Le confinement lié à l'épidémie du Coronavirus et les différentes mesures prises ont eu un impact direct sur les festivals du printemps. Même si l’été parait encore loin, il est de plus en plus difficile d’imaginer la bonne tenue de tous les festivals prévus initialement. Tour d’horizon des enjeux des organisateurs de festival dans un moment très particulier.
En cette période de crise sanitaire, beaucoup d’évènements ont dû confirmer leur annulation alors que d’autres sont dans l’attente d’avoir confirmation ou non de leur tenue. Si les festivals du mois d’avril ne pourront définitivement pas avoir lieu, des interrogations existent concernant les événements de mai et de cet été. Car une levée du confinement dans 3 semaines ou un mois ne garantit pas pour autant la bonne tenue des événements de l’été. Eclairage sur les contraintes d’organisations et les enjeux des prochaines semaines pour les différents organisateurs.
Montage et deadlines des prestataires
La semaine dernière le festival Glastonbury en Angleterre annonçait l'annulation de son édition 2020. Une décision qui peut sembler surprenante à plus de 13 semaines du festival alors qu’aucune information sur le confinement britannique n’avait alors encore été annoncée. C’est en réalité une décision basée sur la logique qu’a pris le festival. Avec plus de trois mois de montage indispensable pour la bonne tenue de cet événement gigantesque, les équipes devaient arriver sur place à la fin du mois de mars. Etant donné la tournure des événements, il était impossible pour les organisateurs de commencer dans les temps, et donc d’être prêt à la fin du mois de juin pour accueillir les 200.000 festivaliers prévus.
A des échelles différentes, les festivals français font face à la même problématique : il ne reste plus qu'à espérer une rapide fin du confinement et des restrictions pour pouvoir lancer le montage sur les sites des différents festivals de l'été : scènes, barriérage, électricité, eau, sanitaires, mobilier, décoration... Car si rares sont les festivals qui ont besoin de 13 semaines de montage, plus les événements ont lieu sur des sites « vides » plus le montage est long. Pour certains, une fin de confinement début mai au plus tard est donc nécessaire à la bonne organisation de l’événement.
« Le temps d’exploitation du site, entre montage, festival et démontage est d’environ 3 mois » explique Eric Perrin en charge de la communication de Hellfest, « le montage doit démarrer fin avril, on étudie toutes les possibilités pour réduire ce temps si besoin. Nos équipes travaillent actuellement sur un nouveau planning pour s’adapter ». Du côté de Marsatac les contraintes sont différentes : « le Congrès Mondial de la Nature doit avoir lieu du 11 au 19 juin au Parc Chanot. On avait déjà réduit nos temps de montage à 3 jours car on est dans un Parc Expo » explique Béatrice Desgranges directrice du festival « mais le prémontage est forcément impacté, dans l’équipe de production la personne en charge de la commercialisation des réceptifs pour les entreprises est en sommeil par exemple ».
Qui dit montage dit équipes techniques, matériel et prestataires. Là aussi le timing est important. Certaines commandes doivent être passée assez en amont pour avoir le matériel en temps et en heure. Il y a donc des deadlines qui s’ajoutent et l’inconnue de la sortie de confinement ou du début du montage peut vite devenir problématique. Structures scéniques, écrans, bracelets, frigo, tireuses… Chaque besoin nécessite une anticipation de commande pour une date de livraison et montage.
Béatrice de Marsatac assure être en lien avec les prestataires, qui sont d’ailleurs des partenaires de l’événement : « En ce moment précis ils sont avec nous et à nos côté, ils sont solidaires du festival et seront prêts ». Même discours pour le Hellfest qui fait appel à beaucoup de prestataires locaux et d’entreprises du territoire qui restent en lien permanent avec eux : « on reste en contact avec eux, on suit leur situation financière et on travaille ensemble sur des solutions pour être prêt, même avec un temps de montage réduit ».
Artistes et tournées
Dans l’hypothèse où le confinement est levé en France dans des délais raisonnables pour assurer une organisation optimale des festivals de l’été, il restera néanmoins l’inconnue artistique. Car en effet des questions se posent pour les artistes internationaux. Le confinement dans leur pays de résidence sera-t-il levé ? Pourront-ils voyager ? Les liaisons aériennes seront-elles réinstaurées ? Et si oui, certaines tournées ne seront-elles pas modifiées ou aménagées ? Si certains festivals auront bien lieu, d’autres n’auront peut-être pas la capacité d'assurer l'organisation dans les temps impartis pour les raisons que l’on évoque dans cet article. Cela impactera forcément la tournée de certains artistes qui peuvent potentiellement revoir leur programme de l’été si une partie non négligeable de dates venaient à être annulées.
