On était à
Jazz à Vienne : un avant-goût du futur

Cette année c’est l’ouverture de la quinzaine que l’on a privilégiée. Entre l’adaptation à la canicule, la mise en avant de la nouvelle génération au tremplin national de jazz, et la création spécialement commandée par le festival, la 39ème édition de Jazz à Vienne met les pieds dans le futur. Démonstration.

Jour 1. Vendredi 28 juin. 16h00, mettre en avant les groupes français de demain

Cette année on passe trois après-midi de 15h30 à 20h00 sous le velum de la scène de Cybèle, pour le tremplin ReZZo Focal Jazz à Vienne qui met en avant la nouvelle génération du jazz hexagonal. Trois groupes par après-midi, préalablement sélectionnés en régions, se produisent durant 45 minutes dans un timing précisément respecté. Ils foncent droit devant eux, ces jeunes musiciens – trente au total – ils ne se posent pas de question existentielle de légitimité, ils imposent leur chance et leur fraicheur, et rien que pour ça on les admire. Ouvert par le duo Robin Mansanti - Dexter Goldberg (Île-de-France) (photo), le tremplin voit se succèder les projets Lynx Trio (Normandie), Pol Trio (Pays de la Loire), Raoul jazz Clan (Centre Val-de-Loire), Mental Climbers (Ile-de-France), Yannic Seddiki Trio (Hauts de France), Iray (Auvergne Rhône-Alpes), ARK Trio (Bourgogne Franche Comté), Léon Phal 5tet (Grand Est). 

20h30, s’adapter à la météo du futur

L’enseigne de la pharmacie où l’on va s’acheter de quoi soigner nos premiers bobos de chaleur affiche +43°C. Nos conseils pour résister aux après-midi à Cybèle ? Dégainer d’un geste sûr une serviette éponge, la glisser entre son short et sa chaise en plastique - ça c’est Palace ! - puis à chaque intermède entre les sets, passer sous les arches de brumisateurs qui équipent le site. Le Théâtre Antique où l’on enchaîne direct à 20h30 sans douche intermédiaire – imaginez l’état de la bête – est également équipé d’une arche aussi puissante qu’une douche (photo). Jazz à Vienne s’adapte aux conditions : les bouteilles en plastique et les brumisateurs sont cette année autorisés sur les sites. Parions qu’ils le seront à nouveau l’année prochaine. Cause canicule, le festival a par ailleurs subi l’annulation du spectacle jeune public prévu le matin-même, préparé par le saxophoniste Raphaël Imbert pour 6000 enfants des classes primaires.

22h15, initier une création musicale, une promesse d’avenir pour un festival

Cela fait trois ans que le festival murissait la création qui ouvre ce soir le festival après la première partie de Michelle David & The Gospel Sessions - de la soul servie par la voix brute, d’une puissance inouïe de la chanteuse néerlandaise d’origine afro-américaine (photo). « Up Above My Head », un des morceaux chantés par Michelle, donne aussi son intitulé au spectacle conçu par le pianiste Raphaël Lemonnier : une réadaptation des protest songs, des work songs, des negro spirituals en jazz, blues et gospel, avec les chanteuses Camille, Sandra Nkaké, entourées de Christophe Minck, Pierre-François Dufour et Raphaël Imbert. Dans la mise en espace de Robyn Orlin, il y a une volonté de faire spectacle, avec le noir sur scène entre chaque tableau et des tenues de couleur ocre comme chargées de la poussière du labeur dans les champs. De hautes cannes dont se servent les chanteuses, pieds nus pour marteler le rythme, puis comme pivots pour danser, et enfin qui les supportent lorsque courbées elles donnent à voir le fardeau de fatigue. Les moments les plus marquants pour nous sont le duo Strange Fruit avec l’envolée free du saxophoniste et le chant puissant de l’interprète de Like a Buffalo, ainsi que les a-capella recueillis lorsque tout le groupe se resserre scène, fronts collés aux cannes et regards baissés.

