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Comment les festivals développent-ils les partenariats en temps de Covid ?

Tout comme les élèves qui ont retrouvé les bancs de l'école début septembre, les équipes qui organisent les festivals se sont remis au travail et se projettent déjà sur 2021. Un regard vers l'avenir qui peut sembler compliqué en cette période où tout semble se dessiner au jour le jour, mais un regard essentiel pour continuer à travailler et tout faire pour que l'été prochain ne ressemble pas au précédent. Tour d’horizon des grandes thématiques qui composent l’organisation des festivals et de la façon dont ils vivent cette période. Episode 3 : les partenariats privés.

Presque 6 mois après les annulations des festivals d’été, les équipes qui les organisent reprennent petit à petit leur quotidien après de longues semaines d’activité partielle. Pour autant, la période n’est pas beaucoup plus claire qu’en avril dernier, et le flou qui règne sur la reprise d’une activité normale ne facilite pas le travail des organisateurs. Touchés par la crise de plein fouet, les entreprises privées sont des éléments essentiels dans le montage économique d’un très grand nombre de festivals. Elles jouent par exemple des rôles de sponsors en allouant des budgets sur les événements, allant de quelques milliers à plusieurs centaines de milliers d'euros pour certaines. En échange, ces entreprises disposent de places pour assister à l'événement, d'offres VIP pour inviter leurs clients au festival dans des conditions privilégiées et des dispositifs de visibilité (présence de leur logo, activation etc). Le principe du mécénat est identique dans les grandes lignes, à quelques différences près : dans un contrat de mécénat, les entreprises peuvent défiscaliser une partie du don fait (60% du montant) et les contreparties sont limitées, en général la valorisation de ces dernières ne pouvant dépasser 25% de l'apport. 

Pour les équipes en charge de déveloper ces collaborations c’est en cette période de rentrée que beaucoup de projets se décident. Mais la préparation de la prochaine édition ne se déroule évidemment pas comme d’habitude.

Les premières prises de contact avec les partenaires et mécènes

Dans le cadre d'une année "normale", le retour au bureau pour les équipes qui s’occupent des partenariats et du mécénat dans les festivals est synonyme de bilan et de prise de contact. Les mois de septembre à décembre permettent de se replonger dans les partenariats après quelques semaines de repos. “C’est une période de réajustement, une période de préparation, on refait nos supports de communication, on réactive les partenaires et les mécènes historiques, on donne de nos nouvelles. On reviendra ensuite vers eux un peu plus tard lorsqu’on aura de la matière pour échanger” explique Thomas Letexier, responsable des partenariats du festival Art Rock qui se déroule à la fin du printemps à Saint-Brieuc et qui réunit plus de 80 partenaires et mécènes. “Aux Eurockéennes pendant cette période on a l’habitude d’organiser plusieurs moments jusqu’à la fin de l’année” abonde Frédéric Adam responsable du pôle partenariats du festival belfortin. “On fait un grand concert, et tous ces rendez-vous sont des prétextes pour prendre des nouvelles, garder le contact, voir avec nos partenaires et mécènes comment ils ont vécu le festival, faire des bilans” complète-t-il. 

Mais avec l’interdiction des rassemblements, l’annulation des salons professionnels et la restriction des jauges, les occasions de donner rendez-vous aux soutiens du festival se font rares. “On n’a pas vu nos partenaires et mécènes depuis le mois de mars dernier, explique Fanny Pelletier, directrice du mécénat et du développement aux Nuits de Fourvière à Lyon, on les sollicite mais on ne veut pas être trop intrusif dans la mesure où l’urgence est ailleurs pour eux. On prend la température et on sait combien la dimension humaine est importante. En ce moment c’est difficile de créer du lien et de fidéliser”. “Tous les salons, événements ou réunions où l’on a l’occasion d’être présent en prenant appui sur nos partenaires s’annulent les uns après les autres", s'inquiète Thomas Letexier, "Je suis très inquiet sur la liberté de circulation et de rencontre dont on a besoin pour faire ce métier”. Un sentiment partagé par son homologue des Eurockéennes de Belfort : “on temporise notre communication en ce moment, on espère donner des nouvelles de nous avant la fin de l’année, mais en perdant le lien physique c’est difficile de rester en contact. Et puis on manque de matière”. Un manque de matière en lien direct avec les communications des festivals mises sur pause depuis plusieurs semaines. Car comment échanger sur un projet de festival alors que l’équipe elle-même n’est pas en mesure de savoir à quoi il ressemblera in-fine. “On a de tels délais qu’on ne peut pas attendre les bras croisés, aujourd’hui les 9 salariés sont à mi-temps, on a la volonté d’organiser l’été 2021, mais on doit être précautionneux sur nos engagements vis-à-vis de nos partenaires et mécènes” détaille Frédéric pour qui le secteur privé représente 20 à 25% du budget du festival.

