On était à
De Bouche à oreille, traditionnellement vivant

On vous l’avait assez dit les deux années précédentes, découvrir le festival De Bouche à Oreille, c’est assurément prendre le risque d’y devenir accro. Sans surprise, nous sommes donc revenus en cette dernière semaine de juillet vers les berges accueillantes du Thouet, à Parthenay. Après avoir fêté ses 30 ans, l’événement abordait sa nouvelle décennie avec quelques changements - dans la continuité - sous des nuages annoncés et un soleil finalement lui aussi fidèle à cette joyeuse célébration annuelle des musiques traditionnelles d’aujourd’hui.

Jour 1. 14h57, gamping, ciel couvert et avant-deux

Le festival, qui prend place dans la ville même, ne propose aucun camping et, contrairement aux années précédentes, nous n’avons pas opté pour le camping municipal, un peu loin et un peu cher, préférant tenter l’expérience du “gamping”, c’est-à-dire de planter la tente chez l’habitant. En l’occurrence des gens charmants avec un large jardin et des commodités très confort, à 15 minutes des planchers de danse. Une alternative qui s’avèrera idéale tout au long de la semaine, quand d’autres optaient pour le camping sauvage ou des modes d’hébergement plus confortables, donc onéreux. Sitôt les affaires installées, direction le “bastringue”, la scène sous les arbres au bord de la rivière, pour le premier bal d’après-midi avec Brabant, un groupe poitevin récemment formé. Cette année en effet, le festival commençait le mercredi après-midi et non dès le mardi soir. Le tout sous menace de pluie permanente, mais on a dansé avec plaisir nos premiers avant-deux, maraîchines, scottiches et mazurkas. Allez ça y est, ça a commencé, on est bien!

17h43, le swing de la Montagne Noire

Devant la météo annoncée pas formidable pour la semaine, le festival avait prévu des solutions de repli aux multiples événements présentés d’ordinaire en extérieur. C’est le cas pour le premier concert, qui se déroulera en salle plutôt que dans l’amphi de plein-air. On rencontre alors Maxence Camelin, joueur de bodega, la cornemuse du Haut-Languedoc (une peau de chèvre entière, s’il vous plaît). Sous des dehors volontiers bordéliques et facétieux, on découvre un musicien impliqué et d’une grande sincérité. S’il s’agissait juste de faire le mariole en s’accrochant une cloche à la ceinture (et le protège-sexe qui va avec), un cochon en plastique sous l’aisselle et autres improbables incongruités amusantes, on se lasserait vite. Mais devant la beauté des thèmes joués et l’implication dans leur interprétation, on partage un moment à la fois touchant et authentique, à la découverte d’un répertoire qu’on était heureux de nous faire partager.

21h03, apéro puis début de déambulation champêtre

Le premier apéro concert était proposé, toujours sous les nuages, par les Bretons de Spontus, en collaboration avec le barcelonais Manu Sabaté. La suite de la soirée était une des nouveautés de cette édition, puisqu’à la place du traditionnel enchaînement “concert en salle puis bal gratuit sur les berges” on nous proposait une déambulation en 4 parties et autant de groupes, au départ du site pour s’aventurer dans la campagne puis dans les friches industrielles. Le premier des groupes était le “chant des pavillons” (photo), un trio imprévisible et nomade armé d’étranges instruments qui faisaient écho à la thématique de la journée des musiques et instruments “bricolés”, ou du moins insolites. Allant d’un endroit à un autre, sous un ciel désormais clément, adaptant leur répertoire à l’environnement naturel et humain, avec malice et improvisation, les musiciens offraient une musique minimale, entêtante, des moments en suspens. Jusqu’à nous mener au concert des “Cabanes”, entre déchetterie et cimetière municipal.

23h42, des zones industrielles à la fièvre colombienne

La suite du parcours surprise nous emmenait jusqu’à la salle Diffart, partenaire du festival sur cette soirée, confirmant une alliance finalement pas du tout improbable entre musiques actuelles et traditionnelles. On passa ainsi des propositions musicales insolites et bricolées en extérieur au son puissant des musiques amplifiées et tout aussi hybrides, en intérieur. Le premier groupe de cette deuxième partie de soirée était Pixvae (photo), un mélange détonnant à base de currulao (style afro-colombien de la côte pacifique de la Colombie) et du jazzcore le plus débridé. Un vrai gros moment dansant et affranchi, plein de groove et de générosité immodérée. On a malgré tout abrégé, quitte à se passer du “bal pop tronic” à base de gameboys, scratchette et autres pipeaux de Camargue, pour se confronter à la problématique du retour. En effet, seul bémol à la soirée, on était un peu obligés de se débrouiller pour rentrer à pied depuis une zone non éclairée et assez loin du centre, en se dirigeant un peu comme on pouvait.

