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Quand les festivals changent de cap pour survivre

A en croire l'actualité, c'est la fin du monde pour les festivals français : le Rock dans Tous ses Etats guillotiné, le Festival d'Ile-de-France poussé sur l'échafaud... Pour dire non au défaitisme ambiant, Tous les Festivals a mené l'enquête, et rassurez-vous : "rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme".

Avec la réforme des collectivités territoriales, la suppression de la taxe professionnelle dans les années 2010 et la crise généralisée, les collectivités ont été nombreuses à réduire le montant de leurs subventions destinées aux festivals de musique. Une baisse qui a mené à de nombreuses protestations, contraignant certains à mettre la clé sous la porte et d’autres, à… se transformer. Face au climat de crise ambiant, les festivals de musique sont nombreux à se réinventer pour survivre : Rock dans Tous ses Etats, Festival d’Ile-de-France, Foreztival, Motocultor, Lives au Pont, Festival Catalpa, Musiques en Stock… Coup de projecteur sur un milieu en pleine mutation.

Les festivals au creux de la vague

Si l'on s'accorde pour dire que les subventions ont effectivement baissé, tous les festivals en souffrance ne sont pas à mettre dans le même panier. Comme le rappelle Pierre Cohen, maire de Toulouse et député socialiste, dans son rapport sur les festivals datant de mai 2016, les festivals font, malgré leurs forces, face à des "évolutions économiques et des incertitudes politiques" de taille. Parmi les évolutions économiques, Pierre Cohen souligne que les festivals de grande taille peuvent fragiliser les plus petits festivals en "pratiquant des cachets élevés sur lesquels ceux-ci ne peuvent pas s'aligner car ils souhaitent maintenir (...) des tarifs moins importants". Pour de nombreux festivals, la hausse des cachets des artistes a en effet grandement participé à leurs difficultés. Pour exemple, le festival Rock Dans Tous Ses Etats a fait des efforts de programmation et le prix de certains cachets aurait coûté très cher à l'organisation L'Abordage, à l'origine de l'évènement, et participé -entre autres- à ses difficultés. La logique est simple : puisque les artistes gagnent moins sur les ventes de disques, leurs cachets ont été multipliés par 2 ou 3 sur les cinq dernières années pour compenser le manque à gagner. Pour avoir un ordre d’idée, un très gros festival comme Rock En Seine comptait sur un budget de 7 millions d’euros pour 2013. Les festivals moyens disposent quant à eux généralement de budgets qui se situent entre 2 et 3 millions d’euros -à titre d’exemple, le Green Horse Festival, nouveau festival d’été en Seine-Maritime disposera de 2 millions d’euros pour 2017. Des sommes qui paraissent dérisoires quand on sait qu’il faut débourser entre 300 et 600 000 euros pour Les Insus, ou encore 500 000 euros pour Green Day et Imagine Dragons. Une augmentation qui touche aussi les grands festivals, même si cela est moins évident, car ils ne sont, par conséquent, pas forcément plus rentables en accueillant plus de festivaliers. A cette augmentation des cachets se superpose une hausse des frais de sécurité, qui fait suite aux nombreux attentats et tentatives d'attentats de 2015 et 2016, et frappe de plein fouet des festivals comme le Foreztival, incapable de suivre cette augmentation soudaine malgré l'augmentation du fonds d'urgence de 7 millions d'euros en juin 2016. Car contrairement à ce que le discours ambiant pourrait laisser penser, les municipalités n'ont pas toujours une dent contre les festivals. 

La baisse des subventions est à inscrire dans la conjoncture actuelle de crise nationale et internationale, qui pousse les municipalités à faire des choix. Le festival Catalpa à Auxerre a vu le montant de ses subventions diminuer de moitié. Sylvain Briand, son directeur et programmateur, explique ainsi que "la culture est obligée de prendre sa part de crise". Il poursuit : "J'ai le sentiment que malgré la baisse des subventions, la mairie ne veut pas la fin du festival. Je ne pense pas que le Maire soit très heureux de renoncer à sa commande d'il y a cinq ans. Ce sont vraiment les contraintes financières et budgétaires qui obligent la ville à passer par là. De nombreuses associations sont concernées à Auxerre, que ce soit dans le sport ou d'autres domaines culturels. Si on était tous seuls dans notre coin à subir, ça aurait été différent, mais là tout le monde prend sa part."

