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Comment communiquer en tant que festival en période de crise sanitaire ?

Le rush de la rentrée passé, c’est habituellement dès le mois d’octobre qu'on commence à se projeter de nouveau sur tous les festivals qu’on va parcourir l’été suivant. Mais cette année plus rien n'est comme avant. Alors que de plus en plus de professionnels du secteur craignent une deuxième vague d’annulations, que les billetteries ne se sont pas encore remises de l’été passé, les organisateurs des festivals de musique sont contraints de s’adapter à l’impossible. Tour d’horizon des grandes thématiques qui composent l’organisation des festivals et de la façon dont ils vivent cette période. Episode 2 : la communication.

Après un été des plus calmes, les équipes des festivals reprennent leurs postes. Et alors qu’ils devraient être en pleine préparation des annonces de programmation ou d’ouverture de billetteries, les équipes de communication des festivals, qui se trouvent dans le flou le plus complet, sont hésitantes et plutôt timides face au grand public. Les incertitudes sur l’année 2021 planent sur tout le secteur culturel, impossible donc de se fier à un rétroplanning habituel ou de lancer de grandes opérations de communication pour l’édition 2021. Face à cette situation inédite, ils réinventent leur métier et la prise de parole des festivals. 

De mars à septembre, la roulette russe de la stratégie de communication

Eric Perrin vient tout juste de prendre son poste de chargé de communication du Hellfest lorsque la pandémie débute. Le début de la crise est brutal pour l'équipe de communication qui, à la veille du confinement, devait envoyer le programme du festival pour impression. Ce programme, très attendu par les festivaliers, publié dans le magazine Rock Hard et distribué lors des tournées Warm-Up, comporte le running-order des 3 jours du festival, les biographies des groupes mais aussi des informations sur les nouveautés de l’année et marque généralement le début des hostilités. Heureusement l’envoi chez l’imprimeur a pu être stoppé juste avant.  

De son côté, Gabriel Massei est chargé de communication du festival la Nuit de l’Erdre depuis fin 2015. 2020 aurait été la 5e édition du festival pour lui… si la Covid-19 n’avait pas pointé le bout de son nez alors même que le festival était bien parti pour battre tous les records avec 50 000 billets vendus en janvier, à 5 mois de la tenue de l’événement. A la veille du confinement le plan de communication de Gabriel pour la Nuit de l’Erdre était quasiment terminé, la plupart des partenariats s’apprêtaient à voir le jour, les campagnes média commençaient, la programmation complête venait d’être annoncée, « et 10 jours avant le confinement, les affiches avaient été commandées… aïe. »

A Marseille, Laurence Chansigaud, directrice de communication et des partenariats du festival Marsatac était sur le point de dévoiler la programmation 2020 : « On s’est arrêté juste à temps, on avait juste un quart d’affiche annoncé. ». 

Soudain toutes les équipes sont renvoyées chez elles, et face à cette situation inédite elles essayent tant bien que mal de continuer à faire leur métier, faire vivre le festival malgré tout et tenir les festivaliers au courant. Laurence explique : « Pendant tout ce temps où les choses s’acheminaient vers l’annulation, on a rapidement constaté qu’il fallait qu’on continue à communiquer, on ne peut pas ne rien dire. Jusqu’à ce qu’on prenne une décision d’annuler on était sur une communication de type ‘’on est au travail, on suit la situation jour par jour, on essaye d’échafauder des plans différents et dès qu’une décision est prise, on vous met au courant’’. » Mais ce qui devait arriver, arriva. « Une fois que l’annulation est tombée, on est restés dans une forme de communication sur nous. On a perçu qu’il fallait qu’on soit le plus ‘transparents’ possible et de montrer ce qu’on était en train de faire : comment se passe une annulation, quels étaient nos métiers, qui on est, à quoi on sert… on a fait une série de vidéos ou de prises de parole écrites et on a maintenu comme ça un lien assez intime et assez constant sans forcer pour autant. »

Même si les festivals ne peuvent pas avoir lieu en physique, certains s’organisent tout de même pour proposer à leurs fans un programme numérique et marquer malgré tout le coup, à l’instar du Hellfest qui lance le Hellfest From Home, une véritable expérience numérique en livestream avec la rediffusion de concerts mythiques des années précédentes mais aussi des concerts inédits filmés exceptionnellement pour l’événement. 

