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Management, finance, projet : comment diriger un festival en temps de Covid-19 ?

Alors que la rentrée pouvait laisser entrevoir une éclaircie et l’éventuelle réouverture des salles de concerts et par conséquent des festivals, les dernières mesures prises dans 8 métropoles et le couvre-feu étendu à 54 départements n’annoncent pour le moment rien de positif. Pour autant, un festival ne s’organise pas en quelques semaines, et les événements de l’été prochain sont en pleine préparation. Derrière eux, des femmes et des hommes qui ont repris une activité loin d’être normale. Episode 4 de la série sur les métiers des festivals en tant de Covid : la direction

Décrire un poste de direction type dans un festival est quasiment impossible. A l’instar des autres métiers qui font les événements, celui-ci dépend d’un nombre de variables extrêmement important. La taille de la structure, le statut juridique, le nombre de salariés, l’environnement global dans lequel est organisé l’événement, le modèle économique qui le compose sont, entre autres, autant de points qui vont donner à chaque direction de festival des missions plus ou moins variées. Quand certains festivals vont avoir des directeurs-programmateurs, d’autres vont avoir une direction purement financière et administrative qui ne prendra jamais part à l’artistique. Pour autant, beaucoup d’aspects du métier se retrouvent et cela peu importe la taille de l’événement.

La direction garante de la motivation des équipes

En cette période difficile, les personnes à la tête des festivals doivent composer avec le moral des troupes, plus ou moins impacté par l’arrêt de l’activité liée à l’annulation et la reprise compliquée de la rentrée. Jérôme Trehorel directeur général du Festival des Vieilles Charrues qui emploie 14 salariés permanents explique : « Quand on a évoqué l’annulation du festival 2020 ça a été un choc pour l’équipe. Entre le début du confinement et la rentrée de septembre on ne s’est vu qu’une fois et ce n’a pas été facile au quotidien. Après les annonces de Jean Castex on a fait le choix de maintenir le chômage partiel, mais là moralement ça devient plus compliqué parce qu’on ne sait pas combien de temps ça va durer » complète-t-il. Le directeur a fait le choix de garder une présence de toutes ses équipes le lundi pour continuer à les mobiliser. Une présence partielle au bureau qu’a aussi choisi Ludovic Larbodie, directeur et fondateur du festival Garorock : « les salariés sont à 75% même si on prend en charge les salaires à 100%, ils sont présents 2.5 jours par semaine, ça permet de travailler sur des projets ensemble et de se voir ».

Créer une dynamique de groupe, garder une cohésion d’équipe font partie des missions des directrices et directeurs des festivals avec un objectif principal : garder tout le monde motivé et impliqué. Ce qui n’est pas simple lorsque l’activité est réduite : « beaucoup de choses sont prêtes, on était prêt lorsqu’on a annulé donc on n’est pas stressé aujourd’hui, mais on est dans un contexte de crise, on n’est pas en vacances, l’activité est forcément réduite et surtout on ne sait pas quand tout cela va s’arrêter » confirme Jérôme Tréhorel. Pour autant se projeter et amener les équipes avec soi est essentiel pour la direction. Après l’annulation de Jazz Sous les Pommiers qui devait se dérouler en mai, le directeur Denis Le Bas a lancé un événement en septembre dernier pour réunir tout le monde autour d’un projet commun : « le confinement n’a pas aidé à garder une cohésion d’équipe. Mais en lançant le Week-End Sous les Pommiers on est tous revenu en août pour le préparer. Ça a fait du bien à tout le monde de partager ces moments, que ce soit aux salariés permanents, aux techniciens, aux bénévoles et au public explique-t-il. D’autant qu’on a une activité à l’année avec la saison du Théâtre de Coutances, on a une date par semaine, ça remonte le moral mais la route n’est pas éclairée très loin et on est loin de la dynamique habituelle ». La structure embauche aujourd’hui 16 personnes.

Des embauches qui sont d’ailleurs au point mort, Ludovic Larbodie : « en temps normal on devrait être une douzaine plus les stagiaires et les services civiques. On met tout en stand-by, on ne renouvelle pas les CDD. C’est cette gestion qui est la plus compliqué en ce moment » Malgré ces incertitudes les organisateurs des festivals restent motivés et préparent l’été « toutes les équipes sont motivées, on est conscient de la crise qu’on traverse, ce n’est d’ailleurs pas la première, mais on saura s’adapter et améliorer les conditions d’accueil » détaille le directeur des Vieilles Charrues. Une motivation confirmée par Denis de Jazz sous les Pommiers : « on est tous à fond, on a remis tout le monde à temps plein et comme on est dans la construction on garde une dynamique d’équipe ».

Plus un projet, mais des projets

La construction. C’est ce qui motive généralement les équipes des festivals qui chaque année retravaillent le projet global pour toujours proposer plus d’expériences aux festivaliers tout en gardant un socle solide. Difficile en effet d’imaginer que d’une année à l’autre tout change, et que les grands festivals de plein air avec une fosse debout et plusieurs dizaines de milliers de spectateurs passent en festivals assis limités à quelques milliers de chanceux. Une solution peu envisageable pour le directeur des Vieilles Charrues : « on souhaite faire le festival comme il l’est car les gens nous font confiance, ils ont acheté leurs billets, ils ne se sont pas fait rembourser, c’est ce qu’ils veulent ». Rappelant au passage que l’événement s’est transformé ces dernières années « on a beaucoup repensé le festival, de la billetterie à la scénographie en passant par l’accueil du public en faisant en sorte d’améliorer le tout, et aujourd’hui le public répond présent, notre travail semble convenir ». Un sentiment partagé par Ludovic de Garorock pour qui le festival aura lieu sous sa forme habituelle ou n’aura pas lieu « soit il y a le Covid et on annule, soit on a des solutions et on y va ».

