de passages des groupes et nous déboussolent un peu. Au Périphérique, on arrive juste à temps pour voir une partie du concert d’Efrim Manuel Menuck. L'ambiance est détendue et bon enfant pour un concert intimiste. Le guitariste, fondateur du groupe de post-rock God Speed You! Black Emperor, est seul sur scène et propose un son minimaliste et sombre, avec des loops de musique électronique et sa voix en arrière fond. Nous reprenons le chemin de la scène de la Prairie du Cercle Nord le long du canal pour assister à la belle prestation, pour son deuxième passage au festival, de Mdou Moctar, guitariste touareg du Niger. Entre rock et musique traditionnelle, le guitariste nous attendrit avec son sourire qu’il adresse à tous les visages qu’il croise dans la foule. Puis nous prenons le temps de passer voir le set électro de la jeune DJ Myako au Jardin des îles pour parfaire un peu plus notre culture de la scène house parisienne actuelle.


19h30, les derniers rayons de soleil avant la Halle

Assis le long du canal, on peut distraitement voir le concert de Sikane en buvant une bière offerte par un voisin de bord de canal. Il nous reste peu de temps avant le début de la dernière série de concerts du festival payant à la Grande Halle de la Villette. Nous passons d’abord rapidement prendre la température au Cabaret Sauvage (la programmation était de 14h la veille à dimanche sans interruption !). Nous avons plaisir à revenir dans le chapiteau en bois, quelques jours après le voyage initiative ambiant de Tim Hecker. C’est pile en passant le chapiteau que la jeune DJ au platine joue un titre de Kassav’, puis enchaîne sur un titre de David August avant de nous emmener sur une pente glissante d’afro trap. Et ça marche! La petite foule bigarrée s'éparpille dans la salle et danse frénétiquement dans la joie et la bonne humeur.


20h45, French Disko et clap de fin

Nous arrivons un peu en retard au concert d’Anemone, montréalaise à la voix étrangement lancinante. Nous sommes surpris et relativement déçus de nous apercevoir que la salle dispose de gradins et qu’il n’y a quasiment pas d’espace pour danser dans la fosse. Nous sommes fatigués et apprécions néanmoins le fait de pouvoir s'asseoir pour profiter du spectacle. La prestation de Jonathan Bree nous laisse froids, son costume, ses danseuses, les deux musiciens qu’on ne voit pas et la pop un peu facile ne nous ont pas conquis. De plus nous sommes entourées, comme le premier jour, de fans absolus, qui ne sont décidément pas dans un mood festival mais plus dans une perspective de concert de classique et ne supportent pas bien les bruits de conversation.

Le public arrive en masse pour Stereolab, les pionniers du post-rock anglais de la fin des années 90. À l’arrivée sur scène de la chanteuse et des musiciens les spectateurs se lèvent enfin de leur siège. Cette réunion du groupe avec ses fans prend des allures de retrouvailles nostalgiques. Nous quittons la Grande Halle avant la fin et rentrons à vélo en longeant une dernière fois le canal et le parc. La musique retentit encore au Cabaret Sauvage.

Le bilan


Côté concert

De la house groovy et du voguing hyper masculin
Channel Très nous a fait rire et surtout danser comme dans un club de Détroit!

Entre le dancehall et le garage anglais
Novelist, son bel accent anglais et son flow inébranlable

L’amour fraternel touareg
Mdou Moctar, pour son sourire et son groupe tous en habit traditionnel touareg

Le voyage céleste
Mondkopf, et ses trips vidéos dans une atmosphère post-apocalyptique

Le son contemporain tunisien
Magnifique sur scène, Deena Abdelwahed est une perle rare de l'électro


Côté festival

On a aimé:

- Le plein air GRATUIT et sa super programmation. On le redira jamais assez. Ainsi que le off au Cabaret Sauvage.
- La variété musicale (avec un genre par soir)
- Le lieu (le parc). Toujours.
- L’absence quasi totale de gros sponsors
​- L’ambiance relativement décontracté: avec des agents de sécurité agréables et très discrets.
- Les nombreux toilettes (jamais d’attente !) dans les salles comme en extérieur. Mention spéciale pour les toilettes pour femmes spéciales “pipi debout” qui devraient être partout
- La propreté partout (dans le parc, les salles, les toilettes)

On a moins aimé :

- Le temps, mais les organisateurs du festival n’y sont pour rien...
- Les concerts payants et en salle trop tôt (19h30) ne permettant pas de rester profiter des derniers concerts en plein air.
- Le manque de cohérence entre les horaires de certains groupes et les genres musicaux : on passait d’un concert de grosse techno trash (à 18h) à de la pop et de la chanson à texte (à 20h).
- Peut-être qu’il y avait un lieu en trop ?


Infos pratiques

Prix des boissons
7 euro la pinte de bière ou de cidre, 1 euro 50 la bouteille d’eau. Et une consigne (verre) d’1 euro.

Prix nourriture
Beaucoup de choix! Compter environ 10 - 12 euros pour manger un bo bun ou un burger mais les portions restent peu copieuses. Cela reste très honorable pour un festival parisien.

Transports
Pour aller au Parc de la Villette il y a deux métros: ligne 7 (Porte de la Villette) ou ligne 5 (Porte de Pantin), un tramway (Porte de Pantin) et plusieurs lignes de bus. Vous pouvez aussi envisager le vélo pour vous déplacer dans le parc, c’est très agréable!

Conclusion

La Villette Sonique a encore de beaux jours devant elle. Ce festival né en 2005 avec l’ambition de proposer une programmation musicale éclectique pointue (mais pas fermée !) a réussi son pari en invitant des artistes d’horizons toujours plus variés. Du grime britannique, à la house de Détroit en passant par l’ambiant et le post-rock, le festival nous a offert une expérience musicale unique dans un lieu maintenant emblématique des Parisiens : le parc de la Villette. La maîtrise d’un espace comme celui de la Villette, avec ses innombrables salle de concerts de et ses immenses pelouses de part et d’autres du canal de l’Ourcq, le temps de ce festival de 4 jours, est remarquable surtout quand on sait que plus du 60% de la programmation était gratuite et en plein air.

Un récit de Fanny Salmon
Photos d’Anaïs Mastrorelli