La rentrée scolaire est aussi synonyme de retour aux affaires pour les organisateurs des festivals d’été qui se lancent dès septembre dans la préparation de l’édition suivante. En cette année si particulière que personne n’aurait pu la prédire, les habitudes sont bouleversées et tous doivent s’adapter à une situation inédite : l’inconnu du lendemain. Tour d’horizon des grandes thématiques qui composent l’organisation des festivals et de la façon dont ils vivent cette période. Episode 1 : la programmation.
Lorsque la plupart des festivals ont dû annuler leur édition 2020 en avril dernier à cause de la crise sanitaire liée à l’épidémie de Covid-19, personne ne pouvait imaginer que la situation serait si floue quelques mois plus tard. Depuis quelques semaines pourtant, les équipes qui organisent les festivals ont repris de l’activité après des mois de pause ou d’activité partielle. Parmi eux, ceux qui font les programmations donnent en général le ton au reste de l’orga. Mais en cette année particulière, rien ne se déroule comme d’habitude, et encore moins comme prévu.
Une année pas comme les autres
D’ordinaire la rentrée est réservée aux bilans et aux premières approches avec les tourneurs. Alain Navarro directeur et programmateur du festival Pause Guitare qui se déroule mi-juillet à Albi explique :“Normalement on s’est quitté fin juillet avec toute l’équipe et on se retrouve en septembre tous à fond pour attaquer la nouvelle année. On discute du projet du prochain festival et c’est là que les premières offres pour les artistes partent.” De son côté Thierry Berneau programmateur du côté du Jardin du Michel confirme : ”On organise toutes les informations sur les artistes en tournée qu’on a pu glaner avec les managers au fil de l’été. Septembre c’est la période où l’on fait le film de ce à quoi peut ressembler le programme, on reprend contact et courant octobre les premières offres vont partir”.
Le Printemps de Bourges qui accueille des artistes dans une douzaines de lieux avec des jauges de 250 à 8000 personnes finalise aussi son programme à cette période. “On travaille un peu en décalé par rapport aux festivals d’été puisque le festival est en avril. Fin octobre on boucle le programme et en général on annonce les têtes d’affiche entre début et mi-novembre” détaille Jean-Michel Dupas qui pilote la programmation du festival Berruyer.
Une période décisive puisque depuis quelques années les programmes se concluent de plus en plus tôt. “Avant on terminait le programme en février ou mars, maintenant tout est bouclé avant décembre, c’est la période la plus stressante” confirme le programmateur de Pause Guitare, “les enjeux financiers sont énormes, la grille est déterminée par les têtes d’affiches, si on se rate, ça peut être dramatique pour l’événement”.
Sauf que cette année rien n’est pareil et l’inconnu persiste sur les festivals de l’été prochain : “on a besoin d’avoir de l’espoir, mais les équipes sont dans une situation compliquée, l’activité est réduite, le festival 2020 était prêt et c’est pareil pour le programme” explique Alain Navarro qui travaille en ce moment à remplir les trous dans sa programmation. Au Printemps de Bourges, même si une bonne partie du programme a été reportée, comme pour la plupart des événements, les équipes travaillent à compléter l’affiche et à explorer d’autres pistes comme nous détaille le programmateur : “on peut croire qu’on bosse moins en ce moment, mais on travaille sur un plan B. Et puis on relance les Inouïs, on ne peut pas mettre une année de découverte en jachère”. “Tout est plus rapide que d’habitude, beaucoup ont fait des reports de programmation, on est peu de festivals à avoir de la disponibilité pour l’été prochain, les places sont rares” confirme Thierry du Jardin du Michel.
Reporter le programme 2020 ?
Et si les places sont si rares, c’est que la plupart des festivals ont fait le choix de reporter leur programme 2020 sur 2021, à l’instar du Hellfest qui a déplacé la quasi-intégralité de son programme à l’été prochain dès le mois de juin dernier. A Pause Guitare, Alain a lui aussi fait le pari de cette stratégie qu’il voyait comme la meilleure solution “on était optimiste, on avait vendu 44.000 billets, on a reporté le maximum de dates en juin et juillet en pensant que c’est ce que voudraient nos festivaliers”. Aujourd’hui le discours à changé : “peut-être que la situation ne sera pas normale l’été prochain et qu’on ne pourra pas tenir nos engagements, on est très inquiets, on n'a aucune vision. On se bat pour que le festival puisse se dérouler dans des conditions normales, mais peut-être que le pire serait que rien ne nous empêche de le faire et que l’on ne puisse pas le faire à fond”.
