Au Pont du Rock est de ces festivals qu’on aime retrouver, confiants dans les fondamentaux d’une formule éprouvée, qui a su montrer qu’on pouvait concilier ambition d’événement d’envergure avec environnement à taille humaine. Cette année encore, l’alchimie a fonctionné, et malgré quelques déceptions, il y a eu pléthore de vrais beaux moments de musique et de fête à Malestroit.
Jour 1. 18h54, on reprend ses repères
L’arrivée sur le site montre tout de suite que, hormis quelques modifications légères, tout est conforme à la disposition des années précédentes. Un grand espace simple et agréable où l’on peut naviguer entre les trois scènes, bordé des mêmes alignements dévolus à la restauration, à la boisson, au merchandising, aux toilettes, à la vente de tickets… Bref, on ne change pas une organisation qui roule, et pour l’habitué des lieux tout est familier. On retrouve avec plaisir l’aménagement original et les endroits où se poser. Parfois il est bon que les choses ne changent pas. Même chez les bénévoles, on retrouve des têtes connues, preuve que les équipes se fidélisent, ce qui est toujours bon signe. La bonne humeur est là, la bière est fraîche, ça part bien.
19h32, Ask after B en levé de rideau
Les Nantais de Ask after B (photo) sont conviés à l’ouverture des hostilités sur la plus petite scène (mais pas la moins conviviale), à savoir le chapiteau, et entament ce week-end avec un set coloré emmené par un chanteur enthousiaste. Bien accueilli, l’ensemble, pour autant, n’emporte pas le délire d’une foule du reste assez réduite, malheureusement pour eux. L’avantage de la première soirée est ici que, au moins au début, il n’y a pas plusieurs concerts qui se déroulent en même temps, on peut profiter pleinement sans crainte de rater autre chose. Bien sûr, l’inconvénient qui va avec est que, si jamais vous n’aimez pas ce qui se produit maintenant, eh ben il n’y a pas d’alternative…
20h50, Minuit au coucher de soleil
Les seconds à entrer dans l’arène sont de ceux qu’on attend au tournant comme une sensation possible ou une déception facile. Minuit (photo) est nécessairement estampillé “fils de” (avec toute l’injustice que ça génère), mais les enfants Ringer-Chichin ne s’en laissent pas compter pour autant. Servie par des musiciens très bons, la voix de la chanteuse se déploie de son timbre si proche de celui de maman que la comparaison est impossible à éviter ; en l’occurrence, elle est plutôt flatteuse. Un brin poseuse, la demoiselle joue, avec les musiciens et le public, s’amuse et c’est communicatif. Le public est en liesse, ça danse beaucoup. Beau coup d’essai, donc, pour une formule en équilibre entre originalité et démarche grand public. A voir mûrir.
21h25, l’étrange élégance de Moriarty
Manifestement très attendu par le public déjà nombreux, Moriarty (photo) montre dès le début le style marqué, l’identité qui lui appartient. Les 6 musiciens, multi-instrumentistes, manifestent une vraie connivence, belle à voir, avec beaucoup de moments d’interactions à deux, notamment entre la chanteuse et l’harmonium, ou la guitare et l’harmonica. Un vrai plaisir que de voir et d’entendre ces gens radieux, porteurs d’une belle harmonie et d’une joie de jouer palpable. Le répertoire, porté par des mélodies efficaces et des arrangements où chacun a sa place et porte les autres, fait que le charme opère indubitablement et une fois de plus.
22h12, la transe venue de Corée
Le premier dilemme de la soirée conduit à se partager pour profiter à la fois des Coréens de Jambinai et des Belges de Balthazar. Dans l’ambiance chaleureuse du chapiteau, les premiers entament un set envoûtant, où le mélange entre instruments traditionnels et contemporains sert des constructions musicales faites de mélodies et des rythmiques répétitives, lancinantes, qui enflent, se déploient et explosent parfois de façon tonitruante. L’ensemble instille une musique empreinte de nostalgie, voire de gravité mais indéniablement très belle. Le public du chapiteau, comme d’habitude est assez différent de celui des deux grosses scènes : on y retrouve des amateurs de choses pointues ou originales, loin des consensus faciles. Ils découvrent malheureusement parfois que la puissance sonore de la scène pourtant à l’opposé du site nuit à ces moments privilégiés et intimistes.
