On était à
Beauregard, averses de plaisirs

Dans la cour de son château, John Beauregard nous a concocté quatre jours intenses de musique live. Des plus petits festivaliers aux plus grands baroudeurs, le festival aura rassemblé une foule de courtisans prête à s’offrir joies auditives et salves de déhanchements. On vous raconte.

Jour 1. 18h45, le cri des mouettes


Après quelques bouchons à Caen, on gare notre voiture sur un parking juste en face du camping, notre lieu de villégiature pour trois nuits : seulement quelques tentes sont installées dans ce petit endroit aménagé pour l’occasion. On n'entend pratiquement aucun bruit, si ce n'est celui des mouettes tournoyant dans le ciel. Le contraste avec la foule qui s'amasse aux portes du festival est hallucinant : des meutes de cinquantenaires ont des fourmis dans les jambes, et sont venus retrouver leur 20 ans. Il nous faudra presque 45 min pour entrer, avec une fouille minutieuse.

20h03, John t'as pas 10 balles ?


Après un accueil de créatures étranges, le premier réflexe pour beaucoup est d'aller charger sa carte Jonh-E-Cash, système de paiement dématérialisé qui fait son apparition à Beauregard. Encore une queue se présente à nous pour récupérer notre sésame, mais les bénévoles sont bien organisés et tout avance vite, avec explications à la clé. 1€ la carte, 2€ la consigne pour un verre, et la possibilité de récupérer ce qu'il reste à la fin. Tous les stands sont équipés en cashless, ce qui permet au concept de réellement s’installer à l’instar des Charrues ou Papillons de Nuit. Pour ce “before”, seule la grande scène fonctionne. Après Gandi Lake, Last Train balance sa fougue sur scène, vite refroidie par un public statique attendant les ex-Téléphone.

21h45, comme des gamins

Une boite d'onion rings et des bières en guise d'apéritif en main, on se place pour les stars du jour. Les premières notes de Crache ton Venin raisonnent, et les Insus (photo) se branchent à nous. Les gars sont comme des gosses, et la communion avec leur public se fait directement, comme si la ligne n'avait jamais été coupée. Ils sont moins impulsifs qu'à leurs débuts, mais tout aussi généreux et talentueux. Le rock à la française, c'est eux, et ils le symbolisent parfaitement ce soir. Les tubes sont repris en cœur, de New York avec toi à Cendrillon, les solos sont bien présents, et leur belle complicité juvénile intacte. Dommage que le festival les ait programmé comme dans un Zénith, avec deux premières parties, plutôt que de les intégrer totalement au festival. On finira notre soirée avec une pizza bien fournie en fromage. 

Jour 2. 10h02, jeux sans alcool 

L'ambiance est encore très calme au camping ce matin. Et elle devrait le rester : aucun alcool n'est autorisé, sauf la bière vendue par le festival. Pas cool ça ... Après un tour dans le bourg d'Hérouville et le centre commercial gigantesque pour toper quelques victuailles, à 20 min à pied, on reviendra profiter des différentes activités proposées gratuitement, comme de véritables baby foot, des tables de ping pong, ou encore un blind test avec des bières à la clé. 

16h23, tranquilles mises en bouche 

Retour au festival pour nous, première entrée pour la majorité. Le public n’est donc pas encore très chaud pour AA en ouverture, rock indé avec influences coldwave. Ce sera encore plus compliqué avec la pluie qui s'intensifie. Plus électro, plus envolé, plus travaillé, Nuit mettra du temps à démarrer avant de petit à petit installer son univers. On l'aura sans doute bien plus apprécié le soleil couché au deuxième sous sol d'un club. Du côté de The Brian Jonestown Massacre, c’est surtout une compétition de rouflaquettes et de stooners affutés. Les guitares grincent mais le public n'entre pas complètement dans leur monde.

19h01, le retour du feu

La pluie stoppe net, et les rayons percent les nuages. Un moment idéal pour l'allumage des incandescents Feu! Chatterton (photo). Le groupe grandit de concert en concert, pour devenir sensation de chaque festival où ils passent. Beauregard n'aura pas échappé à la fougue solaire des textes et des belles manières du groupe, en rien déstabilisé par des soucis de son, bien au contraire. Sur la 2ème scène, la flamme brûle comme jamais : Nekfeu et sa bande feront danser, sauter, chanter un public beaucoup plus jeunes, et avide de sensations fortes. Ca bouge en Normandie. 

