On était à
Pitchfork Music Festival, ça souffle le chaud et le froid

Le Pitchfork, né chez l'oncle Sam, s'est expatrié dans la Grande Halle du Parc de la Villette à Paris depuis sept ans. Quand l'hiver pointe le bout de son nez gelé, le festival se propose de nous réchauffer les oreilles, grâce à un line-up arty, à base de rock indé, de hip-hop alternatif et d'électro défricheuse. Cela faisait quelques années que nous n'y avions pas pris la température, on était donc chauds-bouillants à l'idée de se remettre dans le bain. Voici le bilan de nos trois jours.

Jour 1. 18h09, survitaminés

Est-ce le temps glacial qui accompagne notre venue, ou bien l'impatience d'en découdre, qui accélère notre pas pour rentrer sur le site ? Quoi qu'il en soit, nous arrivons de bonne heure, et c'est avec une fluidité rare que nous passons les contrôles pour arriver en trois minutes chrono devant la scène, pour la fin du court concert cool-disco de Cola Boyy. Ambiance sympathique pour un bonhomme atypique qui comble les imperfections de sa voix par du flegme et de l'humour. Le public est encore très clairsemé, on en profite pour faire un état des lieux avant qu'ils ne soient pris d'assaut. On découvre un décor épuré, tamisé et cosy, où tout se joue sur la symétrie : une scène d'un côté répond en alternance à la deuxième à l'autre extrémité de la salle; les bars se tournent le dos à équidistance au rez-de-chaussée et se font face à l'étage ; la fosse en bas pour la foule en liesse contraste avec les mezzanines BCBG... Même dans les couleurs choisies pour représenter cette édition on retrouve une dualité, entre le rose chaud et convivial et le bleu plutôt froid. Tout est propre, soigné, un chouïa trop sage pour nous. Dommage, car cette Grande Halle aux allures de cathédrale a un potentiel énorme pour envisager toutes les meilleures excentricités.

19h33, au-dessus, il y a le soleil

© Vincent Abrelet

Sur ces réflexions, on file s'en retirer plein les poches aux stands cashless, nombreux et bien disponibles en ces débuts de soirée. Une Heineken plus tard, on est absorbés par le spécimen Yellow Days (photo), basse chewing-gum, mélodies marshmallow et voix soul qui ne s'interdit pas de partir en free-style. Ce sera notre bonne surprise de la soirée. Si le chanteur n'a pas l'air toujours tout seul dans sa tête, on met une piécette sur lui et on parie qu'il n'a pas fini de mettre nos oreilles au tapis.  

20h01, ça pique un peu

Ca se remplit tout doucement côté public, ce qui facilite grandement la déambulation dans les lieux. On ne se bouscule pas, et c'est plaisant. Bien en appétit, on part en quête de nourriture, et tel le chant des sirènes, c'est l'appel de l'accent niçois qui nous appâte : on mise sur les gnocchis à l'arrabiata et aux copeaux de parmesan à 8 € : c'est bon, c'est frais, on aurait juste aimé en avoir au moins dix à ce prix-là.  

21h12, un éléphant dans un magasin de porcelaine

© Maria Louceiro

Pas démoralisés pour autant, on part se défouler devant John Maus (photo). Au moins, lui et nous sommes sur la même longueur d'onde : loin de n'avoir que de la gueule, il semble monté sur ressorts et livre un concert d'extraterrestre aussi déroutant que fascinant, à la fois minimaliste et bien en jambes. Ça riff et donne un peu de crasse bienvenue à ce festival décidément trop propret. On ne saurait dire à ce moment-là si c'est à cause de cette prestation mal comprise que le public est autant sur la réserve, mais on découvrira par la suite qu'il s'agit bien d'une constante, à très peu d'exceptions près.

