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Le bilan des festivals de l’année 2021 : l’année des éditions spéciales

Pour la sixième année consécutive, l’équipe de Tous les Festivals revient avec le bilan des festivals. Cette fois encore, pas de classement des événements les plus fréquentés, au vu des contraintes sanitaires et des jauges imposées pendant une bonne partie de 2021. Bien qu’un nombre conséquent de festivals ont tout de même pu voir le jour, l'année aura été marquée par des formules revisitées et un équilibrisme compliqué. Flashback sur 365 jours marqués par l’adaptabilité exceptionnelle d’un secteur plus que jamais essentiel, mais on ne peut plus fragilisé.

Méthodologie du bilan

Il est essentiel de poser les bases sur une méthodologie transparente et précise afin d'éviter de “faire dire aux chiffres ce que l’on veut”. En 2021 notre étude s’appuie sur un questionnaire réalisé sur la base du volontariat et diffusé auprès des organisateurs de festivals. Pour que cette étude soit la plus pertinente, nous avons défini des critères de représentativité : le panel est représentatif de la diversité des festivals en France sur des questions de taille, de format et de situation géographique, et un minimum de 150 festivals ont répondu a l'enquête, ce qui nous permet de travailler sur des données analysables et globalement représentatives, bien que chaque entité soit différente et réponde à des problématiques qui lui sont propres.

L’étude se base sur le panel suivant :

- 165 festivals de musiques actuelles,
- se déroulant en France ou qui auraient dû se dérouler en France,
- entre le 1er janvier 2021 et le 31 décembre 2021,
- 25% du panel a accueilli en 2019 plus de 15.000 festivaliers,
- le festival le plus court s’est déroulé sur une journée,
- le festival le plus long s’est déroulé sur 31 jours.
- L’enquête a été réalisée entre le 16 et le 31 décembre 2021.

L’objectif de cette étude n’est pas d'individualiser les réponses, mais bien de faire sortir des grandes masses. Elle n’est pas aussi précise qu’une enquête réalisée par des instituts dont c’est le métier, mais se veut le reflet de l’année 2021 pour le monde des festivals de musiques actuelles et une projection pour l’année qui vient. 

Pour bien comprendre ce bilan, retour sur les événements marquants de cette année 2021 :

 

69% des festivals de musique ont eu lieu dans l’Hexagone

L’année 2021 a une nouvelle fois été marquée par l'annulation d’un grand nombre de festivals, mais en comparaison avec 2020, les proportions ont été bien moindres puisque 69% des festivals ayant participé à l’enquête ont pu se tenir en présentiel. Parmi eux, 57% ont transformé leur événement en “édition spéciale”, en changeant le format du festival pour mieux s’adapter aux contraintes sanitaires et prendre un minimum de risques. Le festival du Bout du Monde s'est étendu sur 6 jours de concerts (pour 3 jours en 2019) avec une nouvelle appellation "Concerts du Boudu". Le festival Marsatac a revu ses dates et s’est installé au Parc Borély, à Marseille, avec des horaires adaptés. Le festival Les Vieilles Charrues s'est installé pendant 10 jours à Carhaix avec une jauge limitée qui aura tout de même attiré 30 000 spectateurs. Le Catalpa Festival à Auxerre a quitté le parc de l’Arbre Sec pour créer différents événements plus intimistes dans des lieux emblématiques de la ville avec par exemple une sieste électronique et une randonnée musicale. Le Cabaret Vert a imaginé un événement inédit nommé “Face B” qui a pu se tenir du 19 août au 26 septembre dans un espace industriel en rénovation de Charleville-Mézières. Le festival Terres du Son a lancé son festival “Midi Minuit” avec une configuration debout/assis et 5 artistes par soir. Le VYV Festival s’est déroulé en septembre (alors qu'il se tenait en juin en 2019) et a attiré 15 000 personnes sur quatre jours avec une seule scène (contre 3 habituellement). Le Festival de Poupet ou encore le Marvellous Island pour ont eux aussi imaginé des éditions différentes.

