On était à
Cabaret Vert 2023 : quand l'EHPAD part cinq jours en festival

Vous êtes-vous déjà posé la question de savoir comment un couple de trentenaires, avec une femme enceinte de surcroit, passe un festival de 5 jours, qu’il fréquente depuis des années sans connaître le quart des artistes programmés ? Non ? Et bien nous, nous avons tenté l’expérience. On vous invite à suivre notre épopée au sein de l’incontournable Cabaret Vert, au cœur des Ardennes, attention sensations fortes garanties.

Jour 1. Mercredi 16 août. 19h37, une saison en enfer ? 

Le Cabaret Vert, enfin nous y voilà ! Pour la deuxième année consécutive, le festival se déroule sur cinq jours et on ne va pas se le cacher, la seule raison de notre venue dès le mercredi c’est la présence de Calvin Harris. À l’instar de Stromae l’année dernière, c’est autour de lui que s’est construite cette première soirée. Hormis Hamza et Damso, on doit bien avouer qu’on n'a aucune idée de qui sont les (très nombreux) rappeurs programmés ce soir. Ce dont on est sûr c’est qu’on a rarement vu un public aussi jeune au Cabaret Vert. On sent d’ailleurs un réel décalage entre nous et les festivaliers, notamment lorsque l’on se rend sur le Green Floor, magnifique espace au milieu des bois dédié au rap et à l’électro, auquel on accède en traversant la Meuse (photo).On a beaucoup de mal à se mettre dans l’ambiance, mais manifestement c’est loin d’être le cas pour la majeure partie des festivaliers, après cela s’explique peut-être par le fait que le seul truc que l’on ait gobé ce soir, c’est les perles du Bubble Tea que l’on vient d’acheter.

01h13, les effets de Mandragora

Quelques déambulations sur le site plus tard et nous voici face à Calvin Harris sur Zanzibar, la scène principale. S’il est exagéré de dire que l’on vit un concert de folie, celui-ci a le mérite de se dérouler dans une atmosphère moins oppressante que ce qu’on a vécu précédemment, on se dandine donc sans trop se faire prier pendant une bonne heure. Après la prestation du DJ, nous nous dirigeons vers la sortie, comme beaucoup d’autres festivaliers, mais nous sommes littéralement happés par le show visuel émanant de la scène des Illuminations (photo). L’artiste qui se produit est Mandragora, et comme la grande majorité des artistes programmés ce soir, on le découvre. Exploit ultime, nous réussissons à rester devant plus de trente secondes…et sans critiquer ! Il faut croire que les morceaux transes expérimentaux ça parle plus aux anciens que nous sommes.

Jour 2. Jeudi 17 août. 17h31, Zion Club Vs Razorback

Grosse révolution cette année : le Temps des Cerises et le Groin-Groin déménagent ! Ces deux lieux incontournables du Cabaret se retrouvent désormais face à face, au bord de la Meuse, juste avant la passerelle menant au Green Floor. Deux salles, deux ambiances. D’un côté, la scène reggae/ragga, très arborée du Temps des Cerises, qui devient le Zion Club, avec un bar, un stand végé et toujours aux platines (75% du temps en tous cas)  l'indéboulonnable Asher Selector, véritable icône du festival. De l’autre, le bar du Groin-Groin et sa scène rock metal Razorback, qui prend place dans un décor de film post-apocalyptique, avec en prime un énorme barbecue gardé par un bénévole aux allures de Ragnar le Viking (photo). Ce nouvel agencement nous plait, maintenant, libre aux festivaliers de choisir leur camp.

18h08, l’Estaminet, le calme au coeur de la tumulte

C’est d'ailleurs sur la scène Razorback que joue Arka’n Asrafokor, un curieux mélange de metal et de chants traditionnels togolais. C’est plaisant 30 minutes mais rapidement trop violent pour nos petites oreilles. Une nouvelle fois, est-ce un défaut d’acoustique ou nous qui ne supportons plus le bruit ? Nous avons, par exemple, davantage apprécié notre passage à l’Estaminet juste avant. L’Estaminet c’est l’ex Temps des Freaks, l’espace est repensé pour accueillir des événements plus diversifiés qu’auparavant : concerts, conférences, spectacles, jeux…mais qui reste avant tout destiné aux familles. Un endroit calme, loin de la foule, où l'on a pu assister aux reprises hip-hop version jazzy du groupe Swing Shady (photo) allongés paisiblement dans l’herbe sans crainte de bousculade. Oui bon on a la réponse à nos interrogations, on a bel et bien vieilli.