On ira donc ensuite vers Batlhazar. Déjà découverts à Laval au printemps dernier, les Belges manifestent à nouveau ce qui fait l’efficacité de la formule, à savoir une réelle maîtrise de la mélodie, un répertoire pop rock bien troussé, dansant, qui fait mouche auprès d’un public très jeune et très enthousiaste. Très bons tout de suite, les musiciens font le job de manière très propre, très convaincante. Le revers de la médaille est la sensation en arrière-plan de choses un peu trop lisses, trop convenues, pour qu’on en ressorte plus que simplement content.
23h40, Rodrigo y Gabriela, la virtuosité ronronnante
Là encore déjà découverts lors d’une précédente édition des 3 Eléphants, Rodrigo y Gabriela (photo) confirment une impression mitigée. Après une entrée en matière explosive, pêchue, qui dispense d’emblée trois tubes à une foule tout de suite conquise, les deux guitar heroes acoustiques montrent un show très technique, percutant, mais qui s’avère lassant. Malgré le côté communicatif, souriant des artistes, l’effervescence se tasse au bout d’un moment. Gros succès pour une grosse machine bien huilée, ceci dit.
Autre gros combo diablement efficace et assez attendu, Le Peuple de l’Herbe entre en scène avec une belle énergie et une formule rodée et rentre dedans à souhait. Ici, rien à redire, pour ce premier soir c’est vraiment un élément de programmation idéal et festif. Le public ne s’y trompe pas, emporté par un groupe qui connaît son affaire et a mûri un répertoire que d’ailleurs beaucoup connaissent.
00h06, Success improbable
Les Rennais de Success (photo) n’avaient pourtant pas la gueule de l’emploi sur le papier. Le coup de coeur, ils l’ont arraché comme un sac à main : on ne comprend pas ce qui se passe mais on est bien obligé d’admettre que le hold-up a eu lieu. Le groupe est certes rock, certes servi par des musiciens très bons et la voix convaincante du chanteur, mais c’est l’absolue désinhibition qu’il manifeste qui renverse tout sur son passage. On a affaire à un véritable show emporté par un personnage barré, inconvenant, qui saute partout, gesticule, investit toute la surface de scène. Il se déshabille, finit le concert en slip, y fourre parfois son micro, avec une énergie et une personnalité qui laisse pantois, groggy, sans savoir si on aime ou pas, mais sans plus vraiment se poser la question. Un truc unique, une performance débridée très très loin de tous les shows maîtrisés qui présideront à trop de concerts, ici comme ailleurs.
01h33, beau final fiévreux avec High Tone
Le dernier concert de la soirée peut parfois apparaître facultatif, tant pour beaucoup la soirée est d’ores et déjà bouclée, soit en termes d’alcool ou de fatigue, soit en termes d’attentes musicales. De fait, la foule reflue un peu en vacillant vers le camping ou bien végète sur place, même si certains s’avèrent encore vaillants pour accueillir un autre bon groupe avec de la bouteille. High tone (photo) commence son set par une séquence très atmosphérique, où les sons électro servent d’écrin à un oud, où le propos s’installe, où l’invitation au voyage enveloppe tout hors du temps. Et puis, au bout d’un moment, bam, ça explose, notamment avec l’arrivée d’Oddateee, qui survolte de son rap et de son énergie un concert qui désormais prend une autre tournure. Le public se déchaîne et c’est parti jusqu’au bout pour une prestation impeccable, où les musiciens se donnent à fond et tapent avec justesse, sans faute de goût. Excellent. Loin des fins de soirées ronronnantes dont on n’attend plus rien, c’est électrisés que nous quittons le site après une première soirée qui a déjà fourni un joli lot de moments qui valaient le déplacement.
Jour 2. 17h55, soleil et bonne humeur
Après les premiers éclats de la veille, Malestroit se réveille (pour ceux qui ont réussi à dormir) investie par de joyeux troupeaux de festivaliers. Le centre historique grouille de joyeux drilles affamés assoiffés et la musique et l’animation sont partout. Sur les rives de l’Oust ou du canal, quelques baigneurs se rafraîchissent en attendant la reprise des concerts. Quand les portes du site rouvrent, c’est une troupe d’abord disparate qui baguenaude ou s’affale. L’ambiance manifestement est estivale.