Pour autant, certains festivals ont eu le choix de conserver un format quasiment normal, ou se rapprochant du concept initial. C’est le cas des événements plus tardifs dans l’année comme Bar en Trans, Green River Valley, La Fête de l’Humanité, Les Suds à Arles, Millau Jazz Festival, Mama Festival & Convention, No Logo, Festival de la Côte d’Opale, Ouest Park ou Les Rencontres Trans Musicales, dernièrement passées entre les gouttes en décembre.

Côté fréquentation, les chiffres sont incomparables à ceux du bilan précédent. Les différentes contraintes de jauges, de restrictions et les formats adaptés n’ont pas permis d’accueillir les 7 millions de festivaliers de 2019, mais pour autant 16% des événements ont accueilli plus de 20 000 personnes. 6 événements uniquement ont pu accueillir plus de 50 000 personnes, alors qu’en 2019 on en comptait 39. Presque la moitié des festivals ont accueilli moins de 5.000 personnes sur l’ensemble de l’événement et plus de 35% ont reçu entre 5 000 et 20 000 personnes

56% des festivals qui n’ont pas eu lieu, ont annulé leur événement à cause des règles sanitaires trop contraignantes

Dès le mois de février et la prise de parole officielle du gouvernement sur les mesures sanitaires qui seront en vigueur pour l’été, les annonces d’annulations et de reports se sont enchainées : Papillons de Nuit, Imaginarium, Festival du Roi Arthur, Motocultor, La Nuit de l’Erdre, V&B Fest, Don Jigi Fest, Foire aux Vins d’Alsace, Tempo Latino, Pointu Festival, Les Celtivales… Les organisateurs ont en grande partie dû se défaire de l’idée d’organiser leur événement à cause des contraintes sanitaires (56%), des interdictions préfectorales (33%) ou de la complexité de construire un programme dans une période trop incertaine (17%)"Certains festivals ne se sont pas maintenus car leur ancrage territorial faisait défaut, explique aussi Emmenuel Negrier chercheur au CNRS et directeur du centre d'études politiques et sociales de l'université de Montpellier, et on ne parle pas seulement des pouvoirs publics, on parle aussi de retrait des mécènes, de sponsors, voire des bénévoles qui sont d'une certaine manière des mécènes de compétence".

Et malgré tout, l'abnégation des organisateurs est restée entière puisque 50% de ceux qui n’ont pas pu mettre en place un véritable festival cette année ont tout de même organisé un événement au cours de l’année pour faire exister la structure, mobiliser les équipes, soutenir le secteur de la culture et les artistes, mais aussi faire vivre les territoires. C’est le cas par exemple du Hellfest qui, tout comme en 2020, s’invitait dans nos salons avec sa version virtuelle “Hellfest from Home” et une vingtaine de concerts au programme, mais aussi de Rock en Seine avec l’événement “Sur La Vague” qui proposait aux spectateurs de découvrir les groupes du "Club Avant Seine 2021" à l'occasion de 2 soirées gratuites ou encore le Main Square Festival qui partait sur la route filmer 8 concerts exclusifs dans 8 lieux emblématiques de la région, dont 6 étaient ouverts au public avec des jauges très restreintes de 50 à 150 personnes. On peut également citer le festival We Love Green et son “Wonderland”, un tiers-lieu hybride ouvert de juin à octobre, le festival normand Beauregard qui proposait une soirée inédite au Zénith de Caen en novembre, Aucard de Tours qui a présenté le festival “Santa Barbalzac”, sa guinguette éphémère sur l'île Balzac pendant 5 jours en août, Dub Camp et son “Dub Camp Launch Party” qui a bénéficié de la suppression des jauges à 75% pile avant l'événement, le Festival de la Paille qui a donné naissance aux “Détours de la Paille” une série de concerts de mai à juillet, implantés sur quatre lieux emblématiques du territoire du Haut-Doubs, le Foreztival et son “Tour du Forez en 87 jours”, un festival itinérant dans le département de la Loire en juin et juillet, Reperkusound et son événement numérique, gratuit et en live ou encore Au Foin de la Rue avec son “La Rue fait son Foin” et des activités pour continuer à faire vivre le territoire coûte que coûte…