00h11, it's all good man

© Vincent Abrelet

Ce ne sont ni le set flambant neuf et résolument rock d'Etienne Daho, ni le snobisme de Julian Casablancas avec The Voidz, - cette boîte de chocolats dans laquelle tu ne sais jamais ce que tu trouveras, le corsé écoeurant à la liqueur de cerise, le pur bien fort au chocolat noir concentré ou celui au lait enveloppant qui te rappelle à ta douce jeunesse-, qui parviendront à changer la donne. Le salut viendra du last but not least Mac Demarco (photo), qui, s'il n'a pas révolutionné l'ambiance par le rythme de ses chansons doucereuses et légères, a amené du pep's, de la jeunesse, et de la générosité. Ça, et des packs de bières aussi. Ses interactions multipliées (il prendra un enfant sur ses épaules en fin de concert), ses gaudrioles et l'accessibilité de sa musique face à des fans conquis d'avance finiront par sortir, un peu, la masse de sa léthargie. A moins que ce soit les cris endiablés entre deux paroles qui aient réveillés tout le monde ? C'est sur un solo WTF de reprises de rock sale qu'on attendait pas, par le guitariste qui aura fait tomber le t-shirt pour l'occasion, que se terminera ce concert et cette première soirée, prometteuse mais à l'arrière-goût mi-figue, mi-raisin. On voulait du déjanté, on a déchanté.

Jour 2. 18h02, un ange passe

© Matt Lief Anderson

La température extérieure n'est pas beaucoup mieux que la veille, mais nous, on est toujours chauds comme la braise. On arrive face à Tirzah (photo), et on est immédiatement calmés, dans tous les sens du terme. Devant nous, un petit bout de femme nous rappelle des airs de The XX, par sa voix fragile aux teintes mélancoliques. C'est une pop douce qui bricole des sonorités soul assez lyriques et hypnotiques. Nos petits cœurs tout mous sont conquis, et on se dit que ça vaudrait le coup de la revoir dans un concert plus long (une demi-heure ici), histoire de vraiment s'imprégner et laisser le temps à son univers de s'installer.

19h30, on fait notre marché

© Alban Gendrot

La soirée se poursuit ensuite avec Dream Wife, Lewis OfMan et Car Seat Headrest. Franchement agacés par les minauderies punk surjouées des premières, un peu déçus par les (trop grandes ?) attentes que l'on plaçait dans le deuxième et pas emballés par le style du troisième, on choisit de partir en exploration des à-côtés du festival, situés sur les mezzanines. On découvre l'espace « Playground » de la Greenroom portée par le groupe Heineken omniprésent, et on doit dire que ça ne manque pas de bonnes idées. Entre les balançoires suspendues, le jeu de coopération en binôme où l'on a une minute pour communiquer par talkie-walkie, dénicher chez un disquaire virtuel la perle rare pour notre partenaire ET repartir avec la mise gratos, le blindtest enflammé, le jeu concours pour remporter une malle de vinyles et le karaoké avec guests qui interviendra un peu plus tard dans la soirée, on est comme des gamins, et on ressort de là avec quelques pépites en supplément. On est pas déçus non plus à l'étage de l'autre côté, où l'on prend le temps de parcourir un marché de créateurs proposant des objets artisanaux, de découvrir des ateliers masques-pailletés, nail art, flash-tatoo, sérigraphie, et de fouiller dans l’espace friperie qui séduirait tout bon hipster qui se respecte.

20h43, mais qu'est-ce que cette diablerie ?