Autre stratégie du côté de Marsatac : « Plutôt que de remplacer le festival par un livestream qu’on estimait un peu triste puisque le sens de ce qu’on fait c’est vraiment dans la rencontre du public et de l’artiste, on est partis sur une rétrospective. On a sorti un podcast en deux épisodes pour lequel on s’est plongé dans les archives sonores du festival depuis 22 ans et on a monté une édition qui retraçait l’histoire du festival avec les artistes, les programmateurs historiques, les premiers groupes qu’on a programmé en 99, toute la scène rap marseillaise de l’époque. » Une manière de marquer le coup, symboliquement et numériquement, à cette date durant laquelle le festival devait avoir lieu au Parc Chanot. « Ça nous a fait beaucoup de bien, on l’a beaucoup fait pour nous aussi. C’était pas une période très gaie et ça nous a permis de nous projeter vers l’avenir revenir sur ce qu’on est et ce qu’on fait pour mieux rebondir en 2021. »

Pour toutes les équipes, l’espoir renait au début de l’été, les annulations étant maintenant de l’ordre du passé et toutes voiles mises dehors pour 2021. Eric nous fait part d’un petit rayon d’optimisme : « en juin-juillet puisqu’on sortait de confinement et l’équipe de programmation a pu très rapidement revalider l’affiche 2021 avec 90% des groupes de la programmation 2020 qui devraient être de la partie l’année prochaine. »

Chez Marsatac aussi on a vécu l’été comme un soulagement : « On est parti en vacances dégoutés de ce qui s’était passé mais en pensant qu’on avait fait le plus dur tout en protégeant au maximum notre écosystème, et on était pleins d’espoir pour la rentrée. On avait hâte de repartir en septembre sur un calendrier plus normal. ». Mais la rentrée et le retour en pleine pompe de l’épidémie sont tombées comme un coup de massue : « Quand on est revenu et qu’on s’est aperçu que ça n’allait pas se passer comme ça, qu’on ne pouvait pas juste remettre tout le monde au travail et réenvisager une nouvelle édition, c’était le choc. »

Un rétroplanning en forme de casse-tête

A la rentrée, l’ensemble des stratégies de com et des rétroplannings tombent à l’eau. Malgré son report, l’édition 2020 du Hellfest était déjà sold-out depuis bien longtemps et très peu de festivaliers ont fait la demande de remboursement. C’est une très bonne nouvelle pour le festival, mais qu’en est-il de l’équipe com ? « Pour le moment, on est dans une phase de remodelage du plan de communication. D’habitude on annonce la nouvelle édition en septembre, en octobre on met notre billetterie en ligne et puis en novembre-décembre on annonce la programmation du festival. En fait tout le travail de communication est vraiment concentré sur ces 3 mois de la rentrée. » Eric et son équipe décident donc de rester un peu discrets, puisque pour le moment ils n’ont pas de nouvelles choses à annoncer pour la prochaine édition et de laisser la parole aux plus mutilés du secteur.  « On n‘est pas prioritaires dans l’actualité d’autant plus que les salles de concert sont fermées, il y a des boites de prestataires qui sont en grande difficulté donc on a préféré leur laisser de l’espace médiatique et soutenir des initiatives dans ce sens. On a la chance d’avoir une grosse communauté qui nous suit malgré tout, donc ce n’est pas grave si on se fait plus petits. »