Car après avoir réfléchi à différents scénarios en mars avant de finalement annuler, le directeur de Garorock souhaite garder l’énergie de ses équipes pour du concret : « d’une semaine à l’autre on change tout, on travaille dans le vide, on ne va pas faire et défaire indéfiniment. On se donne jusqu’en début d’année pour voir ce que l’on fait ». Pour autant les festivals ne vont pas attendre d’être fixés pour faire parler d’eux. Ces dernières semaines, Les Francofolies, We Love Green ou le Festival de Nîmes ont annoncé des noms pour leurs édition 2021. Une stratégie de communication sur laquelle s’oriente le festival Garorock sans non plus imaginer une avalanche de billets vendus « on va annoncer des noms très rapidement, toutes nos têtes d’affiches seront connues fin novembre. Mais on n’a pas d’espoir de faire des grosses ventes côté billetterie ». Pour Jérôme Trehorel comme pour beaucoup de festivals « le déclencheur sera l’autorisation des concerts debout ».

A Coutances, le ton est différent pour Denis Le Bas qui réfléchit à adapter son événement quitte à changer complétement son format : « on est dans une totale réflexion sur le projet, on veut partir sur des choses réalisables, un programme sans artistes américains des concerts sans premières parties et pas trop festifs pour des formats assis. On revoit le projet global en l’allégeant, en le repensant avec un avantage pour nous c’est que voir du jazz assis ce n’est pas un non-sens ». Car en effet à ce niveau-là tous les festivals ne sont pas logés à la même enseigne. Plus facile de s’adapter quand le festival a des petites jauges ou se passe dans des environnements propices aux contraintes actuelles : moins de 5000 personnes et spectateurs assis pour les zones vertes du territoire.

Des choix budgétaires pour la survie de la structure

Ecrire des scénarios, travailler différents projets, anticiper des nouvelles contraintes et des possibles restrictions sont donc le quotidien des directrices et directeurs de festivals en ce moment. Avec comme mission transversale la bonne santé financière de la structure qui porte le festival dans cette période où se finalisent les budgets. 100% indépendant et associatif, les Vieilles Charrues a un budget avoisinant les 17 millions d’euros, ne reçoit aucune subvention et doit absorber cette année blanche. « On passe beaucoup de temps à monter des dossiers d’aides exceptionnelles, il nous reste autour de 1.8 millions d’euros à trouver pour équilibrer l’exercice. Au moment de l’annulation on avait virtuellement engagé 7 millions d’euros, c’est pour ça qu’on a très vite interpellé les autorités en expliquant qu’ils devaient interdire l’événement pour rendre les contrats nuls » Explique Jérôme. Aujourd’hui la tendance est donc à l’économie et à la prudence : « on doit vendre 95% de nos billets, on a un risque avec nos partenaires et mécènes qui ne seront peut-être pas tous présents l’an prochain, ils représentent 2 millions dans notre budget donc on regarde s’il y a des postes à réduire pour économiser. On renégocie avec les artistes pour adapter les cachets. Le but est de tout reprendre et de regarder quels sont les leviers dont on dispose pour se permettre de réduire certaines dépenses pour que ça passe financièrement » confirme le directeur du festival breton. Une réduction de budget qui tend à se généraliser.

Du côté de Marmande, Garorock table sur « un budget inférieur de 30% minimum par rapport au dernier festival » même si l’année 2020 n’a pas mis en péril la structure. Le festival est à la fois aidé par des subventions et par la force du groupe auquel il appartient comme l’explique Ludovic Larbodie : « on a perdu une année financièrement, mais les institutions publiques nous ont laissé les aides prévues, et Garorock fait partie d'Olympia Production du groupe Vivendi. Avoir des actionnaires solides ça aide dans ces périodes difficiles. Si on avait dû passer cette crise seuls, on ne serait peut-être plus là pour en parler ». Une construction de budget compliquée qui dépendra du scénario et du projet adopté. Mais aussi du soutien des collectivités pour certains festivals qui en dépendent en partie comme l’explique le directeur de Jazz Sous les Pommiers : « on est dans le flou total pour la construction de l’exercice 2021. En 2020 les soutiens institutionnels ont été conservés, on ne sait pas comment ce sera en 2021. On peut être inquiet aussi du soutien des sociétés civiles comme la Sacem qui n’engrange plus de recettes de billetterie, ils vont avoir du mal à distribuer ce qu’ils n’ont pas collecté » sans oublier les partenaires privés qui réduiront peut-être leurs investissements en fonction de leur santé financière. « Avec moins de soutiens publics, moins de partenaires privés et moins de recettes de billetterie, il est impossible de construire un budget identique à celui des dernières années. On doit donc revoir le projet » détaille Denis Le Bas.

Mobiliser les équipes, repenser le projet et faire des choix budgétaires sont le quotidien des équipes de direction, et en cette année particulière les décisions prises sont d’autant plus importantes. « Le rôle de direction c’est anticiper, échanger, encadrer, concerter pour prendre la meilleure décision au bon moment dans l’intérêt de tous et pour faire le festival » conclue Jérôme Trehorel pour qui « il y aura bien des festivals cet été ».

Photo : Jérôme Tréhorel - Vieilles Charrues