© Matt Lief Anderson

Au loin, quelques notes funky se font entendre, on retourne fissa dans la fosse. Devant nous, beaucoup plus de monde que la veille, et les lovers québécois de Chromeo, pas nés de la dernière pluie pour ramener du soleil partout où ils passent, avec une electro-funky-rnb chaloupée. Au départ, on reste sceptiques face à la vision que l'on a sur scène. Le chanteur, tout de cuir vêtu et lunettes noires sur le nez, en fait des caisses pour se donner du style, à tel point que ça en est à la limite du ridicule. Mais très conscient de son fait, et avec humour, il entraîne son monde de manière irrésistible, et on se surprend petit à petit à remuer du genou malgré nous, avant de complètement se déhancher, tant le rythme est efficace. On n'est presque plus dérangés par l'utilisation à outrance de l'auto-tune, utilisé par ailleurs en plein set pour ambiancer le public. Un peu d'autodérision, et tout est pardonné. Ça danse sévère partout autour de nous. Les parisiens guindés lâchent un peu de leste, et c'est beau à voir.

22h00, Bagarre emporte le morceau

© Alban Gendrot

Si Chromeo a bien commencé le boulot, c'est Bagarre qui met tout le monde K.O. Dès le départ, le collectif est là pour tabasser, pour défoncer musicalement tout ce qui passe. A une allure effrénée, leurs beats mettent tout le monde à terre. L'objectif était de sortir le public de sa zone de confort, et par un travail de sape, les membres multi-instrumentistes en prenant tour à tour le micro, tous plus vénères les uns que les autres, emportent l'adhésion totale d'une majorité et provoquent les seuls et uniques pogos et slams que l'on verra du festival. Plus personne ne trouve sa droite de sa gauche, on en a pris plein la tête et on est bien heureux comme ça. Petite pause nécessaire, on entend par la suite d'une oreille distraite passer la synth-pop-paillettes de Chvrches et les nouveaux titres à tendance soul de Blood Orange accompagné de ses chœurs aux envolées bluffantes.

01h09, Friday Night Fever

© Alban Gendrot

Un délicieux burger de l'amour et une pinte plus tard, nous revoilà d'aplomb pour finir cette deuxième soirée avec le surdoué Kaytranada. Du haut de ses vingt-cinq printemps, il offre un set pointu d'electro-funk qui sent bon le bitume. On se fait immédiatement attraper, on suit le mouvement de danse déchaîné de l'animation sur écran derrière le DJ, auquel on ajoute quelques pas enfiévrés dont on a le secret. Le public se lâche autant que faire se peut, s'amuse, visiblement heureux des trouvailles sonores qui se suivent, et se trouve un peu abasourdi lorsque cela cesse. Nous terminons fatigués, mais prêts pour le bouquet final de la troisième et dernière soirée.

Jour 3. 20h46, le public est mené à la baguette

© Alban Gendrot

Le public est bien tassé lorsqu'on arrive, accueillis par les ballades psychédéliques des quatre musiciens d'Unknown Mortal Orchestra. La prestation nous paraît inégale, par moments cryptique et foutraque, d'autres fois très prenante. Une nouvelle fois, le public réagit peu, et reste dans sa torpeur quand le chanteur décide de se faire un bain de foule en descendant de scène. On a la triste impression que le groupe fait office de première partie pour la tête d'affiche de la soirée, celle que tout le monde attend fébrilement.

22h23, un singe en hiver

© Vincent Arbelet

Cela valait le coup d’attendre, et chacun en a pour son argent pendant une heure et demie. L’'américain Bon Iver offre un show simple mais de haute volée. Voix haut perchée, univers lumineux et mélancolique, il nous fait voyager en terres folk, on aurait presque peur de cligner des yeux par peur de perdre une miette de la beauté visuelle et sonore qui entourent le concert. La moitié de la Halle est pleine à craquer, et d'une immobilité révérencieuse, en état de grâce.

22h59, et ils sont où les Parisiens ?