Pour le Hellfest les annulations « font partie des risques, mais pour le moment les tournées sont maintenues » nous explique Eric, précisant « on est en contact avec d’autres festivals, on a plus de 70% d’artistes internationaux, on a donc plus de risques que si notre programme était composé d'artistes français, et cela rendrait aussi un report compliqué ».
La proportion est inversée pour Marsatac qui accueille majoritairement des artistes français : « à la date à laquelle on se parle, rien ne bouge. Le programme est prêt. Si toutefois certains artistes venaient à ne pas se produire, on espère que le public ne nous en tiendra pas rigueur » détaille Béatrice Desgranges.
Soutien des partenaires et mécènes
Le soutien des structures privées est de plus en plus important dans la part de financement des festivals. Soutenu par de grands groupes pour certains, les événements sont aussi aidés par des entreprises locales qui deviennent mécènes, sponsorisent l’événement ou allouent des budgets pour des opérations de relations public sur le festival, comme les formules VIP par exemple. Mais la crise actuelle étant globale, rien ne garantit que les partenaires, mécènes, sponsors ou clients puissent encore bénéficier d'une trésorerie suffisante pour dégager ce type de budget. La santé globale de l’économie étant fragilisée, cela aura inexorablement un impact sur les événements qui ont développé des offres pour les entreprises et qui réunissent un nombre important de mécènes et de partenaires.
« Le Hellfest a la chance d’avoir des partenaires et mécènes impliqués. Pour le moment nous n’avons pas de retrait de leur part, ils nous montrent même tous leur solidarité pour nous accompagner » détaille Eric. Même son de cloche pour Béatrice la directrice de Marsatac : « les partenaires historiques sont là, ils nous soutiennent. Ça nous donne de la force d’être soutenus. Par contre il faudra faire sans de potentiels nouveaux partenaires, et nous avons arrêté la commercialisation des réceptifs pour les entreprises ».
Le report de l’événement à une date ultérieure, une option ?
Se pose alors la question de reporter l’événement. Cette semaine, le festival Nuits Sonores à Lyon a annoncé reporter son événement initialement prévu du 19 au 24 mai à la fin du mois de juillet : du 22 au 26. Les festivals Betizfest et Papillons de Nuit ont eux aussi décidé de décaler les dates de leurs événements, le premier au mois de novembre, l’autre au mois août. Une décision qui peut paraître facile, telle une simple croix sur un calendrier, mais qui en réalité reste quasiment inexécutable dans la plus grande majorité des cas. Sans chercher à être exhaustif, on peut lister quelques motifs :
Le choix de la date
Comment à ce jour être certain que décaler un festival, au milieu de l’été par exemple, est une bonne solution ? Dans cette période de flou le plus complet, il semble bien ambitieux de prédire une date de fin de cette crise. Louisa Weisbeck, en charge de la communication du festival Papillons de Nuit nous explique avoir « commencé à y réfléchir des les premières mesures prises par le gouvernement. On a sondé nos prestataires et partenaires sur une date idéale, pour beaucoup le report était vu comme quelque chose de positif. Il était par contre impossible pour nous de reporter avant le mois d’août ».
La disponibilité des lieux
Les festivals sont par définition éphémères. A quelques rares exceptions ils s’installent sur un lieu pour quelques semaines par an uniquement. Décaler à d’autres dates que celles prévues initialement peut donc se révéler extrêmement compliqué. Les lieux peuvent avoir autre utilité durant le reste de l’année ou être mis à disposition pour d’autres manifestations. Par exemple l’hippodrome de Longchamp à Paris reçoit déjà deux festivals (Lollapalooza et Solidays) et accueille tout au long de l’année des courses hippiques et des spectacles. Du côté de Papillons de Nuit, Louisa nous explique avoir « échangé avec la Mairie et les agriculteurs pour reporter le festival. Sans oublier qu’au mois d’août beaucoup d’événements mobilisent les forces de l’ordre, services de sécurité et certains prestataires ». De nombreux paramètres sont donc à réunir.