Jour 2. 15h35, le chant contant de la langue

Les années précédentes, nous étions repartis frustrés de ne pas avoir pu profiter de la programmation ouverte au jeune public, parfois prévue en matinée et/ou pendant les stages de danse, de conte ou de musique qui ont lieu par ailleurs pendant le festival. Cette année, tout se passe à partir du début d’après-midi : après un passage par le bastringue écouter Tédébée, rendez-vous à nouveau au Carré Noir pour écouter le “conte musical en image” Cacha Niu (photo). Emmené par les talents de conteuse, de chanteuses et musiciennes d’un trio occitan, le public (jeune ou pas) suit les pérégrinations initiatiques et les aventures d’un petit garçon parti de chez lui, où on ne peut plus le nourrir, pour rejoindre sa tante dans la montagne et revenant trois ans plus tard, plus armé, courageux et ingénieux que jamais pour faire face à rien moins que le diable. Au delà de l’histoire elle même, on est conquis par la simplicité avec laquelle la conteuse happe son auditoire, mais aussi par la façon légère et agréable dont on baigne dans la langue occitane, par le récit ou les chants, dans les images d’archives et de collectage intelligemment insérées dans le propos. Une vraie réussite.

19h24, après-midi dépaysant en attendant un soleil franc

Bien que la météo tende à s’améliorer, par prudence l’organisation a préféré déplacer le spectacle de 17h en intérieur. C’est donc dans la petite salle du palais des Congrès que nous découvrons CiuC, quartet s’inspirant des musiques d’Europe de l’est, populaires et savantes, pour en proposer une musique ouverte et colorée, où l’improvisation a une large place. Plus tard, sur les berges et sous un ciel raisonnablement clair, on écoute et danse breton avec Silabenn trio, porté par les clarinettes d’Erwan Lhermenier, l’accordéon diatonique de Janick Martin et le chant de Yolaine Delamaire. Le bar tourne à plein, les gens sont attablés ou bien dans la ronde, l’été est là et la soirée commence bien.

20h26, bouffe, pitanche et bords du Thouet

Cette année, on découvre le long des berges, entre les habituels transats et fauteuils en bois, une offre en restauration plus fournie et variée encore que les années précédentes. Pour des tarifs qui restent raisonnables (entre 2 et 8 euros), on peut manger des crêpes, des dahls, des glaces au lait de chèvre ou japonaises, des sandwichs variés (et bons!), des pâtisseries orientales, des wraps originaux et de qualité, des thés, des cookies et gâteaux “maison”, des sirops artisanaux… le tout avec des commerçants qui ont le sourire et la patience qui vont bien. A mesure que le temps s’améliore dans la semaine, on profite des espaces où se poser face au Thouet, ou à proximité de la guinguette où ça part en boeuf à toute heure, dans une ambiance populaire et ouverte, puisque l’accès au site est gratuit et que tous les bals (sauf celui de clôture) le sont aussi. On voit ainsi déambuler ici aussi bien des “locaux” curieux que des touristes et des amateurs avertis de musique et de danse trad. Bref, une culture populaire en actes concrets comme il devrait y en avoir plus.

22h10, soirée méridionale qui réchauffe

Pour le premier concert du soir au palais des Congrès, on débute avec un duo italien, Rachele Andrioli et Rocco Nigro (photo 11), complètement envoûtant par le mélange complice, virtuose et plein d’intention que forment la chanteuse et l’accordéoniste. Suivent les occitans de Du Bartàs et leurs compositions généreuses et savoureuses, qui narrent les histoires des gens simples et petits, avec poésie, bienveillance et tendresse. Rythmes chaloupés, complaintes passionnées, sourires méridionaux...l’ambiance se réchauffe!

23h59, bal populaire au son des Violon(s)

Ensuite, on redévale la pente (sévère à remonter en fin de soirée, on oublie d’une année sur l’autre…) pour aller au bal. Sous les arbres ornés de guirlandes lumineuses, le collectif Violon(s) (photo) donne à entendre des airs exécutés sans arrangements sophistiqués mais avec de l’allant et de l’envie, et c’est communicatif. Sur un répertoire largement poitevin, fait de classiques et de choses plus rares, on se prend complètement dans cette ambiance de bal populaire, où danse qui veut et où le sourire s’installe facilement. Suivent les jeunes pousses de Kalimuchow pour un set de Centre-France qui se veut énergique mais s’avère pas toujours rôdé et nettement moins convaincant. On rentrera donc à la tente sans attendre la fin, après une dernière bière à la Guinguette entre amis.