Si le Hellfest est moins inquiet, il n’en est pas de même pour les plus petites structures. Du côté de la Nuit de l’Erdre, l’annulation a posé des vraies problématiques en termes de points forts de communication dans l’année : « Habituellement sur la partie communication on a de vrais temps forts qui vont être les lancements de billetterie, les annonces de programmation… qui vont donner des coups de boost sur les réservations et là on a moins de cartouches puisque notre billetterie est déjà lancée, même si elle est pour le moment en stand-by, et la plupart des noms sont déjà dévoilés. »
Et ce n’est pas anodin si le festival a déjà annoncé 14 artistes sur 23 : « On a choisi de reporter le festival à 2021 et proposer de conserver les billets pour l’an prochain avec une période fixe de remboursement. On a donc volontairement choisi que cette période soit longue de manière que ça nous laisse le temps de caler la reprogrammation des artistes et d’annoncer un maximum de noms avant la fin de la période de remboursement et que les gens puissent décider s’ils veulent garder leur billet ou pas en connaissance de cause. »

Bien que le public habitué des festivals ne cesse de crier son impatience de retrouver ces grands rendez-vous de l’été, la situation sanitaire très fragile ne permet pas de savoir aujourd’hui à quelles conditions ceux-ci vont pouvoir se tenir en toute sécurité. Le public est donc bien plus frigide et ne se bouscule pas aux guichets des billetteries. Pour Gabriel, il y a un vrai enjeu dans la communication à maintenir le lien avec les festivaliers, montrer que le festival est encore bien là et ne pas se faire oublier : « Il faut qu’ils gardent en tête qu’on est hyper motivés et qu’on n’a qu’une envie c’est que le festival puisse se tenir. »

Un public impatient mais aussi un public inquiet, constatent les équipes de Marsatac : « En ce qui concerne les échanges directs avec les festivaliers, le seul sujet pour le moment c’est les remboursements. Certains festivaliers se demandent encore quand ils vont être remboursés, parce que chez certains prestataires billetterie ce n’est pas encore fait. C’est aussi pour ça que ça nous parait un peu délicat de prendre la parole sur d’autres sujets tant qu’on n’a pas soldé ça ou au moins tant qu’on n’est pas sur la fin de ce processus de remboursement. On est justement en train de préparer un post là-dessus… »

Annulation ou report : les conséquences sur l’identité des festivals

Au-delà du retroplanning à ajuster, l’équipe de communication est également en charge de l’identité visuelle du festival. Encore une thématique sur laquelle il a fallu faire des choix, débattre réfléchir, et encore une fois, tout le secteur est touché : « On a beaucoup parlé entre homologues pour échanger sur les bonnes pratiques » explique Gabriel Massei « que faire d’une identité qui a été conçue pour un festival qui n’a pas eu lieu et qui n’a pas été exploitée à 100% ? C’est extrêmement frustrant, c’est quelque chose sur quoi on bosse pendant des semaines, si ce n’est des mois pour aboutir à cette identité, ce à quoi devrait ressembler le festival pendant un an…». Comme l’organisation de la Nuit de l’Erdre a fait le choix de conserver une bonne partie de la programmation pour 2021, à quelques ‘remplacements’ près, l’identité visuelle de 2021 devrait être quasiment la même que celle de 2020 avec des petits ajustements, par souci de cohérence.

Le Hellfest part également sur cette option : garder le travail de 2020 tout en l’enrichissant puisque contrairement à d’habitude, les équipes disposent davantage de temps. : « On a refait un shooting photo nos amis de Clack pour avoir différentes poses de notre personnage pour enrichir nos supports et donner une nouvelle touche à l’aspect graphique de l’édition 2020. »

Du côté de Marsatac c’est une autre stratégie qui a été adoptée : « On a fait le choix de scratcher l’événement de 2020 : on devait faire la 22e édition en 2020, en 2021 on fera la 23e en repartant d’une page blanche, y compris en termes de prog ou encore de l’identité visuelle. » explique Laurence « En juillet avant de partir en vacances, on avait pris un peu d’avance sur les créas : on a imaginé notre visuel, repéré des artistes et le photographe, on les a lancé sur le projet, ils ont commencé à travailler en août et là en ce moment, on est vraiment sur le shooting de notre visuel. Donc quoi qu’il arrive, on aura un visuel ! On aura une nouvelle identité graphique comme chaque année et quel que soit le format que prendra le festival, ce n’est pas du travail de perdu. »