20h32, John, roi de l'apéro

S'il y a un sujet sur lesquel le festivalier est choyé, c'est bien sur l'apéro. Nos ventres n'auront aucun maux durant tout le festival, entre bar à huîtres, tapas de la mer, houmous ou un plateau de charcut. Mais le meilleur plan sera d'aller se prendre un verre de rouge bien servi à 3 euros pour ensuite profiter de la dégustation gratuite et permanente de camembert, livarot, neufchâtel et pont l'évêque, les fromages AOP du coin (photo). Les produits régionaux sont mis en avant, a l'instar du bar à cidre, et on aime ça. Côté boisson, on peut également profiter de mojito, spritz et champagne. Petit coup de foudre du festival pour la blonde du coin, l’Archange du Mont Saint Michel, qu’on préfèrera pour le même prix à la monotonie de la Hk. 

21h15, le rock prend ses quartiers

On se pointe ensuite vers la grande scène. Sans le savoir, le public se pointait devant une machine hybride à tubes variables. Beck (photo) nous emmène dans un rock californien teinté de fuck, hip-hop et disco. Ça fait bouger, ça donne un franc sourire. Après une pause pipi dans des toilettes propres mais en dur, c'est Ginzhu qui prend les commandes. Alors que la Belgique se fait taper à l'euro de foot, les rockeurs belges assurent eux une stratégie offensive travaillée et payante jusqu'à la fin. La nuit est définitivement tombée sur Herouville, et la chaleur monte. 

23h15, Alchimie électrique

Il fallait s'y attendre, mais les Chemical Brothers (photo) ont balancé du lourd pendant 1h30. Pour les avoir déjà croisé aux Eurock ou aux Charrues l’an dernier, on savait à quoi s’en tenir. Quelques petits changements, mais toujours une puissance sensationnelle d’un set qui s’arrêtera pratiquement jamais, devant des visuels hypnotiques, parfois stressant, parfois galvanisant. Derrière, le live The Shoes paraîtra assez plat même si leurs GIF kikoolol feront effet, et leur Time to Dance créera une belle communion entre les gens du public. On laissera le très bon set de Rone aux loups électriques de la nuit.

Jour 3. 9h58, un temps de ni oui ni non

Le camping s'est enfin rempli. Il est 10h, et il n'y a quand même personne aux douches, agréables et chaudes. Les sanitaires sont très propres, et l'équipe de bénévoles du campement est à nos petits soins. On regrette un manque d'incitation pour le tri et l'absence de toilettes sèches. On frôle néanmoins la révolte sociale après une panne de café au bar. Alors que l'on part vers le festival, on comprend le calme olympien du campement : tout le monde boit des coups sur le parking en face ! Le temps est lui un véritable normand, entre grosses chaleurs et averses. 

15h00, festivaliers chouchoutés

Les plaines du festival sont encore vides, ce qui nous permet de nous ballader un peu. Un stand assez grand permet de recharger nos téléphones, alors qu’à côté des consignes sont mises à disposition. Les enfants peuvent eux être déposés à l’espace kids, pour profiter d’animations et de maquillages. The Horrors joue ses morceaux sans trop de passion, et le public de curieux a du mal à accrocher au groupe, pour un set assez propre, et un son assez mal réglé. Get Well Soon seront pour le coup beaucoup plus beaux et lumineux.

18h10, summer is coming

Ils seront ceux qui auront réussi à faire danser le public de Beauregard : avec leur son tranchant et décalé, qui sent bon le sable chaud, les Naïve New Beaters (photo) ont livré une très belle prestation. Leur 3ème album promet vu les tubes qu'ils ont balancé, dont Hell Tommorow déja en boucle sur les radios. Derrière on se posera dans l'herbe pour Brigitte avec une bière. On sera par contre bien déçu de la prestation de La Femme, attendue au tournant. Le groupe est arrivé sur scène beaucoup trop confiant, avec une nonchalance affichée qui a gâché nos retrouvailles. Jamais facile de revenir après une première tournée unanimement saluée. On espère retrouver leur son novateur bien plus tranchant la prochaine fois.

21h35, plus fort, Robert !

C'est surtout lui qu'on attendait : Robert Plant et ses Sensational Space Shifters (photo). De super zicos pour l'ex chanteur de Led Zep qui même un peu moins puissant qu'avant, garde toujours cette intonation de voix si caractéristique. Sauf que là, les décibels ont décidé de saccager le concert. Il a fallu attendre 1h de show pour que le son soit à peu près bien potable. Une frustration énorme devant le live très complet, à deux doigts de la légende, à mi chemin entre les envolées blues world de Plant et le rock légende de Zeppelin.  