Sécuriser l’existant plus que prospecter

Malgré tout, les équipes en charge des partenariats essayent de mettre à profit cette période pour continuer à développer des relations privilégiées avec leurs partenaires historiques. Fanny Pelletier : “Six de nos mécènes représentent un tiers du mécénat aux Nuits de Fourvière. On a décidé de les réunir autour de petits-déjeuners, de déjeuners pour les informer, les sensibiliser et les inclure dans notre démarche. On leur explique que sans eux, il n’y aura pas de festival”.  Des soutiens de longue date pour certains qui sont d’ailleurs restés proches des festivals depuis le début de cette période d’incertitude. “Dès le début de la crise sanitaire on a eu beaucoup de contacts avec nos sponsors et mécènes. Beaucoup d’entre eux ont décidé de maintenir leur don, ça a été une très bonne surprise, c’est dans ces périodes difficiles que les bonnes relations se révèlent” explique le responsable des partenariats des Eurockéennes. Ce que confirme son collègue du festival Art Rock :”certains mécènes ont décidé de nous soutenir même sans festival, et aujourd’hui 90% de nos partenaires et mécènes devraaient reconduire leur présence en 2021”.

Une fidélité qui se travaille au fil des ans et des contacts noués avec les chefs d'entreprises pour qui le festival représente un investissement conséquent, qu’il soit financier, en nature ou en compétences. Mais qui représente aussi et surtout un moment de rencontres, d'échanges et un rôle économique et social important sur le territoire. Car en déhors des grands sponsors nationaux et internationaux très visibles, les festivals s'entourent généralement de soutiens locaux et de petites et moyennes entreprises présentes dans leurs régions. Pour le festival breton Art Rock, Thomas Letexier explique: "100% de nos grands mécènes sont des Côtes d'Armor, 98% des membres du Club des Mécènes sont aussi du département et 40% de nos sponsors sont des réseaux d'entreprises locales et des marques locales d'envergure nationale et régionale. L'événement a 38 ans, on est très ancré historiquement sur le territoire, on fédère autour de nous". Les festivals sont en effet devenus des acteurs économiques vitrines et moteurs de l'attractivité des territoires.

D’ordinaire consacrée à la prospection, cette période reste donc floue pour les équipes qui ne savent pas de quoi sera fait l’avenir. Pour autant, pas question de se tourner les pouces: “aujourd’hui on prépare les éléments qui vont servir à démarcher des potentiels partenaires sur des projets spécifiques qu’on a identifié, on va répondre à des appels à projets de fondations, détaille Frédéric Adam, mais la recherche de nouveaux partenaires se décale dans le temps”. “C’est difficile d’aller chercher des nouvelles collaborations quand on ne sait pas à quoi va ressembler le festival, ajoute Thomas de Art Rock, sans oublier que eux ne savent pas non plus de quoi seront fait les prochains mois”. Car l’inconnue est certes du côté des organisateurs de festivals, mais aussi du côté des entreprises. Thomas Letexier en est bien conscient : "les boîtes qui faisaient du mécénat avant la crise étaient solides, mais certaines ont mit des gens au chômage partiel, ont réduit leurs activités, ça devient ensuite difficile à justifier de soutenir un festival”. Ce que confirme les Eurockéennes : “on a prévu des recettes prévisionnelles moins importantes. On préfère être prudent, on en saura plus dans les semaines qui arrivent sur les capacités financières des entreprises”. Un quotidien différent donc, où prendre des nouvelles de la santé économique des partenariares et mécènes a encore plus d'importance cette année pour les équipes qui voient les relations humaines comme la base de leur métier. 

Des secteurs qui s’en sortent mieux que d’autres

Mais les plus grosses inquiétudes concernent les offres d’hospitalités, les formules dites VIP qu’achètent les entreprises pour développer leurs relations avec leurs clients, fournisseurs ou collaborateurs sans pour autant être forcément partenaires du festival. Aux Nuits de Fourvière, Le Village, équivalent des salons ou loges dans les stades, représente 50% de l’apport des entreprises privées dans la structure. “Les risques concernent des éventuelles mesures de distanciation. En fonction des restrictions sur la venue d'artistes internationaux et sur la réduction de jauge, cela pourrait tout changer et on travaille sur différents scénarios comme on l’a déjà fait en mars dernier. Avec les coûts d’installation, les éventuelles jauges réduites, on ajuste notre prévisionnel de recettes” détaille Fanny.

“Nos plus gros acheteurs de prestations VIP sont déjà programmés pour l’été prochain, mais on se demande si on sera en capacité de les accueillir. Notre objectif est de conserver une jauge d’accueil identique, mais en fonction des contraintes ne sait pas combien de personnes pourront être sur nos espaces l’été prochain et on ne sait pas encore comment vont réagir nos clients” confirme Thomas qui commercialise les offres pour Art Rock, tout en restant positif.

Car malgré toutes les incertitudes qui règnent de la part des organisateurs et des entreprises, certains secteurs sont moins touchés que d’autres et cela laisse entrevoir un peu d’optimisme pour les équipes. “La grande distribution, la banque, le BTP s’en sortent bien et ce sont des secteurs qui continuent à nous soutenir et seront là l’an prochain. Ca nous donne de l’espoir” annonce Frédéric des Eurockéennes. “Toute la filière agro-alimentaire bretonne semble aussi bien s’en sortir” ajoute Thomas de Art Rock.

Et même si la santé économique de certaines entreprises n’est pas forcément au beau fixe, “les partenaires et mécènes témoignent de l’attachement pour le festival et c’est vraiment quelque chose de positif” conclut Fanny Pelletier. Une tendance qui semble se confirmer chez la plupart des festivals : à l’instar des festivaliers, les entreprises ont elles aussi hâte de retrouver ces événements le plus rapidement possible.

Photo : Brice Rocbert pour les Eurockéennes de Belfort