Quand le festival n’est pas là, les projets mis de côté dansent

L’identité visuelle c’est fait, et maintenant on regarde les mouches voler ? Pour les équipes de communication, il est hors de question de se tourner les pouces en attendant qu’une décision quelconque arrive. « Au Hellfest, comme on a un peu de temps libre, on avance sur d’autres dossiers. Par exemple là on commence à réfléchir à la maquette du programme 2021 alors qu’en temps normal c’est quelque chose qu’on ne commence qu’en janvier. On avance sur les tâches qu’on fait d’habitude en janvier-février, histoire de pas être dans le rush si en janvier il faut annoncer la dizaine de groupes à reconfirmer, rouvrir le site internet les détails avec les infos pratiques... » Et qui dit temps libre, dit également se remettre sur les vieilles to-do lists : « Ça permet de s’occuper de choses qui étaient un peu parties aux oubliettes depuis quelques années. Là par exemple on va lancer un nouveau site web pour notre merchandising. »

Même constat côté Nuit de l’Erdre : « On a plus de place actuellement pour parler de sujets de fond sur l’organisation d’un festival qui ne sont pas suffisamment mis en valeur habituellement. Dans le contexte dans lequel on vit je pense que c’est d’autant plus important que les gens puissent se rendre compte en quoi consiste un écosystème de festival et ce que ça implique à l’échelle de l’industrie musicale, territoriale, sociale, économique… ce sera sans doute l’un des vecteurs de communication qu’on va utiliser sur les mois à venir. » Un appel à l’aide en quelque sorte, « Aujourd'hui, la situation dans laquelle se trouve la culture est gravissime, et nous partageons ce sentiment avec toute la filière d'être laissé de côté, oublié. Dans un tel flou, trouver les sujets adéquats est très difficile, au même titre qu'il est extrêmement difficile de se projeter. »

Pendant ce temps-là, les équipes de Marsatac profitent de cet espace libre pour mettre en lumière des projets annexes : « Nous on pense plutôt reprendre la parole pour évoquer nos projets en propre, que ce soit nos projets de création, nos tremplins, le projet « La Frappe »… On va se focaliser sur ce qu’on fait concrètement. »

Et si tous avancent en gardant la tête haute et en essayant de positiver, ils s’accordent à dire qu’il faudra une réelle prise de position du côté des autorités, des réponses et des solutions rapidement afin d’éviter une deuxième année catastrophique de pertes et la condamnation fatale de nombreuses structures. Quand on leur demande une estimation sur la date butoir à partir de laquelle la bonne tenue des festivals de l’été sera compromise, tous évoquent janvier 2021. Et cette date, du côté de la Nuit de l’Erdre, on y a longuement songé : « Ces derniers jours on a travaillé sur un rétroplanning en repoussant au plus tard possible chacune des missions en regroupant toutes les missions principales et on a imaginé une date de décalage au plus tard possible et avec les délais les plus courts possibles pour essayer d’établir un point de non-retour. Evidemment, c’est en partie subjectif car on ne sait pas dans quel état seront nos interlocuteurs d’ici là et il y a beaucoup de critères sanitaires et sociaux qui vont évoluer d’ici là. » 

Le plus important pour le moment, se serrer les coudes et rester en contact nous avoue Gabriel : « La priorité est de conserver le lien avec le public évidemment mais aussi avec nos bénévoles, nos partenaires, nos prestataires. On a régulièrement au téléphone nos homologues car même si on a peu de visibilité sur les mois à venir on essaye de se tenir informés entre nous, se poser un maximum de bonnes questions sur comment se projeter sur l’année à venir et essayer d’imaginer la suite. Pendant le confinement on prenait des nouvelles des prestataires comme les magazines culturels gratuits, des boites de diffusion qui font des campagnes d’affichage, toutes ces structures qui font vivre les événements mais qui vivent aussi des événements. » Laurence de Marsatac elle aussi regrette les rendez-vous phares où les professionnels du secteur pouvaient se retrouver et échanger : « C’est ce qui nous manque en ce moment, de se voir et de se parler. On l’a beaucoup fait pendant le confinement mais maintenant que chacun est retourné travailler chez soi après les vacances, les occasions de se parler sont redevenue plus rares.»

Credit photo : â’¸ Niko Hellzine