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We Love Green 2023 : le retour du festival qui aime le vert

Pour cette 11ème édition (en comptant l’édition “numérique” de 2020) le principal festival parisien du Bois de Vincennes, We Love Green, annonce un ciel au beau fixe pendant les trois jours de concerts prévus. De quoi rattraper le fiasco de la dernière édition qui nous a laissé un arrière-goût humide après l'annulation de la soirée du samedi en raison des violents orages. Les paradoxes ne changent pas beaucoup cette année : entre les timides tentatives d’initiatives écologiques et la réalité des contraintes d’un festival “de masse” dans une grande capitale européenne. La location des éco-cups, les scènes Brut et Konbini, le skatepark sans skateurs ou la confusion volontaire de beaucoup d’artistes anglophones sur le sens du nom du festival : on vous raconte le We Love Green édition 2023 sous le soleil.

Jour 1. Vendredi 2 juin, 18h30, le Bois de Vincennes au soleil 

Quel plaisir de traverser le bois pour se rendre sur le magnifique site occupé par le festival depuis maintenant 2018. L’organisation à l’entrée est toujours aussi bien rodée. Une fois nos bracelets enfilés à l’entrée il nous reste “plus qu’à” le recharger sur internet pour payer sur les stands de nourriture et de boissons. Le système cashless pose tout de même toujours question : on comprend la volonté des festivals aujourd’hui d’éviter d’avoir trop de liquidité mais en passant par le téléphone il faut quand même débourser 1€50 de frais d’activation de compte et il faut aussi et surtout avoir du réseau (ce qui n’était pas toujours le cas sur le site). Heureusement il y a toujours l’option de faire la queue à une banque cashless pour éviter l’ouverture de compte et les désagréments du réseau. 

La disposition et la décoration des scènes a bien évolué pour mettre en valeur les styles musicaux représentés. Le festival s’est doté d’une nouvelle scène pour les concerts, le Think Thank, auparavant uniquement destiné aux conférences, ce qui porte à 6 le nombre de scènes. De quoi permettre la répartition du public en fonction des horaires des concerts et des goûts de chacun. Mais de quoi aussi alimenter la critique très médiatisée à l’encontre du festival concernant le niveau sonore trop élevé ayant un impact sur la reproduction et la nidification des oiseaux.

19h30, mangez marocain mais végétarien en écoutant de la musique grecque mais en français

Nous commençons notre “tour des scènes” par la Clairière, sous une tente, qui accueille surtout les concerts d’électro/pop et rap du festival. C’est Johan Papaconstantino qui ouvre le bal ce soir et laisse résonner son bouzouki ce qui donne à sa musique la couleur grecque typiquement recherchée, mais qui nous paraît un peu répétitive à la longue. Le son est bien maîtrisé, l’autotune aussi. Nous en profitons pour commander à manger aux stands du Food Court attenants à la scène. L’offre est 100% végétarienne et les prix ne sont pas exorbitants surtout qu’il s’agit de très bons restaurants parisiens qui proposent de bonnes alternatives à la viande. 

Nous nous régalons d’un sandwich méchoui marocain de la Cuisine de chez Souad avant de rejoindre la grande scène du festival : la Prairie, sur laquelle commence le concert de Nx Worries: Anderson Paak & Knxwledge (photo).  L’Américain, ici chanteur, Paak, nous offre un show visuel sensuel complet. En costume et bottines noires, avec un petit voile Chanel rouge, mais avec surtout cet imposant chapeau noir qu’il arbore fièrement les 40 premières minutes du concert. Les enchaînements des morceaux, qui mélangent soul, R&B et rap, nous transportent doucement vers le début de soirée alors que le soleil se couche. On déplore quand même l'essoufflement de fin de concert (plusieurs ratés au niveau du son et du rythme) avec notamment un vilain playback découvert à cause d’une erreur du chanteur.  

20h10, “Green means a lot of things”

Bon, il est temps d’étancher notre soif. Nous nous rendons à un bar près de la Canopée, autre scène en plein air du festival. Au moment de la commande, la serveuse nous annonce une consigne pour le verre et pour le broc (il vaut mieux prendre du vin ou de la bière en quantité tant le prix est élevé), mais termine en nous informant que nous ne pourrons pas la récupérer. Ce n’est donc pas une consigne mais une location. La phrase du festival pour décrire cette innovation c’est : “vous pouvez le ramener chez vous ou le laisser continuer sa vie de festivalier”. Ce qui s'est évidemment traduit par une masse de gobelets échoués partout à la sortie du festival.