Jour 3. 15h25, partage musico-naturaliste au jardin

Le lendemain, on vient pointer dès le début pour le premier bal d’après-midi avec BRG, avant de s’aventurer dans le quartier médiéval et un petit jardin pour découvrir Arbra (photo), nom donné à la “conférence amusante” telle que la définit son animateur, le musicien David Cousineau. Ce dernier se propose en effet, sans plan pré établi et au fil d’échanges informels avec l’auditoire, de parler, montrer et faire essayer des instruments bricolés, fabriqués à partir de l’environnement quotidien, à la maison, au jardin… C’est l’occasion de parler de ce qui fait le son, d’un rapport largement révolu à la terre et à ses ressources, et d’explorer un tout petit peu les innombrables façons qu’ont trouvé les hommes d’ici ou d’ailleurs de faire musique autour d’eux, avec des supports végétaux, animaux … ou en plastique.

17h45, boeuf à la guinguette!

Dans l’après-midi, délaissant les spectacles en salle, on profite d’un temps de plus en plus estival pour baguenauder d’un endroit à l’autre. Et de se poser à la Guinguette, où de nombreux musiciens, amateurs ou professionnels, boeufent un peu tout le temps, dès l’après midi et parfois jusqu’à tard dans la nuit, à deux, huit, parfois plus de vingt avec tous types d’instruments et de répertoires régionaux. On aura ainsi pu voir jouer régulièrement pendant cette semaine les jeunes Norvégiens du groupe Eterpotet qui ce soir, partageront la scène à l’heure de l’apéro avec leur maître Anon Egeland pour des répertoires alliant finesse et simplicité (apparente, du moins), douceur et générosité, passant de la scène au plancher de danse pour accompagner les danseurs néophytes ou confirmés en musiques du nord de l’Europe.

21h24, l’amour vibrant des langues maternelles piétinées

Le festival est cette année traversé de plusieurs thématiques, un des axes étant clairement les voix, et donc la langue. C’est le fil conducteur de cette troisième soirée, avec d’abord au palais des Congrès un spectacle de Yannick Jaulin - archi complet sans surprise - autour de la question du rapport à la langue maternelle, en l’occurrence le poitevin. Un spectacle d’une grande justesse, touchant et pertinent, plein de tendresse et de révolte mêlées face à la disparition en cours de ces langues, avec lesquelles les locuteurs natifs ont nécessairement un rapport affectif fort, longtemps écrasées délibérément par le moule de la République au profit d’un français unifié par et pour les élites. Des langues du peuple, méprisées et humiliées, jusqu’à ce que leurs héritiers eux mêmes veillent à ne pas les transmettre à leurs descendances. Comme contrepoint résolu à ce tableau tendre mais sombre, les 13 chanteurs du projet Voix Populér ont ensuite offert une création très “Nouvelle Aquitaine” (une commande?) faisant la part belle au foisonnement de ces langues pleines de faconde et de saveurs.

23h52, Cocanha et Maralha, le bal des suds

Le bal au Bastringue était dans la droite ligne des spectacles précédents, avec notamment les formidables filles de Cocanha (photo). Bal à la voix et percussions, pour des danses méridionales que les initiés et les stagiaires en danses du Béarn et Gascogne se sont appliqués à partager avec le reste des danseurs, dans une ambiance pour le coup très conviviale. Les trois violoneuses limousines de Maralha ont pris le relai, enchaînant sans répit bourrées, saultières et danses en couple. Il ne restait plus ensuite, sur les 3h, qu’à suivre le flot des derniers vaillants marchant vers la guinguette pour “du boeuf et de la bière sinon je tue le chien”.

Jour 4. 15h36, bal des gambettes et instruments bricolés

L’année dernière déjà, la programmation jeunesse intégrait une proposition de bal pour enfants. Cette année, c’était “le bal des gambettes” qui ouvrait ce dernier après-midi. Avec le sourire et un accordéon, dans une ambiance bigarrée et familiale, on s’est ainsi initiés à la danse en imitant des ours, en se disant bonjour, en patouillant gentiment dans la bonne humeur. Nous avons néanmoins quitté le plancher du bastringue pour aller visiter l’exposition consacrée aux instruments bricolés et/ou détournés, fruit de cogitations et d’expérimentations sonores aussi improbables que joyeuses d’amateurs passionnés.

17h32, duo étourdissant en plein-air

Signe que la semaine s’est finalement mieux passée que prévu concernant la météo pour un festival dont la majorité des événements était en extérieur, le spectacle annoncé à l’amphi de plein-air ce samedi y aura effectivement lieu! Et ledit amphi est plein à craquer, pour accueillir deux accordéonistes aussi virtuoses que hauts en couleur, le poitevin Sébastien Bertrand sur diatonique et le gascon Michel Macias sur chromatique. Avec un répertoire et des styles très différents, d’abord exposés chacun de son côté, les deux musiciens se rejoignent progressivement sur des morceaux communs, partageant avec le public une belle humanité et une joie de vivre communicative. Le concert se finit d’ailleurs en joyeux bordel, tout le monde dansant un peu partout y compris sur scène pour un dernier moment d’exultation collective.