C’est dans cette ambiance décontractée et ensoleillée qu’est accueilli le groupe Talisco. Arrivés trop tard pour profiter des Lorientais de Fuzeta, nous découvrons avec le trio bordelais un rock mélodique qui fait son office, qui plaît, ne brosse pas à rebrousse poil, met le sourire en attendant la suite.
19h10, du poil, de l’attitude et du riff
Les choses sérieuses semblent commencer avec l’arrivée d’un groupe de garage libanais, les Wanton Bishops (photo). Tout de noir, de barbe et de colifichets cool vêtus, les gars débarquent avec décontraction et de l’allure, et un sérieux sens du groove. On se dit que dans l’attitude et dans le son, on a peut-être notre premier moment de vrai rock de la journée, un peu comme Triggerfinger l’année précédente. Mais hormis des moments où mélopées orientales se marient aux riffs acérés, et où l’identité musicale sort des sentiers battus, on en revient vite à un concert sympa mais pas dément, où le groupe récite un peu ses gammes avec justesse mais sans impressionner non plus. Dommage, on y croyait.
19h40, Mellano solo
Pendant ce temps là, sous le chapiteau, Ollivier Mellano (photo), figure rennaise de l’exploration sonique par guitare interposée et compagnon de route, en son temps, de Miossec ou Laetitia Sheriff, livre un concert solo loin d’être cantonné à l’ambiance intimiste. “Mellanoisescape” est une suite de titres où la voix et la guitare tissent, triturés et griffés, des résonances insolites, des grooves et des ambiances qui ne ressemblent à rien d’autre. Là encore entaché de l’ingérence sonore de la grosse scène, le moment n’aura été partagé que par trop peu de gens, pourtant visiblement séduits.
20h35, Danakil et puis non
Après avoir vérifié que le reaggae radio-compatible de Danakil n’était pas notre tasse de thé, nous délaissons la grosse scène pour aller à la rencontre des gens, espérant sans trop y croire que les prochaines têtes d’affiche ne s’avèreront pas trop sirupeuses et consensuelles. Ceci dit, la plupart des gens ne s’embarrassent pas de tels états d’âme. Quand on est déguisé en bisounours, en banane géante ou qu’on est déjà à 3 grammes dans chaque poche, la soirée est sur des rails confiants. L’ambiance est festive, et assez tranquille malgré tout. Il commence à y avoir beaucoup de monde un peu partout, mais c’est aussi ce qu’on aime avec ce festival : sa capacité à générer du sourire, à éviter les prises de tête, à faire cohabiter les gens de tous bords avec simplicité et bonne humeur.
21h15, Jeanne Added vs la furie No One
Comme hier, il a fallu se partager. Et, de fait, ont eu lieu en même temps deux concerts énormes pour des raisons complètement opposées. D’abord Jeanne Added, sous le chapiteau qui lui sied mieux que ne l’auraient fait les scènes plus grosses. Un moment de pure beauté, touchant, une voix et un propos absolument renversants de sensibilité, une vraie découverte. Grosse sensation des dernières Transmusicales, la petite demoiselle, pleine de personnalité et de générosité, livre sur fond d’électro des compositions qui tapent juste.
Pendant ce temps, à l’autre bout du site, se déchaînait un des combos les plus furieux de ces 20 dernières années. Gros son, grosses énergie, les gars de No One Is Innocent (photo). Arrivés tranquillement sur scène, visiblement ravis d’être là et avec une vraie faim de communication avec le public, ils n’ont pas tardé à tout enflammer, carboniser dans un déferlement de riffs qui ne font pas dans la dentelle. Kmar et ses acolytes, impeccables d’implication, ont enchaîné les titres sans temps mort, avec une vraie générosité et une furie des plus jouissives. Une heure de sueur et de pogo plus tard, on ressort comme sonnés et heureux de retrouvailles qui ont tenu leurs promesses.
22h25, pas de repos au goulag
Bon évidemment, sortir de ces deux moments pour ensuite se voir proposer un concert d’Izia, c’est un peu rude. On reconnaîtra à la demoiselle énergie, voix, implication, tout ce qui avait déjà été noté à son actif notamment lors de son passage à Art Rock cette année, mais pour notre part nous sommes allés boire des coups en laissant une foule fervente et jeune célébrer un concert qu’on devine d’un grand professionnalisme.