Nous nous postons devant la scène dans l’attente du concert de Surf Curse (photo). Les Californiens ont de quoi nous apaiser avec un son mélodique post-punk qui nous rappelle un peu les tubes indie des années 90. Le chanteur, aussi batteur, nous parle beaucoup entre les morceaux, il en profite pour faire un petit clin d'œil aux weedmen dans l’assistance en lançant un “green ca peut vouloir dire pleins de choses”. 

Nous retournons faire un saut à la Clairière couverte par un chapiteau (bizarre le nom, quand même, du coup) pour écouter PLK, l’idole des jeunes de We Love Green qui connaissent la discographie du rappeur français par cœur. Il demande aux festivaliers s'il “y a des vrais pilotes” dans la salle, hurlement général avant que son MC lâche le son de Pilote qu’il a sorti en featuring avec Hamza. C’est bon, le festival a décollé.

22h00, Paris is burning 

C’est le moment pour nous de découvrir la magnifique décoration de la scène électro/house/techno du festival : Lalaland. Cette année le thème est à la hauteur de We Love, des grands bacs à fleurs argentés (façon miroir) alignés au plafond et sur les côtés du set avec dedans… des plants de chanvre bien verts ! On adore, surtout quand on apprend par des membres de l’orga que le dimanche soir des festivaliers ont tenté de grimper pour y accéder et en voler un. On se demande bien ce qu’ils pensaient que c’était à l’intérieur quand même…

La Dj Jayda G (photo) mène la danse aux platines en revisitant le genre house, à grand renfort de voix de divas américaines et de sons de synthés des années 80. En se promenant un peu dans le festival on se rend compte que la scène Think Thank ne propose aujourd’hui aucune conférence mais des concerts sponsorisés par le média Brut, avec leur logo stylisé pour l’occasion et bien visible sur l’écran de la scène. Nous découvrons Varnish la Piscine, un chanteur, producteur et compositeur hors pair qui nous bluffe, lui et ses musiciens sur scène. Les inspirations sont tellement variées que c’est difficile de savoir le style : entre rap, bossa, funk, electro. On flash sur son morceau Adios Tornado’s, et on n'est pas les seuls apparemment.

23h30, “C’est pas de la techno normalement Andy 4000?”

Il nous restait encore une scène éloignée à découvrir en ce premier soir de festival, celle du Playground sponsorisé par la marque Heineken (anciennement la Greenroom, qu’on avait adoré l’an dernier). Autour de nous une installation complète de skatepark avec deux rampes mais aucun skateur en vue pour le moment. Les prochains jours, le lieu un peu excentré par rapport au reste du festival va attirer surtout les plus jeunes et les familles. Nous regrettons déjà un peu la Greenroom de l’an dernier qui était vraiment en plein cœur du festival avec des DJs qui ambiançaient de midi à minuit avec des sons improbables.

Sur la scène à l’arrière mixe déjà Andy 4000, une djette que l’on aperçoit à peine alors que nous sommes maintenant cernés par de très jeunes gens qui laissent exploser leur excitation. On pensait qu’il s’agissait plutôt d’un nom de DJ techno. Il n’en est rien ! La Dj enchaîne des morceaux de trap, de sons rap et pop des 90’s et 00’s, d’afro-house. On était pas près du tout à entendre le public hurler en coeur les paroles du rappeur britannique Central Cee “How can I be homophobic, my bitch is gay?”. On finit la soirée avec le concert très électro planant de The Blaze (photo) sous la tente de la Clairière. Le duo est habitué des voyages cinématographiques bien huilés sur scène, à grand renfort de beaux plans de clips sur les grands écrans. On retrouve leur patte et on apprécie en cette fin de soirée.

Jour 2. Samedi 3 juin, 18h, We Love Dollar Bills

On arrive sur le site au cours du concert de Little Simz (photo), la talentueuse rappeuse londonienne. Aujourd’hui entourée par deux musiciens, un bassiste et un clavieriste non moins talentueux, elle finit un set de grande qualité. Tous trois sont vêtus de chemises et vestes blanches très amples, couronnées par une grosse cravate noire, et s’éloignent assez peu des gros ventilateurs disposés à leurs pieds : la soirée va être chaude. On se dit qu’outre-Manche, le rapprochement entre les musiques issues du jazz et celles issues du rap semble bien mieux fonctionner qu’en France.