Habitué à nous faire découvrir des artistes, Jean-Michel Dupas reporte lui aussi “80 à 90% du programme prévu en 2020” même si “c’est frustrant de ne pas programmer de nouveaux noms. Mais on s’est engagé avec les artistes, les festivaliers nous on fait confiance en gardant les billets, on ne pouvait pas ne pas faire jouer les artistes prévus l’an dernier”.
D’autres festivals ont fait le choix de la nouveauté en ne reprogrammant qu’une partie de ce qui avait été annoncé en 2020. C’est le cas du Jardin du Michel qui ne conserve que la moitié de son programme et souhaite surprendre les festivaliers avec des nouveaux noms pour l’été prochain. “On est un festival de musiques actuelles, on a besoin de programmer des artistes qui font l’actualité. On a fait le choix de conserver la moitié du programme, ceux qui nous paraissent les plus pertinents en 2021, et on ajoute des groupes qui feront l’actu l’été prochain”.
Repenser le format
Une chose semble certaine, les programmes devraient en partie être amputés de certains noms internationaux. Les mesures sanitaires variant d’un pays à l’autre, l’organisation des tournées se voit de plus en plus compromise pour les artistes américains et anglo-saxons comme l’explique le directeur de Pause Guitare: “les anglo-saxons ne devraient pas beaucoup tourner en 2021, beaucoup ont déjà reporté à 2022”. Le festival est bien placé pour le savoir puisque parmi les têtes d’affiche 2020, Iggy Pop et Mika ne seront pas sur les routes l’été prochain. Les festivals vont donc privilégier les artistes français, comme ce sera le cas pour le Jardin du Michel avec “un programme quasiment 100% français” pour jouer la sécurité et éviter les annulations de dernières minutes comme on a pu l’observer du côté du Nancy Jazz Pulsations qui se déroule début octobre.
Même si les événements vont garder quelques noms internationaux au programme, la volonté sera néanmoins de ne pas mettre en péril tout le programme en cas d’annulation de ces artistes. “On les a tous programmé le même soir, si jamais on doit annuler, on remplacera la soirée entière, ça ne dégradera pas notre programme” explique Alain Navarro. Une volonté de s’adapter à toutes les situations et d’être prêt à toutes les contraintes. Les festivals travaillent tous en ce moment sur des plans alternatifs avec différents niveaux de règles à appliquer en fonction des choix gouvernementaux pour endiguer l’épidémie. L’équipe de Pause Guitare travaille en ce moment sur un format réduit, en tout assis où le programme serait réparti sur 10 jours au lieu de 4. Même son de cloche du côté du Jardin du Michel : “on travaille un plan B, un plan C, mais on fait quand même le pari de faire le festival comme il doit se tenir. Par respect pour tout ceux qui s'investissent sur le projet on doit essayer de le faire à fond”.
Les contraintes actuelles imposées par le gouvernement en format assis avec moins de 5000 spectateurs cadrent aussi les réflexions du Printemps de Bourges. “On privilégie cette piste pour le plan B, on repart à zéro et on travaille sur un rétroplanning cohérent. En janvier on devra avoir pris des décisions sur notre format” explique Jean-Michel. Tout en sachant pertinemment que les décisions du gouvernement seront tardives et ne tiendront pas compte de l’anticipation nécessaire aux festivals pour s’adapter.
Une volonté de faire le festival normalement qui anime et motive les équipes. Mais avec quelques changements contractuels comme nous l’explique le directeur de Pause Guitare: “on a ajouté des clauses liées à l’épidémie dans les contrats, mais il y a une telle incertitude de la part de tout le secteur sur l’équilibre financier que tout le monde est à l’écoute et prêt à s’adapter”. Ce que confirme le Printemps de Bourges : “on a ajouté une petite ligne dans les contrats concernant l’épidémie, mais c’est de bonne guerre. Tout le monde joue le jeu, tout le monde est solidaire”.
Reste maintenant à savoir si l'arrêt de l’inflation des cachets artistiques des têtes d’affiches tant réclamé dans le secteur fera parti du monde d’après.
Photo : Mathieu Foucher pour le Printemps de bourges