22h47, on sent qu'on va passer une bonne nuit

Du lourd ce soir dans la cité carolomacérienne avec la venue des Black Eyes Peas en remplacement de Lomepal, visé par une enquête judiciaire pour viol, et par conséquent déprogrammé par le Cabaret Vert. On ne rentre pas dans la polémique, on respecte la décision du festival et on est même plutôt curieux de voir ce que BEP  a dans le ventre en live, même si on ne s’attend pas à une grosse claque. Bien mal nous en a pris, c'est sûrement l'un des concerts les plus inoubliables que l’on vient de voir au Cabaret. Alors, certes, pas le concert le plus abouti musicalement parlant, mais l'un des plus plaisants. Voir tout un public de 20 000 festivaliers, toutes générations confondues, devant Zanzibar reprendre les tubes du groupe, ça fout des frissons, ça met en joie. Alors oui c’est mainstream à souhait, oui J Rey Soul n’est pas Fergie, oui Will.i.am est un peu too-much quand il arbore un drapeau français en criant “j’aime la France, vive la France”, mais on plaide coupable, on a pris un panard pas possible.

Jour 3. Vendredi 18 août. 11h02, virée ardennaise

La veille, nous avons fini avec Yungblud, une belle découverte musicale à la croisée du punk et du hip-hop qui a prolongé et conclut parfaitement notre soirée. Mais aujourd’hui c’est vendredi, pas de repos pour les braves. Ce matin donc au programme c’est, visite du Musée Rimbaud (photo), suivie d’un petit gueuleton le midi dans un restaurant de la Place Ducale, autre lieu incontournable de la cité ardennaise. Et cet après midi c’est BAIGNADE ! On prend la voiture, direction le Lac des Vieilles Forges à quelques minutes d’ici et on se baque. Il fait très chaud et nous ne sommes pas les seuls à avoir eu cette merveilleuse idée mais nous trouvons un spot sans problème. Après avoir fait quelques aller retours baignade/bronzette, nous retournons à notre Airbnb (hé oui en tant que bons représentants des vieux schnocks de France, nous ne dormons toujours pas au camping cette année). Des échos qu’on en a, cette région, que l’on surnomme désormais “le Mordor” est toujours en proie à la débandade, c’est bien trop risqué pour nous de nous y aventurer.

21h24, la bouffe du Cabaret et nous, une grande histoire d’amour

A cause de nos escapades en terres ardennaises, on manque la quasi-totalité du spectacle de Wotjek sur la scène de l’Estaminet. Flûte alors, on va devoir se rabattre sur les stands de nourriture du festival pour se consoler. Nul besoin de ce genre d’excuses pour se nourrir au Cabaret, globalement tout est très bon, à des prix corrects et surtout tout est local : kebab, burger, falafel, bagels, pizza, crêpe, oeufs de caille, pommes d’amours (photo), brochettes de tomates, croque-maroille, tartine, poutine, plats végés, raclette, fromage, charcuterie, salade au lard, cacasse à cul nu, truffade à la tomme ardennaise…bref un choix gigantesque, on a pas fini de saliver ! On s’attarde sur quelques nouveautés, notamment les tacos végé (petits mais très bons) et les glaces, dont une au Maroilles au goût assez déstabilisant, un must pour les amateurs de fromage congelé.

1h14, et la Madone est apparue !

Nos excuses à Christine and the Queens aka Chris aka Red Car (oui nous sommes un peu paumés) nous avons préféré nous sustenter qu’assister à son concert. De même, si nous sommes en place pour le concert des Chemicals Brothers, on passe plus de temps à discuter avec nos amis qu’à écouter le duo de Manchester. Nous sommes de mauvais élèves, fatigués et pas très attentifs, reconnaissons-le. Cependant, au vu de la foule, peu nombreuse est très clairsemée, peut-être ne sommes nous pas les seuls à trouver la proposition musicale de ce vendredi un cran en dessous ? Heureusement sur la scène des Illuminations, apparaît The Blessed Madonna (photo) qui parvient à nous réconcilier en quelques minutes avec la programmation en balançant une bonne dose de House-Techno, mélodique et funky comme on l’aime. Cela sauve (un peu) notre fin de soirée.

Jour 4. Samedi 19 août. 20h03, c'est l'heure du du-du-du-du-du-duel

Nous arrivons assez tôt pour assister aux concerts de Wolfmother et de Lambrini Girls, groupe punk, composé uniquement de femmes, complètement déjanté. A l’image des festivaliers jetant des copeaux de bois devant la scène Razorback comme du riz sur de jeunes mariés. Il faut leur rappeler que pour les mariages, c’est à l’Estaminet que ça se passe ! En effet, cette année le festival permet à chacun de s’unir avec qui il le souhaite, à deux, à trois ou plus, avec un être humain, une plante ou une chaise, peu importe l’important c’est que le Père José puisse célébrer l’amour comme il se doit. Hormis les cérémonies de flash mariages, l’Estaminet est devenu vraiment notre refuge, on s’y sent bien et ce n’est pas bien grave de manquer quelques concerts quand on peut assister à un match d’improvisation, où des auteurs de BD s’affrontent sur scène via le dessin n’est-ce pas ? (photo)