On erre entre les différentes scènes, grapillant quelques moments du set d’Adriatique au Lalaland, et le show de Pusha T à la Prairie. Si la grande scène semble bien vide, uniquement occupée par King Push et son DJ, le son massif nous dit tout autre chose. Le MC en profite pour faire de larges allers-retours sur le devant de la scène, sur une scénographie très gangsta, avec des images de dollars, de sachets de poudre blanche et autres images de surveillance policière. Le show se termine par la dédicace du King sur une couronne en plastique doré qu’il donne à un festivalier du premier rang. 

22h45, un come-back rondement mené 

Annoncé l’an dernier mais annulé à cause de l’orage, le concert de Phoenix (photo) commence sur la grande scène de la Prairie, et la scénographie nous met directement une claque. Les quarantenaires versaillais continuent de montrer leur attachement à l’art cinématographique, avec des projections visuelles tantôt générant de la profondeur de champ en trompe-l’œil, ou alternativement présentant des clips ou des décors léchés. Après un show millimétré, le chanteur Thomas Mars s’engage dans un crowd surfing sur plusieurs dizaines de mètres (avec comme d’habitude les techniciens gérant le câble du micro aux abois), et s’arrête en plein milieu de la foule sur laquelle il se dresse pour chanter un dernier morceau. Le public en redemande.

Avant de partir, on jette une oreille curieuse à ce qui a été préparé par Pedro Winter et son label Ed Banger, mais on préfère garder nos forces pour le dernier jour. Sur le chemin, on passe devant le Think Tank où semble se faire attendre le concert de D4VD. On espère que le retard n’a pas été trop long.

Jour 3. Dimanche 4 juin, 17h, soleil de plomb pour les batteries

Retour sur le site du festival pour une dernière journée chaude et poussiéreuse, mais la programmation est alléchante. C’est probablement le jour le plus bondé de We Love Green. Nous nous frayons un passage vers la grande scène pour la fin du concert de Gabriels

Pas loin nous apercevons une borne solaire de recharge des téléphones. “Ici nous utilisons le soleil pour recharger les batteries”. La queue est impressionnante à 17h ! C’est même un peu ridicule quand on sait que le festival commence à 15h et qu’il n’y a pas de camping à We Love Green...

Nous ne voulons pas manquer le concert de Sudan Archives (photo) à la Canopée. La violoniste afro-américaine nous offre un show électrique pétri d’influences variées, du hip-hop East Coast à la musique irlandaise, elle nous interprète d’ailleurs une jig en solo en plein milieu du concert, en passant par la musique populaire camerounaise. Le soleil qui lui arrive en pleine face ne la décourage pas, même si elle finit par retirer ses bottes montantes en skaï, alors que le public se fait arroser à la lance à eau et que quelques insolations se font remarquer par les secours. Et là on remercie quand même la crème solaire disponible au stand du sponsor du festival.

18h40, glace et concert de rechange

La chaleur nous accable pas mal. Nous apprécions particulièrement les bornes d’eau de Paris en accès libre partout sur le festival. Le stand propose même de jolies gourdes consignées pour ne pas se déshydrater. 

Nous profitons du début du concert du surfeur de Hawaï, Jack Johnson, pour aller faire la queue au stand de glaces de Glazed. Nous ne sommes pas les seuls à avoir l’idée et on se rend compte qu’ils n’ont plus que deux parfums improbables: mojito et yaourt à la cardamome. Qu’à cela ne tienne nous repartons avec. C’est pas si mal d’ailleurs la cardamome. En ce dimanche, beaucoup de stands de nourriture ont plié bagage faute de stock après 2 jours. L’affluence de la veille témoigne du succès de cette édition. 

Sur le programme est annoncée Caroline Polachek dans la tente de la Clairière. Mais quelle est notre surprise de trouver le trublion français Myd (photo) aux platines ! “Je ne suis pas Caroline Polachek comme vous pouvez le constater”. Mais le concert est encore mieux que s’il avait été annoncé. Myd et ses mélodies électro rythmées mettent le feu et nous dansons de bon cœur. Il fait partie des artistes annulés l’an dernier mais il n’était pas sur la programmation de cette année. Le lieu se remplit petit à petit de curieux qui se rendent compte comme nous de l’heureuse erreur de programme.