L'occasion pour les festivals de s'ancrer davantage dans leur territoire respectif et tisser encore plus de liens avec les partenaires locaux, comme l'expliquait Laure Pardon, présidente de l'association FZL organisatrice du Tour du Forez à nos confrères du Progrès " On a découvert un nouveau mode d’action et une proximité avec les citoyens qui est très intéressante, nous allons capitaliser sur les partenariats que nous avons créés et le développement d’actions sur le territoire. Ça va se traduire par de nouveaux projets tout au long de l’année mais pas sur une période de type « festival ». L’idée est de continuer certains partenariats, de continuer à surprendre, de continuer à aller sur certains lieux".

Une volonté de “faire quand même” que confirme Aurélie Hannedouche, déléguée générale du Syndicat des Musiques Actuelles (SMA) : “Une majorité d'adhérents avait décidé de faire quelque chose en 2021, la plupart sous des formes aménagées. Même si cela a été épuisant pour les organisations, personne ne regrette de l’avoir fait. La fierté pour beaucoup est d’avoir fait un événement avec des retombées locales”. Pour Emmanuel Negrier "ce sont dans ces alternatives que l'ont trouve la nouvelle personnalité des acteurs territoriaux".

Les festivals debout, mais en jauge réduite

En février 2021, à l’occasion de l’annonce des règles de l’été par la ministre de la culture Roselyne Bachelot, l’ombre d’un été “assis” a lourdement pesé, comme le prouve le mouvement “#DeboutLesFestivals” qui invitait l’ensemble des acteurs du secteur à publier sur leurs réseaux sociaux des photos de chaises vides dans des lieux censés accueillir les festivals à l’été 2021.

Pour autant, la situation sanitaire évoluant au fil des semaines, ce sont bien une majorité de festivals qui ont pu autoriser leur public à se lever. 44% des festivals se sont déroulés entièrement debout comme les festivals Bobital, Elektric Park, Dream Nation, Insane Festival, Les Bulles Sonores, Les Nuits Courtes, Let it Free, Levitation ou encore le festival Panoramas. A cela s’ajoutent 33% d’événements en format mixte assis et debout comme Art Rock, Nouvelle(s) Scène(s), Elektro Alternative, Musiques Métisses, Pause Guitare, Au Fil du Son, Vercors Music, Woodstower, Tempos du Monde, et les festivals de jazz comme Jazz sous les Pommiers, Jazz à Vienne ou Jazz à Juan.

Cependant, les restrictions se levant tardivement, les festivals ont dû faire preuve d’adaptabilité, notamment en ce qui concerne les lieux d'accueil. 1 festival sur 5 a été contraint de modifier ses dates, plus d’un festival sur 4 a allongé la durée de son événement, mais surtout a revu la jauge d’accueil à la baisse, puisque les 3/4 des festivals ont réduit leur capacité d’accueil.

Enfin, avec la mise en place du Pass Sanitaire, et l’extension de son application, 8 festivals sur 10 ont été soumis au contrôle de ce dernier et il y a de grandes chances qu’en 2022 cette tendance se généralise à 100%.

Tests à l’entrée des événements et aménagements des dispositifs

Lancé au mois de juin, le Pass Sanitaire est aujourd’hui entré dans les habitudes. Mais pour autant, les premiers rendez-vous de l’été ont essuyé les plâtres. Les règles n’étaient pas forcément comprises de tous et 53% des festivals ont proposé des tests antigéniques ou PCR à l’entrée de leur événement. Une façon de régler les conflits pour certains lorsque le schéma vaccinal n’était pas complet et de permettre aux étourdis ayant oublié tout justificatif d’accéder à l’événement. Pour la grande majorité des événements, moins de 10% des festivaliers ont utilisé ce service