21h46, Enhancer, à 100 à l’heure

Peu après cette battle de bande dessinée, c’est au tour de Dropkick Murphys, l'un des gros noms de la soirée, d’entrer en scène. On connaît peu, mais les influences de punk et de musiques irlandaises traditionnelles font mouche auprès de nous et du public, bien plus nombreux que la veille. On enchaîne ensuite sur les Illuminations avec Enhancer, un groupe de nu metal français qui a bercé une grande partie de notre adolescence. Cela fait des années qu’Enhancer n’a pas joué sur scène et ça se ressent parfois, c’est un peu confus. Mais les mecs se donnent à fond, ils slament, grimpent sur la régie, pogottent dans la foule, font monter des festivaliers sur scène…(photo) on ne peut pas dire qu’ils ne mouillent pas le maillot, même si au final, on reste (un peu) sur notre faim.

00h07, insane in the brain

La suite de la soirée a vraiment de la gueule, avec tout d’abord,sur la scène Zanzibar, Cypress Hill. Le groupe de hip-hop vient pour la deuxième fois performer à Charleville-Mézières, et comme à leur habitude, le show est là, même si on est plus vraiment surpris ça reste efficace. Une heure plus tard en revanche, on n’attendait pas Skip The Use (photo) à un tel niveau. Mat Bastard, attaché aux Ardennes (sûrement parce qu’il a produit le premier album d’A-Vox, groupe originaire du coin et qu’il a joué au Cabaret Vert 10 ans auparavant) fout le feu, il est inépuisable, il parcourt la scène de long en large, saute, crie, il veut que ce concert soit anthologique et ça se ressent. Du coup, on a plus de jus, on est rincés, il nous reste à peine quelques forces pour le dernier concert de ce samedi, décidément très riche en émotions, Apashe. Quelques minutes suffisent pour comprendre qu’on assiste à un truc énorme sur les Illuminations : un style hybride entre l'électro et la musique classique, on a jamais vu ça et on est subjugué par ce live. Malheureusement on ne va pas au bout, la fatigue l’emporte encore une fois, on est bons pour l’Ehpad.

Jour 5. Dimanche 20 août. 14h55, le 9ème art toujours à l’honneur

Mine de rien cette année, le Cabaret Vert a expérimenté pas mal de choses, notamment au niveau de la disposition. L’IDéal, situé au gymnase Bayard, considéré comme le village associatif du festival, qui organisait des conférences, des tables rondes ou des expositions autour de sujets de société tels que le féminisme ou le développement durable, côtoie désormais l’espace BD, qui lui a quitté son emplacement historique. Il y a forcément moins de place pour le reste, et il n y a quasiment plus d’associations présentes au sein du gymnase par rapport aux éditions précédentes. En fait, tous les événements de l’IDéal sont dispatchés entre ici et l’Estaminet juste à côté, qui lui-même à sa propre programmation. C’est parfois compliqué de s’y retrouver. Ceci étant dit, flâner entre les bandes dessinées et les auteurs en dédicace demeure une sympathique alternative aux concerts, que l’on soit intéressé ou pas par la BD. Pour les (grands) enfants il y a même des bornes d’arcades Kid Paddle, à l’occasion des 30 ans du héros (photo).

16h33, bingauche !

S'il y a bien une chose qui nous a fait arriver tôt au festival ce dimanche c’est la venue d’Aymeric Lompret ! La chaleur est étouffante mais quand on a vu que l’humoriste organisait un bingauche (oui le loto c’est de droite et le bingo c’est de gauche) on n'a pas hésité longtemps (photo). Nous voici sur la terrasse du troquet, le bar de l’Estaminet/IDéal, nous sommes prêts. Au niveau des règles, rien de révolutionnaire, c’est un bingo traditionnel entrecoupé d’interventions du trublion de France Inter. Attention, c’est sérieux il est accompagné d’un huissier et d’une fée des cadeaux, cette dernière distribuant de magnifiques lots, dont un qui nous fait particulièrement de l’oeil, à savoir le vinyle de Michel Sardou dédicacé par Juliette Armanet ou l’inverse on ne sait plus trop, il fait tellement chaud. Heureusement que les bénévoles circulent avec des cruches d’eau pour ne pas que les festivaliers s’assèchent.

21h08, une fin en demi-teinte

Peu après le bingauche, nous traversons tout le site, en prenant soin de bien se boucher les oreilles quand on passe devant Soolking, pour écouter la fin d’Alkpote sur le Green Floor (photo). Et ça vaut le coût, rien que pour voir la tête des grands-parents accompagnant leurs petits enfants devant le concert. Il y a dû avoir une faille temporelle quelque part.