20h15, perdre ses clés au concert de Bon Iver et partir 

Nous avons fait un petit tour pour jeter une oreille au concert de Skrillex sur la scène électro, mais nous n’avons pas été convaincu par le beat. Quand le concert de Bon Iver (photo) commence sur la grande scène, nous savons que ce sera le dernier concert pour nous, fatigués de ces trois jours intenses en plein soleil. Bon Iver c’est le chanteur bien sûr, Justin Vernon à la voix aïgue légèrement autotunée, mais c’est aussi un spectaculaire groupe de musiciens habitués des scènes de festivals et qui réussissent à nous captiver alors que le répertoire est bien plus calme et mélancolique que le reste des concerts à ce moment là de la soirée. Le style rock-folk de Bon Iver a ses adeptes à We Love Green. Beaucoup chantent les paroles, les autres, assis dans l’herbe, se tournent vers le soleil couchant pour profiter au mieux du moment de grâce.

C’est quand nous quittons le festival que nous nous rendons compte qu’il nous manque nos clés de vélos ! Nous revenons sur nos pas après avoir convaincu le staff de nous laisser rentrer à nouveau (toute sortie est normalement définitive). L’occasion de discuter un peu avec eux et qu’ils nous racontent toutes les tentatives les plus drôles de braquages et d’infiltrations du festival par les jeunes sans billet et autres prétendu.e.s meilleur.e.s ami.e.s de la directrice de We Love Green. À l’accueil du site, tous les membres sont très cordiaux et ont fait tout pour nous aider. Nous n’avons jamais retrouvé les clés mais les vélos sont bien repartis du bois de Vincennes (on sent que vous étiez inquiets).

Le bilan

Côté concerts : 

La pépite de Brut dans un écrin
Varnish la Piscine, ça fait danser les sexy ladies

La house, la house, tout pour la house
Jaday G, l’attitude la plus cool de tous les sets électro

La classe rock à la française
Phoenix, qui traverse les époques avec élégance

Le mélange explosif du violon folk/irlandais et de la pop/R&B
Sudan Archives, sous un soleil cuisant toujours aussi énergique

L’improbable, l’inimitable et surtout l’inattendu
MYD, le petit gars de l’électro un peu renouveau de la French Touch (rien que ça)

Côté festival :

On a aimé : 

- L’eau fraîche et gratuite de la Mairie de Paris en accès libre PARTOUT. Avec en prime les gourdes consignées... Elles. 

- Les toilettes sèches (encore heureux) et les cabines pipis debout pour les femmes.

- Les restaurateurs toujours aussi serviables malgré le monde et l’agressivité de certain.e.s festivalier.e.s

On a moins aimé :

- Les sponsors qui n’ont rien d’écolo (pêle-mêle : Leroy Merlin, Maison du Monde, Chandon - groupe LVMH, la RochePosay, les Galeries Lafayettes etc.)

- Les messages biens-pensants un peu partout sur l’écologie

- Les rares conférences proposées sont maintenant noyés dans la masse

- La location des éco-cups, retrouvées ensuite pétées et abandonnées, parce que le système de consigne a été aboli.

- Les prix, OMG...

Infos pratiques :

Prix des boissons :

6 euros le petit verre de vin / entre 7 euros 80 et 9 euros 50 la pinte de bière / Avec la location du verre à 1 euro 50 et du broc à 1 euro 50

Prix de la nourriture : 

Comptez entre 10 et 15 euros pour un plat qui cale (burger ou falafel, mafé ou bao)

Prix du festival : 

Plus de 75 euros la journée

Transports : 

Métro ligne 1 : Château de Vincennes

Garage à vélo à l’entrée du festival dans le Parc floral du Bois de Vincennes.

Conclusion

Une nouvelle édition de We Love Green qui a au moins eu le mérite d’apporter un véritable renouveau en matière de festivaliers (jeunes et très enthousiastes) et d’artistes un peu décalés. Et tout cela sous un beau soleil qui ne nous écrasait pas encore de chaleur en ce début de mois de juin. Si nous sommes satisfaits de l’offre musicale pléthorique variée, nous sommes néanmoins plus que jamais sceptiques quant à l’appellation “écolo” du festival qui se targue d’avoir accueilli par le passé plus 70 000 personnes. Le constat reste le même, les sponsors avec les messages partout écolo-bien-pensant, ne font pas oublier que le modèle du gros festival n’est PAS écologique, et que tout ce qui est mis en place n'est pas essentiellement novateur en la matière. Et le pompon indéniable, c’est l'indécence des prix pratiqués au vue des sponsors et de l’affluence. 

Un récit de Fanny Salmon et Georges Ledoux
Photographie: Georges Ledoux et Anaïs Mastrorelli