23h45, miser sur la cure de jouvence du site, pour le confort du futur

A l’heure de quitter le Théâtre après plus d’une heure quarante de concert de création – ce qui d’ailleurs paraît trop long, le projet gagnerait à être plus ramassé - l’éclairage qui équipe les escaliers côté stand cashless guide nos pas. Avant que la nuit ne tombe, c’est la blancheur d’une partie des gradins « gommés » qui attirait l’œil. Et pour cause : après 80 ans sans travaux d’ampleur dans le plus grand théâtre romain de France - une des plus grandes salles en plein air d’Europe -  des travaux de rénovation et d’agrandissement sont engagés depuis quelques mois. Dans les déambulatoires, les sols sont en réfection et des lumières par LED sont installées (photo). A terme, des gradins supplémentaires de l’ordre de 500 places sont annoncés. Le chantier engagé, mis en suspens cet été le temps du festival, est colossal.

Jour 2. Samedi 29 juin, 22h05, toujours plus d’eau pour nos étés du futur 

Après une nouvelle journée sous le velum de Cybèle pour le Tremplin Jazz, notre état poisseux impose un aller-retour douche. Du coup on rate Chilly Gonzales en ouverture de soirée au Théâtre Antique, alors que le récit qu’avait fait notre équipe de son dernier passage dans la région aux Nuits Sonores était alléchant. Avec les températures, le stand de glaces artisanales est chaque jour gagnant (photo) ; pour notre part on reste pour le moment à l’eau et au jus pomme-framboise. A 22h Christophe Chassol présente son projet Ludi dans lesquels il boucle de courtes séquences vidéos qu’il accompagne aux claviers avec Mathieu Edward à la batterie. La performance part d’une lecture enregistrée du Jeu des perles de verres d’Herman Hesse puis juxtapose le potentiel rythmique et chantant des bribes du quotidien. Le jeu de mains de petites filles dans une cour de récré, le bip des jeux d’arcades, le rebond des balles de joueurs de basketball, les montagnes russes dans un parc d’attraction. Les vidéos projetées incluent des apparitions du flûtiste Joce Mienniel et du chanteur Thomas de Pourquery. L’inventivité rythmique de cette bande-son qui se construit en direct est emballante. (photo de couverture).

01h00, programmer le nouveau son du jazz international

A 23h30 au Théâtre Antique, les mauncuniens de Gogo Penguin déroulent leur dernier opus, A Humdrum Star. Autour de nous est palpable la ferveur de fans pris par l’univers électro-acoustique du trio, la tension rythmique redoutable, les mélodies sombres qui se veulent cosmiques. On file après minuit au Jazz Mix découvrir en live la chanteuse Allysha Joy et le collectif 30/70 qui incarnent la vitalité de la scène de Melbourne (photo). La similitude vocale d’Allysha avec son aînée Nai Palm de Hiatus Kaiyote est frappante. Avec aisance et décontraction, elle place des coups de cowbell par-ci, un collier de cochettes pour la touche spirituelle par-là. Au final le combo neo-soul jazz, funk, boom-bap, mâtiné de rythmiques afro-caribéennes de ces jeunes Australiens nous conquiert jusqu’au rappel. On touche quasiment à de la afro-house instrumentale et ça, nous on adore.

Le bilan

Côté concerts

Les découvertes hexagonales
L’ensemble des groupes de la nouvelle génération du jazz français, scène de Cybèle

Le quotidien transformé en tube pop
Le nouveau projet hybride (« ultrascore ») de Christophe Chassol intitulé Ludi

La néo-soul de Melbourne
Allysha Joy avec le groupe 30/70

Côté festival

On a aimé :
-Les sites équipés de brumisateurs
-La mise en lumière du Théâtre Antique 

On a moins aimé :
-Les bobos de chaleur

Infos pratiques

Prix du jus pomme framboise bio : 3 euros
Mode de paiement : cashless
Prix des concerts : Cybèle et Jazz Mix gratuits / 105 euros le pass de 3 soirées au Théâtre Antique 
Transports : à 20 minutes en TER de Lyon 

Conclusion

Rénovation engagée du site, inscription dans la durée du tremplin national pour la jeune scène française à Cybèle, engagement dans une création musicale au Théâtre Antique, programmation pointue au Jazz Mix : autant de promesses pour les futurs étés caniculaires à Vienne.

Récit et photos : Alice Leclerc