Quelques heures plus tard, nous arrivons à notre dernier concert. L’heure est au recueillement. Ce dimanche, c’est en effet, le dernier jour du disco et les gens autour de nous ne semblent pas se rendre compte de la gravité de la situation. Blague à part, Juliette Armanet livre un concert de bonne facture, même si sa façon de s’adresser au public en reprenant son souffle toutes les dix secondes nous agace légèrement qu’on a dû mal à comprendre les paroles. On est étonné aussi de ne pas entendre des festivaliers interpréter le Connemara, en réponse à la récente “polémique”. Quant à nous ce qu’on aurait adoré au moment du retour, c’est qu’on ne nous braque pas notre voiture garée non loin du Cabaret Vert, ce qui nous aurait évité que l’on se retrouve sans affaires et surtout avec une fin de festival particulièrement amère.

Bilan

Côté concerts

Les illuminés
Mandragora, The Blessed Madonna, Apashe, trois artistes electro, trois styles, trois univers sur la scène des Illuminations

La découverte de l’Estaminet
Swing Shady, groupe de reprises hip-hop US version jazzy, à écouter idéalement posé dans un écrin de verdure

Le groupe qu’on attendait pas 
Black Eyed Peas, un show généreux, imparfait mais rassembleur

Les pépites punk
YungBlud et Lambrini Girls, deux groupes complètement différents mais bien fêlés comme on aime

La pile électrique
Skip The Use, Mat Bastard a pris beaucoup de Juvamine on dirait

Côté festival

On a aimé 

- Les stands de nourriture 100% locaux et toute la dimension écologique du Cabaret Vert
- Le festival toujours aussi propre globalement, on ne remerciera jamais assez les bénévoles
- L’aménagement repensé de certaines scènes, avec des décos et des ambiance bien marquées
- La fluidité au niveau des stands et de la circulation entre les différentes zones
- L’Estaminet, même si il manque un peu l’esprit art de rue
- Le bingauche d’Aymeric Lompret, merveilleuse idée !

On a moins aimé 

- Comme c’est le cas depuis plusieurs éditions, la programmation est très axée sur des styles de musique qui ne nous correspondent pas, on la trouve assez déséquilibrée et…
- …cela attire un certain type de personnes, détachées de l’esprit du festival et d’autres qui sont venues simplement avec de mauvaises intentions
- Le braquage de notre voiture et le vol de nos affaires en repartant le dimanche soir, on espère que les voleurs profitent bien de nos slips sales !

Infos pratiques

Prix de la bière : entre 6,50 et 7,50 euros la pinte 

Prix du soft : 3 euros la limonade, eau gratuite aux bars à eau (possibilité de remplir sa gourde)

Prix de la nourriture : 7 euros 50 le kebab, 4 euros les frites, 9 euros 50 la poutine, 7 euros les ribs, 7 euros le tacos végé…

Prix du festival : pass 5 jours (Mer-Jeu-Ven-Sam-Dim) : 225 euros en prévente et 235 euros sur place / Pass 4 jours (Jeu-Ven-Sam-Dim) : 165 euros en prévente et 175 euros sur place / Pass 3 jours (Ven-Sam-Dim) : 115 euros en prévente et 125 euros sur place / Pass 1 jour : 55 euros en prévente et 60 euros sur place / Pass 1 jour dimanche : 25 euros

Gratuit pour les moins de 15 ans

Camping : 19 euros

Transports : A 1h de Reims, 1h de Charleroi, 2h de Lille, 2h de Metz, 2h30 de Paris

Conclusion

Bon on ne va pas se mentir, 5 jours de festival c’est ambitieux mais pour nous les vieux de la vieille c’est trop long, on mentirait si l’on disait qu’on a apprécié chaque seconde du festival. Car jusque-là, si on trouvait que l’identité du Cabaret Vert demeurait intacte malgré son incroyable développement, c’est la première édition où l’on a constaté qu’elle pouvait s’écorner. A vouloir trop grandir et plaire au plus grand nombre, on plait à n’importe qui et il peut y avoir des conséquences sur l’atmosphère globale. Alors oui, le Cabaret reste un coup de cœur, un événement éclectique où nous faisons toujours de belles rencontres artistiques (ou pas) et où demeurent des valeurs qui nous correspondent. On se souviendra longtemps de cette édition 2023, mais attention à ne pas devenir un énième festival à destination principalement d’une population citadine et aisée en oubliant les principaux concernés : les ardennais eux-mêmes ! Espérons qu’en revenant à 4 jours l’année prochaine, la direction du Cabaret Vert aille dans ce sens.

Récit et photos de Josselin Thomas et Fanny Frémy