Festival bien établi (23e édition déjà!), Au Pont du Rock a su trouver sa place et durer intelligemment au sein du foisonnement breton estival, en misant sur une programmation bien foutue et une organisation bien huilée. Rodé mais pas érodé, Au Pont du Rock a, en 2013, adopté la figure du tigre comme porte drapeau. Et on peut dire que ces deux jours ont eu leur part indéniable de coups de griffes, de rugissements et de déhanchements félins.
Vendredi, découverte du site et première claque
Arrivés vers 18h30 sur le site, on découvre un festival qui, comme beaucoup d'autres ici, s'investit dans une démarche raisonnablement éco-responsable : gobelets consignés, tri sélectif des abords de la billetterie jusqu'au camping, mais pas de toilettes sèches (est-ce gérable avec un événement de cette taille ?). Le camping, assez proche du site, est, comme ce dernier, interdit au verre et ce tri à l'entrée crée un « joyeux » goulot d'étranglement. Du reste, jusqu'à 20h30 environ, on croisera des gens davantage préoccupés de leur installation in situ que par les concerts. Et c'est un peu dommage, car, le vendredi comme le samedi, les groupes qui ouvrent les hostilités ne sont absolument pas les moins intéressants.
La preuve très manifeste avec 12 feet under, groupe vainqueur du tremplin du festival l'an passé, qui dispense un rock haut en couleurs et en inspirations variées (de Pearl Jam au rock prog ou à la fusion). Allez-y les gars, mordez dedans !
Vendredi soir, convivialité au bar à vins
Le temps que ça se remplisse un peu, on arpente un site bien conçu, vaste et bordé de deux « barres », l'une dédiée à la bière et aux diverses façons de l'évacuer, l'autre au manger et au boire, avec notamment un bar à vins, de la restauration malgache, et un joli stand « biquette » proposant tartes, tartines et autres choses à base de fromage de chèvre. Le tout dans une déco un peu hétéroclite, homemade et décalée, qui laisse la part belle à des espaces conviviaux (bancs en traverses de chemin de fer, sièges et fauteuils en pneus et autres matériaux de récup). Les festivités se déroulent entre deux grosses scènes et un chapiteau chaleureux, avec un vaste espace entre, pour ne pas virer claustro quand ça commence à devenir populeux dans les parages.
Du show des Bellrays, on retiendra le gros son, la voix rocailleuse de la chanteuse et l'opportunisme de placer des rythmiques punk pour booster ce qui, du reste, s'apparente à du hard blues un peu convenu. Un regret : l'excès de professionnalisme tue les tripes du truc.
Breton ou Buster Shuffle ? Deux groupes anglais aux approches très différentes. Une expérimentation arty pop-rock avec support VJ d'un côté, un gros brassage ska-rockab'-rocksteady de l'autre. Tout en s'intéressant aux deux, on fera, pour notre part, le choix du second, dont la chaleur, la générosité et l'esprit rock allaient bien au festival : ambiance Madness des débuts, the Specials, Chuck Berry, avec l'accent cockney et l'attitude de branleurs festifs qui fait mouche.
Buster Shuffle : du ska old school from Britain
Les deux gros morceaux de cette première soirée arrivent à la nuit tombée. D'abord le show puissant, onirique et (trop?) millimétré de Wax Taylor, porté par un (trop?) gros son et un public conquis d'avance. Un trip-hop classieux, inventif, dont on regrette juste que les instrumentistes (mention absolue à la flûtiste, dingue d'inventivité et de groove) aient paru bridés par les samples et le storytelling programmé du set. Efficace, en tout cas.
Bien moins consensuel et lisse, Stupeflip était, de notre point de vue, le rendez-vous imparable du vendredi. Porté par une foule qui manifestement les attendait, et malgré des contrariétés techniques à répétition qui les ont bousculés, les membres du Crou ont imposé un show à part, dans un univers sans pareil, entre enfance désenchantée, délire mystique et dissidence revêche. A appuyer là où ça fait mal avec un son puissant, King Ju et son cirque vorace auront enfoncé le clou, sans concession à la bien pensance, laissant comme d'habitude un public hébété, chahuté, parfois sans avis. On regrette juste les changements incessants de masques/identité/rôles, qui empêchent, autant qu'ils servent, l'imprégnation dans l'univers singulier du groupe.
Sonnés, on n'a pu que voguer tranquillement sur le reste de la soirée, entre l'électro maligne et percutante de Kavinsky et la punk-pop des briochins de the 1969 Club.
Un samedi grand public mais pas que
Le lendemain matin, les rues de Malestroit n'étaient ni un territoire occupé par des troupeaux de festivaliers, ni un village morne et tranquillement touristique. Du bar, investi par des soiffards du matin et des musiciens prolixes, à la boulangerie, constamment dévalisée tantôt par les habituels, tantôt par les résidents du week-end, on baignait dans un moment de pause avant les festivités du soir.
Evenements qui ont bien failli ne pas avoir lieu, tant un déluge ininterrompu de trombes d'eau et d'orage s'est abattu sur les lieux pendant deux heures consécutives. Autant dire que le site a été plus que marqué par les intempéries. Mais aucune annulation, juste un délai dans l'ouverture des portes (le temps que les tracteurs déversent leurs masses de paille pour absorber et rendre praticable la plus grande partie du site inondé).