A ce moment là de la soirée, la plaine est pleine, ou pas loin. Le coeur de la soirée est là, le gros des troupes aussi. Pas de pluie encore, un beau soir d’été. Plutôt que les Belges de BRNS, dans l’univers duquel nous n’aurons pas su entrer, nous allons fréquenter le grand barnum goguenard et bien foutu du Soviet Suprem (photo). John Lénine, Sylvester Staline et leurs acolytes barrés offrent un spectacle drôle et cohérent, divertissant. L’électro hip hop balkanique qui enveloppe le propos est des plus efficaces, même si on est loin de l’impact d’un Shantel venu l’année dernière. Au moins, ça fait remuer les popotins et les zygomatiques.
00h32, Asaf trop évident
Ce sera un peu moins le cas avec la tête d’affiche de la soirée, au pied de laquelle s’agglutine très vite toute la foule du site (bon, en même temps, il n’y avait pas d’autre concert à ce moment là…). A peine descendu de son tourbus, sa Majesté Asaf Avidan (photo) prend possession des lieux avec une décontraction toute professionnelle et une implication vocale d’emblée impressionnante. Devant un public déjà conquis avant que la messe commence, il livre un set très impliqué, généreux, sans pourtant que ça décolle vraiment. Malgré les beaux accents soul ou blues d’une voix qui, décidément, génère tantôt la fascination tantôt le rejet épidermique, l’absence de compositions imparables ou de relief entre les morceaux va faire progressivement retomber le soufflet. Décidément, la scène Dragon n’aura accueilli que des concerts trop lisses, trop consensuels, trop attendus, trop professionnels.
01h50, le bon rock juvénile pour la fin
Comme vraisemblablement la plupart des gens présents, nous n’aurons absolument rien compris de ce qu’ont fait les gars de Salut c’est Cool !. Simplement, la majorité semble ne pas s’en être inquiété, se contentant de sauter partout au son du “boum boum” et du grand n’importe quoi foutraque et neuneu qui sévissait sur scène. C’était probablement, du reste, l’attitude la plus saine pour faire de ce moment débile un exutoire de fin de soirée. Un brin hébétés, perplexes plutôt que consternés, nous avons préféré terminer cette édition 2015 au son rèche et radical des jeunots de Last Train (photo). Avec un rock incroyablement simple et viscéralement juste, ces quatre-là ont remis pas mal de pendules à l’heure. Il y avait de la fièvre et de la furie sur scène, quelque chose de vital, presque outrancier, bref juvénile, frais, radical. Ben voilà, en fait c’était pas si compliqué que ça...
Le Bilan
Côté concert
La découverte
Jeanne Added, sidérante de sensibilité et de personnalité.
L’ovni qu’il ne fallait pas rater
Success, le truc qui ne ressemble décidément à rien...d’autre, et donc indispensable.
Les beaux moments de rock
Wanton Bishops et Last Train ont fait honneur au genre.
L'élégance
Moriarty, jamais décevant ni passéiste dans ses accents d’hier.
La bonne claque de fin de soirée
High Tone meets Oddateee, collectif magistral de fin de soirée.
La sensation “hors cadre”
Jambinai, une identité et une puissance d’évocation particulièrement fortes
Les grands anciens qui mettent tout le monde d’accord
No One Is Innocent, radicaux et toujours verts
Côté festival
On a aimé :
- l'organisation impeccable, la disponibilité et le sourire des bénévoles ;
- la diversité de la programmation, avec des groupes qu’on ne retrouvera vraisemblablement pas dans d’autres festivals ;
- l’ambiance conviviale et l’aménagement des lieux, conformes à ce qui a fait la “patte” du festival
On a moins aimé :
- le caractère trop lisse d’une part importante de la programmation, notamment à des moments où c’était la seule chose à écouter.
- l’ingérence du gros son des grosses scènes pendant les concerts sous le chapiteau, ce qui n’était pas autant le cas les années précédentes
Conclusion
L’équilibre improbable entre blockbusters et découvertes pointues était plus difficile cette année, avec quelques déceptions et des moments d’ennuis, en partie liés à des choix d’horaires de passage ou de scène. Reste que l’édition 2015 aura quand même apporté de bien belles musiques et des prestations mémorables, tout en gardant le caractère bien trempé de l’identité conviviale et humaine du festival. Pas de quoi, donc, regretter d’être venu se poser sur les bords de l’Oust.
Récit et photos : Matthieu Lebreton