La disponibilité des artistes
Au cœur de la venue des festivaliers, les artistes sont essentiels. Décaler un festival sur des dates ultérieures ne peut pas être sans conséquences. Les tournées sont bloquées des mois à l’avance, les artistes internationaux organisent leurs passages par continents et par pays, et leurs plannings sont souvent très serrés d'autant plus qu'en été les dates s’enchainent. Si l’on prend l’exemple d’un festival sur 3 jours, il semble quasiment impossible de réussir à faire venir la cinquantaine d’artistes prévus sur les premières dates sans que cela ait le moindre impact sur le contenu de la programmation. L’équipe des Nuits Sonores a d’ailleurs annoncé dévoiler la programmation "définitive" du mois de juillet le 16 avril prochain, et que celle-ci sera forcément différente du programme annoncé pour le mois de mai. Papillons de Nuit confirme lui que 80% du programme est maintenu et la nouvelle programmation sera dévoilée à la mi-avril.
L’environnement culturel dans lequel vit le festival
C’est aussi un point non négligeable. Les festivals sont dans des environnements culturels globaux, à différentes échelles. Si l’on se focalise sur l’échelle locale, le festival peut entrer directement en conflit de dates avec d’autres structures ou événements culturels en reportant son édition de quelques semaines. Des villes comme Nantes, Marseille, Lille ou Lyon par exemple, en plus d’avoir une offre riche en festivals, ont une offre riche en salles de spectacles et en événements. Le « calendrier culturel » est établi à l’avance, chacun y trouve sa place. Il semble objectivement difficile de ne pas impacter les autres acteurs culturels en reportant un événement. Papillons de Nuit qui s’est placé le week-end du 23 août nous explique « avoir pris contact avec le festival du Roi Arthur » pour prévenir ce changement de dates et le positionnement des deux événements sur le même week-end. Pourtant situé à plus de 120 kms, il semblait important aux équipes de travailler en bonne intelligence avec leur voisin.
Du côté du Helffest, à ce stade « la priorité est de garder les dates actuelles du festival. Le programme ne serait pas le même en septembre, et il risque d’y avoir un embouteillage si tous les événements sont reportés ». Pour Eric la question des bénévoles se pose aussi « on n’aura probablement pas la même disponibilité de nos bénévoles » sans oublier les festivaliers « qui ont acheté leur place en octobre. Le festival est complet, certains ont réservé des vols pour venir, ce serait un manque de respect de reporter le festival sans avoir tout fait pour qu’il ait lieu aux dates prévues ».
A Marseille le Parc Chanot est réservé sur toute la période septembre – décembre. Difficile de penser à un report à la rentrée, même si « on évoque tous les scénarios possibles » précise Béatrice « mais il risque d’y avoir un embouteillage sur la fin de l’été avec la valse des reports. Les festivaliers vont-ils répondre présent ? S’il y a douze événements en même temps, ils ne vont pas se couper en 12 ! On a déjà changé plusieurs fois de lieux et de dates en 22 ans, d’expérience on sait à quel point c’est compliqué ». Sans oublier les prestataires qui ne pourront équiper tout le monde au même moment.
Deadline de montage, tournées d’artistes, soutiens financiers, contraintes liées aux reports… Autant de sujets qui occupent pleinement les organisateurs des festivals en ce moment et pour les semaines à venir. Sans oublier les semaines de ventes de billets perdus pour ceux qui n’ont pas encore lancé leur billetterie ou annoncé de noms, le pouvoir d’achat des festivaliers potentiellement impacté par la crise économique et l’hypothèse où les rassemblements seraient à nouveau limités à l’ouverture du confinement. « La situation évolue en permanence, on navigue à vue, mais on fait tout pour que la fête soit complète » explique Eric du Hellfest. « Il faut être froid dans sa tête et ne pas céder à la panique » conclue Béatrice Desgranges.
Chaque festival a ses contraintes à gérer en fonction de son modèle, de sa structure, de sa taille, de sa situation géographique et des artistes qu’il fait venir. Certains festivals pourront avoir lieu normalement, d’autres partiellement et, le moins possible on l’espère, pas du tout.
Crédit photo : M Photographe, Papillons de Nuit