Pourtant, il est certain que pour quelques uns, la confrontation avec un changement d’exécutif peut s’avérer préjudiciable pour la survie du festival. On pense forcément au Rock Dans Tous Ses Etats, qui a vu ses subventions complètement supprimées par la municipalité d'Evreux en raison, selon elle, d’une gestion trop aléatoire des comptes par l’association l’Abordage. Des accusations que réfute l’association. D’autres, comme Christian Lacroix, président de l’association Macadam à l’origine du festival Musiques en Stock en Haute-Savoie, regrette que ce soit le nouveau maire de Cluses qui ait mit fin aux hostilités : "Il ne voulait plus d’un festival comme le nôtre, qui explore les petits noms de la scène musicale actuelle, et a donc supprimé les subventions de la ville. Il veut remplacer le festival par une série de concerts avec de grosses têtes d’affiches, alors que ça fait 40 ans qu’on est là et qu’on accueille chaque année plusieurs dizaines de milliers de festivaliers [NDLR : 40 000 pour 2016]. Le pire, c’est qu’on l’a appris par la presse, et que, de ce fait, nous n’avons pas eu le temps pour chercher des financements privés. La chance qu’on a, c’est que nous sommes propriétaires du nom du festival”. Des revirements de situation qui poussent les festivals à changer de villégiature, un choix qui n’est pas toujours des plus aisés.

Car tout changement de forme, de lieu ou d’organisation par les festivals crée des bouleversements financiers généralement très difficiles à gérer pour ces derniers. Certains s’endettent, comme le Motocultor qui a contracté, sans terrain fixe entre 2010 et 2011, une grosse dette toujours pas résorbée, due aux pertes d’énergie, d’argent et à l’instabilité des équipes techniques pendant son itinérance de Séné à Theix, au sud de la Bretagne. D’autres, comme le Catalpa, contraints de faire une pause d’un an à cause des intempéries, craignent pour leur stabilité financière. Sylvain Briand souligne cette difficulté : « Depuis l'annulation de l'année dernière [NDLR : à cause des intempéries] c'est la crise. On craint que les financeurs se servent de cette pause comme d'un alibi pour justifier leur retrait. Malgré une volonté politique bien présente de maintenir le festival, quand l'argent n'est plus là, ou du moins en plus petite quantité, il est plus facile de s'appuyer sur de tels arguments. (...) Ca ne veut pas dire que la volonté politique n'est pas là, ça veut juste dire que la contrainte financière est plus forte et que l'annulation sert d'alibi pour donner moins, voire plus du tout ».

Ces difficultés s’imbriquent les unes avec les autres, laissant la voie ouverte à une question à laquelle beaucoup de festivals semblent chercher une réponse : et si le modèle des festivals devait changer pour permettre au bateau de ne pas couler ?

Virer de bord pour sortir la tête de l’eau

Face à ces nombreuses difficultés, les festivals n’ont pas d’autre choix que de revoir leur modèle de fonctionnement à la lumière d’un ciel nouveau. Les Eurockéennes ont ainsi revu leurs financements, et subventionnent un peu plus de 30% de leur festival via du sponsoring privé avec de grandes firmes comme General Electric. Si Sylvain Briand rappelle que "le financement privé est plus compliqué car souvent ce ne sont pas de très grosses sommes” et qu’il "faut donc multiplier les sources et les interlocuteurs, ce qui demande de dépenser beaucoup plus d'énergie dans le mécénat", les festivals se montrent plein de ressources quand il s’agit de sauver leur équipage de la noyade. Le Motocultor, face à ses difficultés financières, n’a pas hésité à faire appel à ses fans et mécènes via le lancement d’une campagne de crowdfunding