Les organisations se sont donc adaptées sur tout le parcours festivalier, mais les endroits les plus sensibles sont restés ceux liés aux contrôles d’accès, et à la consommation sur place. Là aussi, la réactivité et l’adaptabilité a permis un accueil toujours plus sécurisé pour le public : des espaces de consommation dans des zones dédiées ont été mises en place, comme au Delta Festival ou au World Festival d’Ambert où 100% de la consommation se faisait assise. Des signalétiques dédiées sont apparues de toutes parts, et les sens de circulation sont devenus la norme comme aux Francofolies de La Rochelle ou au festival Ecaussysteme, des événements ont mis en place des brigades de médiation comme à Jazz à Juan ou au festival Panoramas, et certains ont innové avec des distanciations dans les queues ou des prises de commande dans les files d’attente (Jazz à Vienne). Le click & collect s’est multiplié (Magnifique Society, Jazz à Vienne) et de nouveaux espaces pour accueillir les festivaliers ont facilité la distanciation comme au Printemps de Bourges. Enfin, un certain nombre de festivals se sont équipés en gradins pour répondre aux règles sanitaires annoncées en février 2021 (Woodstower, Magnifique Society, Brive Festival…)

Des modifications dans les aménagements, la gestion des flux et l’accueil du public qui ne seront finalement pas consacrés à l’année 2021 car la plupart des événements comptent garder tout ou une partie de ces nouveautés pour les années à suivre. 

Les finances mises à rude épreuve, un besoin de personnel supplémentaire

Toutes ces adaptations ont un coût qui est estimé entre 5% et 25% du budget de l'édition passée. De la même manière, les événements ont eu besoin de personnel supplémentaire (entre 5% et 25% pour la plupart) pour les missions liées aux aménagements et au protocole sanitaire : contrôle des pass sanitaires, accueil, orientation, gestion des flux…

Les partenaires et mécènes privés ont globalement suivi (82% des festivals ont conservé leur partenaires), même si pour une grande moitié ceux-ci ont réduit le montant de leur apport. De la même manière, du côté des partenaires institutionnels, 79% des festivals ont été soutenus à la même hauteur que d’habitude. Enfin 55% des festivals répondants ont été aidés par le fond de soutien festival du CNM (10% sont en attente de réponse au 27/12). 

La preuve par les chiffres que les formats 2021 ne sont pas amenés à durer, comme le confirme la déléguée générale du SMA : "Économiquement les formats alternatifs proposés n’ont pas de sens, faire un événement avec de telles charges ne fonctionne pas sans les aides apportées”.

Un programme évidemment impacté 

La route vers la construction des événements a été semée d’embûches, notamment dans l’élaboration de la programmation, elle aussi dépendante des règles et de la situation sanitaire. 1 festival sur 2 a fait le choix de programmer moins d’artistes, alors que 48% des événements ont décidé de jouer la sécurité et de proposer des artistes français uniquement. Pour les autres, la mission s’est avérée périlleuse : différentes règles dans différents pays et évoluant au  jour le jour (pass sanitaire, quarantaine, interdictions de déplacement…), de nombreux artistes internationaux n’ont pu faire le voyage, ou ont dû s'adapter aux quarantaines et autres isolements imposés. Ainsi, 38% des événements ont dû adapter le programme à quelques jours de l’événement ou pendant le festival. Et 5 festivals sur 10 ont encaissé au moins une annulation d'artiste.

 

99,4% des festivals se projettent sur un festival en 2022

L'heure est maintenant à la projection sur le printemps et l’été 2022, et la bonne nouvelle est qu’à 99,4% les festivals ayant participé au sondage se projettent et travaillent sur une édition 2022. Les seuls festivals du panel ayant répondu défavorablement ne souhaitent pas appliquer le Pass Sanitaire ou vaccinal à ce jour et se laissent le temps de la réflexion.

44% ont d’ailleurs annoncé des noms et 42% ont déjà mis en vente des billets. Le seul festival complet à ce jour est, comme chaque année à cette période, le Hellfest. Enfin, l’embouteillage estival aura bien lieu : presque 2 festivals sur trois ont prévu de se dérouler entre le mois de juin et le mois d’août. Des bonnes nouvelles, mais avec prudence : seul 1 festival sur 5 dit avoir un plan B en cas de contraintes ne permettant pas la tenue du format initialement prévu.

Infographie : Rodolphe Laurent