19h38, voyage indien avec Nirmaan

Pour le dernier apéro concert, on part loin, dans tous les sens du terme. C’est en effet en Inde que quatre musiciens bretons de la jeune génération ont rencontré la chanteuse qui deviendra l’envoûtante figure de proue du groupe Nirmaan. D’abord timidement, puis de façon de plus en plus enthousiaste, le public, très nombreux en ce samedi soir, accueille la musique complètement envoûtante du quintet, tantôt tout en nuances et en prenant le temps d’installer des paysages sonores et des ambiances pleines d’entrelacs colorés, tantôt dansante et jubilatoire, toujours avec une vraie finesse et un grand sens de l’à propos dans la musicalité. Flirtant avec Bollywood par moments, avec des grooves lourds et puissants à d’autres, Nirmaan a fait un set impeccable, réussissant le pari de faire des morceaux assumant de s’étirer tout en laissant le public sur une impression de trop peu. Un apéro idéal avant de quitter le site pour une dernière soirée en ville.

23h46, le grand bal de clôture

Seul bal payant du festival, la soirée du samedi est aussi la seule où on danse en salle. L’année dernière on pensait que ce choix avait à voir avec l’anniversaire du Bouche à Oreille. La reconduction de ce choix laisse un peu perplexe, tant on se retrouve soudain à nouveau entre danseurs, quand toute la semaine on partageait cette culture dans un espace ouvert. S’il s’agissait de proposer un parquet plus grand, celui du Palais des Congrès n’est de toute façon pas suffisant: ça se bouscule sévère dans les danses, et on se sent longtemps à l’étroit. Sans compter que le bar est séparé de la musique, puisque dans le hall. Bref, un regret pour cette soirée finale qui par ailleurs a tenu ses promesses. On retiendra notamment les sets “surprise” du duo Bertrand/Macias et de quelques membres du projet Voix Populér, celui très trippant du trio Le Plaque (confirmant l’ancrage occitan d’une partie de la programmation 2017) et le plaisir de retrouver La Ficelle (photo) et son joli répertoire, si agréable à danser. Nous quitterons les lieux après nous être essayés un temps au “trad disco” qui emmenait les irréductibles jusqu’au petit matin.

Le Bilan

Côté concert

La claque
Cocanha et son groove occitan tribal, très loin des poncifs du “groupe polyphonique de filles”

Le spectacle qui prend aux tripes
“Ma langue maternelle est en train de mourir et j’ai du mal à vous parler d’amour”, de Yannick Jaulin. Tout est dans le titre.

L’insolite buissonnier
Le chant des pavillons, improbable et beau.

Le voyage ininterrompu
Nirmaan, du groove et de la finesse,et Andrioli/Nigro, de l’âme à fleur de peau.

Le groove infernal
Pixvae et le la Ficelle, pour des raisons et avec des identités complètement différentes.

Côté festival

On a aimé :
- le site et son aménagement, un endroit où on se sent bien, ouvert et convivial ;
- les nouvelles approches dans la programmation, le changement dans la continuité, la curiosité qui prend appui sur les fondamentaux qui marchent ;
- la disponibilité et la gentillesse des bénévoles tout au long de la semaine
- la gratuité de la majorité des spectacles et bals qui maintiennent cette expression culturelle ouverte et populaire
- les tarifs très raisonnables tant pour les stages que pour les spectacles, la restauration ou les boissons
- l’état d’esprit général, très ouvert, souriant, simple et humain;

On a moins aimé :
- l’approximation dans l’organisation des retours de la déambulation du premier soir
- l’enclavement du dernier bal dans une salle, quand tout le reste de la semaine respirait l’ouverture

Conclusion

Avec quelques changements notables dans l’organisation (une soirée de moins, pas de spectacles le matin), des choix de programmation qui cherchent de nouvelles pistes enthousiasmantes hors des sentiers battus, et malgré les aléas finalement tempérés de la météo, le festival de Bouche à Oreille reste un organisme vivant, en mouvement constant, à l’image de la vitalité foisonnante des musiques qu’il entend valoriser. Il a su garder ce qui faisait de lui un moment précieux à partager, un état d’esprit et une ouverture vers tous les publics tout en conservant son ambition et ses exigences. La qualité des spectacles, l’ancrage dans la danse ou l’importance accordée à l’accessibilité financière participent d’un équilibre inestimable qui s’associent idéalement à la revendication assumée d’une “tradition” en prise directe avec son époque.

Récit de Matthieu Lebreton
Crédits photo : Matthieu Lebreton et festival Bouche à Oreille - officiel