Et si les modes de financement doivent changer et négocier le virage du public au privé, les modes de fonctionnement des festivals sont eux aussi remis en question. Face au comportement réfractaire du nouveau maire de Cluses, Christian Lacroix s’est associé avec la ville de Saint-Gervais -près de Chamonix- et le festival local, Les Indézikables, pour s’assurer que son festival aura bien lieu pour 2017 : “on fera deux concerts à Saint-Gervais et en discutant, on s’est rendu compte qu’il sera possible de redémarrer le festival à Saint-Gervais en 2018. Cette solidarité n’a pas de prix : c’est comme si la maison était en train de brûler et que des voisins nous proposaient de venir vivre chez eux." La programmation du festival sera faite pour ⅓ par Musiques en Stock, pour ⅓ par Les Indézikables et pour ⅓ par Antigel, avec des concerts dans la ville, deux ou trois soirées sur une scène plus grosse et le retour de dessinateurs de BD habituels. Une nouvelle ambition est née. 

Un changement de forme nécessaire, d’autant plus lorsque le fonctionnement des festivals se trouve parfois remis en question par son organisation même. C’est le cas du Week-End Au Bord de l’Eau, qui, face à un avenir incertain, s’est doté d’une fondation pour pouvoir rémunérer ses collaborateurs et permettre une organisation plus professionnelle des services pour 2017. Pour sortir la tête de l’eau, les festivals ont bien compris qu’ils ne pouvaient compter que sur eux-mêmes -et leurs festivaliers-, même si, pour certains, cette prise de conscience s’est faite à leur dépends… Mais haut les coeurs, car si les festivals se métamorphosent, ça ne veut pas forcément dire que leur vie est menacée, loin de là.

Les festivals toujours dans le vent

En 2015, la dernière étude de la SACEM recensait 1887 festivals de musique actuelle en France. Même si les morts au combat sont nombreux (92 en 2015), 109 naissances ont permis à la balance de devenir positive avec un bilan de +17 festivals en 2015. Des chiffres qui donnent le sourire, et, non contents d’être en forme malgré les difficultés, les festivals se font parfois recycler sous une forme totalement inattendue. Sur les cendres du Festival “Alors Chante”, liquidé judiciairement en novembre 2016 à cause de dettes trop importantes, la mairie de Castelsarrasin a d’emblée acté la création d’une nouvelle association, “Les Amis de Pierre”, qui sera à l’origine d’un nouveau festival dans la ville, “Grain de Sel”, fortement soutenu par la municipalité. Lavoisier l’avait dit avant nous : “Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme”. Et si les noms, les emplacements ou les conditions d’organisation changent, les festivals auront toujours un argument phare en leur faveur : leurs retombées économiques substantielles sur l’économie locale.

Les régions profitent toujours indirectement de l'affluence générée par les festivals, et l'argent public investi se démultiplie à côté : pour la ville de Marciac, la chambre de l'industrie et du commerce du Gers a mesuré un impact à 9,2 millions d'euros sur sa ville avec “Jazz in Marciac”. De même, une étude menée par la GECE, entreprise d’institut de sondages spécialisée notamment dans les études de public, a publié une enquête en ligne sur le site du Hellfest, à laquelle 15 000 personnes ont répondu. Au bilan, le festival a généré 5,2 millions d’euros de retombées économiques en 2015. Les festivaliers ont dépensé plus de 21,7 millions d’euros (chiffre qui comprend aussi la billetterie) dans le cadre du festival. Cette manne profite à tout le monde puisque ces dépenses se font aussi bien sur le site du Hellfest que dans les commerces. Au total, la présence du festival a généré 36,7 millions d’euros de flux financiers. Tout ça presque sans financements publics vu que le festival est financé majoritairement de façon privée : on n'est jamais mieux servi que par soi-même.

Malgré les difficultés, les festivals bravent la tempête la tête haute, grâce à un bon socle de solidarité, une grande dose d'adaptation et un zeste de détermination. Ces transformations posent de nouvelles interrogations : quelle indépendance et quelle liberté de créer pour les festivals dans ce nouveau système économique ? Les festivals changent, mais les festivaliers sont-ils gagnants dans l'histoire ? La part de financement du privé augmentant, quelle sera la volonté de rentabilité dans l'investissement de ces entreprises ?

Quoi qu'il arrive, prépare ton meilleur booty shake pour 2017 car les festivals n'ont pas fini de te faire bouger !