23h02, du doux au brut

C’est l’heure ensuite d’aller manger un bout. Le choix est plutôt généreux pour les papilles dans la cour du château de Beauregard, même si la junk food est toujours présente en majorité. On appréciera le stand végé qui propose curry de lentilles, Mémé patates, et on nous dira le plus grand bien des burgers de Patoch. Après Lilly Wood and The Prick, The Avener prenait place pour des mixs peu innovants, mais rassemblant un large public. La claque viendra des Kills (photo) : énergie à fleur de peau, énergie rock dégoulinante, voilà enfin un concert de rock, avec un duo Alissn + Jamie en furie. Fakear débarquera ensuite avec un “salut la maison”, et fera rêver les festivaliers jusqu’au bout de la nuit avec ses douces ballades électroniques.  

12h12, gueule de boue 

Depuis le petit matin, la pluie n'a pas cessé. On remballe nos affaires tant bien que mal pour partir après PJ Harvey ce soir, lundi et boulot oblige. Les esprits sont fatigués et lourds, on aurait apprécier un joli soleil. A 14h, l'happy hour est lancé au bar du camping avec une pinte a 4€20. On refera quelques parties de baby pour patienter. 

15h45, petit deviendra grand

C'est Grand Parc qui ouvre le bal de ce dernier jour, pour des morceaux planants et subtils. Sur la scène John, on retrouve Grand Blanc que l'on suit depuis un bout de temps. Ils ont bien grandi, ont affirmé leur ADN rock pour enfin donner l'impression de s'éclater sur scène. Et de finir torse nu pour le chanteur. Jeanne Added (photo) a elle aussi bien grandi, pour une dimension de presque tête d'affiche du jour. Malmenée par des pépins techniques et une sono décidément pas vraiment au RDV de la grande scène, elle saura séduire le public venu la voir

18h05, Ladies afternoon

C'est une journée où les voix féminines auront été mises en avant. Elle était attendue, par les petits comme les grands, Jain (photo) a fait lever les foules. Seule en scène avec ses machines et ses boucles, elle en impose. On l'imagine parfaitement dans quelques années sur une grande scène avec des basses, des cuivres, des chœurs et des danseurs. On se posera ensuite sur Lou Doillon, le temps redevenu appréciable, pour apprécier sa très belle voix. 

21h25, la grande classe

Malgré le quart de finale de l'Equipe de France, les festivaliers étaient nombreux à se presser dimanche soir pour assister au show de la grande prêtresse PJ Harvey (photo). Accompagnée pour cette tournée d'une fanfare afin de recréer la complexité et la puissance des compositions de son dernier album (The Hope Six Demolition Project), elle n'a pas manqué de dérouter ceux qui la connaissent davantage pour son rock dépouillé des années 90. Plus que jamais d'actualité, les morceaux du précédent album Let England Shake ont pris une toute autre dimension en cette gueule de bois post-Brexit. On partira sous les chansons reprises en coeur de Louise Attaque

Le Bilan

Côté concert

Le passage à tabac
The Chemical Brothers, roi de l’électro

Le son de l'été 
Naïve New Beaters, bonne humeur et prince de la danse

Toujours plus fort
Feu! Chatterton, qui se bonifie plus les concerts avancent

Le live brut
The Kills, la dose d'énergie rock qu'il nous fallait

Un nom pour l’avenir
Jain, une belle marge de progression

La frustration
L'ingénieur du son du live de Robert Plant, qui sera pendu avec le triple album best of de Florent Pagny

Côté festival

On a aimé :
- Un large choix au niveau des boissons et des plats proposés, avec une valorisation du manger local. Mention spéciale à la distribution de fromages, au tapas de la mer et au stand Végé
- Le cashless sur tous les stands, fluidité pour recharger, une réussite pour cette première de John E Cash.
- Une des plus belles programmations de l'été
- peu d'attente en général, et un site ou l'on peut circuler, respirer, et profiter des concerts comme on en a envie

On a moins aimé :
- Des soucis de son sur la grande scène
- Pas d'alcool possible au camping, pour une ambiance feutrée, même si le confort proposé est très appréciable
- Pas de toilettes sèches, et un manque d'incitation au niveau du tri des déchets
- Pas d'animations en dehors des concerts, si ce n'est au camping
- pas de diffusion du match France - Islande le dimanche (Bon, il aurait fallu reverser un pourcentage de la vente des billets à l'UEFA, on comprend ...)

Conclusion

Une programmation excellente et un festival riche de qualité et bonne humeur, nous avons eu du plaisir à revenir à Beauregard cette année. Le temps n'a pas vraiment été avec nous, mais cela ne nous a pas empêché de profiter à fond de nos 4 jours de festival. A l'avenir, l'événement normand pourrait encore s'enrichir et se démultiplier, en ajoutant des animations en dehors des lives, voire pourquoi pas une troisième scène plus alternative portée sur les découvertes, voire un véritable quatrième jour de festival.  

Récit et photos de Morgan Canda, avec Arthur Emile