Samedi apres-midi, le site est inondé, les tracteurs sont à l'oeuvre pour éponger à grands coups de paille
Ce retard a malheureusement privé tout le monde (hors bénévoles) du début du set de San'Jyla. Il fallait sans doute commencer à l'heure, mais comme disait un festivalier dans la file d'attente : « ils ne vont quand même pas jouer devant de l'herbe, ça n'a pas de sens ! ». Eh si ! Une fois l'autorisation donnée, la foule s'est paisiblement dépêchée de rejoindre le lieu des hostilités, où jouaient 9 musiciens complètement en osmose dans leur démarche, prodiguant un reggae roots puissant et généreux. Malgré quelques inévitables clichés du genre sur la révolution spirituelle et la fraternité, les gars étaient tellement dedans et la formule musicale tellement en place que, même devant un public clairsemé et sur un site détrempé, la vibe pêchue a su faire bouger les genoux et les zygomatiques d'un paquet de gens. Merci les gars !
Place ensuite aux Hyènes et au plaisir de retrouver ensemble Jean-Paul Roy et Denis Barthes, dans une formation soudée où ils apportent l'énergie rock lourde et tendue qui convient.
Au menu ensuite, messieurs dames, vous aviez le choix entre The Jim Jones Revue et The Popopopops. A ce combo de jeunes rennais en goguette, on a préféré le rock rèche et sans concession des premiers : la voix rocailleuse et le charisme du chanteur + le travail racé et bien fait du groupe, débridé et maîtrisé à la fois = une belle découverte.
Le vrai coup de cœur des deux jours viendra malgré tout d'Arno, qu'on aurait pu craindre de trop connaître et qui a néanmoins été l'animal le plus rock du festival (le tigre c'est lui!). Impeccable de bout en bout, servis par des musiciens justes et inspirés, il a prodigué une musique qui, loin des clichés stylistiques, trouve chaque fois une approche pertinente et un balancement percutant. Le vieux routier n'en a pas rajouté dans son personnage, livrant son show tout sobrement, avec les tripes et sans pathos, avec une présence électrisante et forte.
Pas grand chose à dire de Lescop, fade et décevant. On a préféré musarder du côté du duo Little Trouble Kids. Pari gagnant, ne serait-ce que le temps d'une belle reprise de 16 horsepower.
Quand est venu le tour d'Olivia Ruiz, l'intelligence de la prog est devenu manifeste avec cette artiste grand public, au show très pro et consensuel mais qui, pour autant, a de la personnalité (arrangements, light show et univers cohérents). A partir de là on était parti pour le grand raout du samedi soir, la foule et les bons sentiments de rigueur, les « Malestroit vous êtes formidables ». Cela s'est confirmé avec les performances de Fefe et The Struts, ventre mou et gentillet de la soirée. Comme prévu, ça a marché du feu de Dieu niveau public. Pendant ce temps là, au bar à vins, ça causait dur.
Puis vint la belle surprise. Programmer les Ogres de Barback, après les deux grosses machines précédentes, s'est révélé l'audace gagnante de la soirée. La formule acoustique, aux paroles denses et sans tchak tchak poum poum, aurait pu faire retomber le soufflé convenu du samedi soir...Mais la belle énergie, la joliesse et l'humanité généreuse des Ogres ont emporté tout le monde !
Samedi, les Ogres de Barback deploient leur cirque intimiste
Dans la dernière ligne droite de la soirée, on attendait au tournant Carbon Airways, le duo d'ados electro hardcore. Impressionnants de puissance sonore et d'énergie, mais lassant dans la construction des morceaux et le « tout à fond » tout le temps, ils donnaient aussi l'impression qu'il ne se passait pas grand chose sur scène, vu que tout était déjà enregistré ou presque. Mais là encore, rien de grave, vu que ça a marché à fond !
Pour 1995... on a passé notre tour. Trop de musique tue la capacité à apprécier la musique, comme dans beaucoup de festivals. On s'en est donc allés, contents de ce qui devrait être le lot de chacun de ces événements estivaux : du plaisir prévu, des bonnes surprises, et l'envie de remettre ça l'an prochain.
Côté concerts :
La claque :
Arno, impeccable, un grand monsieur.
La surprise :
les ogres de barback, improbable cerise sur le gâteau rock.
Le show qui assure :
Wax Taylor, intelligent, onirique, classieux.
La déception :
Lescop, un peu fade
Côté festival :
On a aimé :
- programmation intelligente et équilibrée, pas trop redondante avec les autres festivals bretons
- l'organisation pro et l'accueil souriant des bénévoles un peu partout
- la disposition, l'aménagement du site et ce qui y était proposé
- le peu d'attente à tous les points du festival (hormis l'entrée au camping)
On a moins aimé :
- avoir fait démarrer San'Jyla avant que le moindre festivalier puisse pénétrer sur le site (pas cool pour le groupe... et pour les gens venus pour eux).
La Conclusion
Ambitieux et solide, le festival tient son rang. Moins grand que les Charrues, évidemment, mais grosse machine en moyens techniques comme en programmation (jonglant entre découvertes et têtes d'affiches consensuelles), Au pont du rock reste un rendez-vous à ne pas rater, porté par des bénévoles disponibles et présents, et une affiche alléchante qui garde son caractère rock assez marqué. Bravo et merci à tous les gens qui ont oeuvré à la bonne marche du tigre !