Surprise à la fin du concert, un gros tiers, voire une petite moitié des fans se volatilisent... Pas vraiment des oiseaux de nuit, au Pitchfork ? La Halle nous semble soudain bien vide, et même si cela se remplit de nouveau un moment plus tard, une partie du public sera bel et bien définitivement parti. Le fait était visiblement anticipé par l'organisation, puisque des billets « Club Night » étaient en vente le soir-même pour un accès au site uniquement à partir de 22h45. Comme un passage de relais, le calme des premiers venus a été remplacé par la fraîcheur des clubbers chevronnés, transformant le festival en une immense boîte de nuit et, -presque-, une soirée banale de la nuit parisienne, s'il n'y avait pas la démesure du site et la prog' trois étoiles. On constate aussi que certains courageux, mais pas téméraires, sont restés sans que le cœur y soit vraiment : prostrés, assis dans des recoins, accrochés à leur téléphone, on se demande encore pourquoi ils ont choisi de s'infliger d'attendre dans cet inconfort. Nous, nous sommes prêts à tout donner sur le dancefloor, en compagnie de nos nouveaux compagnons de jeu.

02h41, rendez-vous en terre inconnue

© Alban Gendrot

L'endurance est de mise, car les concerts qui suivent sont de plus en plus pointus, et aucun n'épargne nos pieds épuisés. La house groovy de Jeremy Underground qui ouvre les festivités de deuxième partie de soirée réunit tout le monde pour danser, et le set qui suit de DJ Koze se fait dans une certaine continuité, avec succès. Mais c'est Peggy Gou et sa house tropicale, qui s'était déjà fait remarquer aux Nuits Sonores cette année, qui nous séduit le plus et nous transporte de bout en bout. Avalon Emerson et Daniel Avery ne démériteront pas, mais avec une musique moins accessible, nous finirons par abdiquer, satisfaits d'être aller au bout de la nuit pour finalement trouver autour de nous la touche de folie qui nous a manqué pendant trois jours.

Le bilan

Côté concerts

Le grand frère

Mac DeMarco, la coolitude incarnée, pour un concert en communion avec sa grande famille de fans

L'oncle embarrassant

John Maus, on essaye encore de déterminer de quelle planète peut venir un être aussi étrange et génial à la fois

La petite sœur fragile

Tirzah, on la distingue à peine sur scène et pourtant elle a tout d'une grande

Les cousins insortables

Bagarre, opération coup de poing réussie pour un concert dont le public se souviendra longtemps

Côté festival

On a aimé

- La programmation, internationale, éclectique, défricheuse

- Les artistes féminines à l'honneur, notamment les Djettes

- La beauté du cadre de la Grande Halle et la fluidité pour circuler

On a moins aimé

- Le prix des places (une cinquantaine d'euros la soirée)

- Le manque de signalétique et de point infos

- Le manque « d'ambiance festival » dans l'attitude du public

Infos Pratiques

Prix de la bière
Heineken - demi 4,50 €, pinte 7,5€ ; H71 – demi 5 €, pinte 8,5 €

Prix de la nourriture
Burgers à 12 €, Bo bun à 12 €, plats syriens et éthiopiens entre 6 et 9 €, crêpes à 9 €, gnocchis à 8€, sandwichs à 10 €, tapas à 7 €, frites à 4 €.

Prix du festival
Billet 1 jour 50 à 55 €, Pass 3 Jours 135 €, billet « Club » du dernier soir 20 €.

Transports
Métro ligne 5 Porte de Pantin, Tramway ligne 3b Porte de Pantin-Parc de la Villette

Conclusion

Cette huitième édition aura confirmé l'ambition du Pitchfork Music Festival Paris de se placer parmi les rendez-vous incontournables de l'automne et comme une référence parmi les précurseurs les plus en vogue du moment. Avec une programmation exigeante, très internationale et équilibrée entre têtes d'affiche et paris gagnants, associée à une organisation soignée et limpide, il a déjà tout d'un grand. Ne lui manque qu'une base plus représentative de fidèles inconditionnels, un peu moins touristes au sens littéral et figuré, capable de le faire déborder juste ce qu'il faut du cadre pour ancrer, plus qu'un nom, un style unique qui n'appartiendra qu'à lui.   

Récit : Anna Cortese
Photo de couverture : Alban Gendrot