On était à
Tribu Festival, tribulations sonores et humanisme

On avait beaucoup aimé l’an dernier la chaleur des concerts du weekend de clôture du Tribu Festival à Dijon. Alors on a remis le cap début octobre vers le village du festival et son cabaret éphémère installés à nouveau au Port du Canal. On vous raconte nos deux soirées à la 19ème édition du Tribu Festival.

Jour 1. 18h00, le soutien aux migrants

C’est par un communiqué publié la veille par l’organisation du festival, Zutique Productions, qu’on a appris la situation des migrants à Dijon: 80 demandeurs d’asile expulsés d’un squat à l’été sont hébergés dans un espace autogéré, les Tanneries. “Ils ont quitté leur pays, ils sont là, à Dijon, ils ne vont pas disparaître du jour au lendemain. En tant qu’organisateurs d'un festival de musique du monde et de cultures urbaines, nous sommes sensibles et touchés par la situation de ces personnes migrantes. Nous accueillerons sur notre événement avec plaisir les demandeurs d’asiles des Tanneries qui souhaitent être présents et nous savons que notre public saura les accueillir.” Sur place au Port du Canal s’affichent les banderoles de soutien (photo). “Fuir la guerre, passer le désert, traverser la mer et voilà l’hiver”. Le collectif présent appelle également à un rassemblement le lendemain en soutien à d’autres migrants, ceux de l’Aquarius SOS Méditerranée. En discutant avec un couple de festivaliers dijonnais, on apprend l’ancrage particulier ici des squats et espaces autogérés, que ce soit le bâtiment des Tanneries ou un autre quartier de potagistes ZADistes aux Lentillères.

19h00, l’hybrid gwoka des Antilles

Le village du festival est noir de monde pour le concert gratuit d’ouverture, effet de la température plus clémente que l’an dernier - t-shirt versus doudoune- et de la cote d’amour locale du festival. Tribu reçoit d’ailleurs plus de demandes que de places pour couvrir les 50 postes de bénévoles nous disent deux d’entre eux. Frédéric Ménard le directeur laisse place sur la scène en extérieur à Expéka Trio (photo) : au rap Casey, au tambour ka (guadeloupéen) Sonny Troupé et à la flûte Célia Wa. La diction de la rappeuse qui met en mots les blessures issues de l’héritage de l’esclavage nous cueille par la force qu’elle charrie. Casey frappe droit, ses textes articulent l’histoire dont ses ancêtres sont porteurs et les maux du présent. Alors on se met à les noter à toute vitesse sur notre carnet. “Ma vie est rivée à un sac de sucre, et si l’argent coule à flots c’est parce que j’ai un sac qui pèse un massacre sur le dos. / Du rhum vieux en guise de vitamine, un marqueur noir en guise de carabine, j’avançais les cheveux tressés, avec ma démarche d’animal blessé...” Le trio est acclamé par des sifflets d’admiration.

22h45, l’afro space disco des Pays-Bas

Le bal monté est remplacé cette année par un chapiteau en longueur, d’une jauge similaire de 400 personnes. Les drapés suspendus font rougeoyer l’intérieur. Benin International Musical (BIM) fait chauffer le parquet même si par rapport à BCUC entendu ici l’an dernier, ce collectif de chanteurs percussionnistes n’est pas dans un registre de transe. Leur style alterne rock et ballades qui se prêtent à une choré de danse contemporaine d’un danseur habité, en fond de salle comme nous. Le temps de prendre l’air, on échange avec des festivaliers qui alternent entre Dijon et Lyon pour festoyer (photo). A l’intérieur, la formation des jeunes hollandais The Mauskovic Dance Band agit comme un exutoire de danse pour nous, avec un mélange d’afrobeat, de cumbia colombienne, de disco tropicale. Sans comprendre ce qu’il s’est passé, on se retrouve en nage de la tête aux pieds tant on s’est lâché en dansant. Trop bête, on n’a pas emporté de pantalon de rechange pour le lendemain. On reprendrait bien encore de leur démentiel morceau The Opposite mais déjà presque minuit, heure de fermeture respectée par le festival puisqu’il en va chaque année de son avenir sur ce site. On se glisse à la table de Radio Campus Dijon pour l’interview de Nicola le guitariste fondateur du groupe et Mano son frère bassiste : leur nouvel album paraîtra en mars 2019, toujours sur le label londonien Soundways Records.

Jour 2. 15h30, la réunion tu peux r’boire

Le site ouvre plus tôt cette année pour ce dernier samedi, dès 15h. Le festival teste en une après-midi heureusement ensoleillée une dégustation de vins bio assortis de concerts-minute. Le concept ? Pour cinq euros le droit de verre, le public est invité à déguster des vins vivants de Beaujolais et Bourgogne, sans soufre, au son de musiques libres (photo). En pratique, un collectif de musique improvisée dijonnaise mené par Nicolas Thirion, directeur de l’association locale Why Note, interprète son évocation des vins. Tel aligoté de tel vigneron leur semble riche, complexe, structuré ? Telle infusion de pinot noir d’un autre “biosophiste” leur évoque épaisseur et linéarité ? Et hop, les voilà partis pour cinq à dix minutes d'impro électrique et percussive, libres comme l’instant.

18h45, le global swing

Le début de soirée se poursuit en plein air, ambiancé par le bal tropical du groupe français Oliba International. Du global groove, un syncrétisme des sons du monde, dans cette ligne musicale qui donne son identité à la programmation du Tribu Festival. La particularité du groupe est que deux de ses membres se retrouvent dans Electric Vocuhila, l'un des groupes figurant au catalogue de Zutique et que l’on a entendu sur la scène de Cybèle lors du dernier Jazz à Vienne. Parce que Zutique, l’association organisatrice dijonnaise, développe également une activité de booking d’artistes tels que Batida ou Estère. Frédéric Ménard le directeur explique qu’il est en train d’unir ses forces en la matière avec celles de deux autres agences, pour gagner en poids en restant indépendants.

21h00, jazz et rumba cubaine explosive

Six jazzmen français et trois percussionnistes cubains réunis par Fidel Fourneyron, un habitué du Tribu Festival, nous font d’emblée entrer en fusion à l’intérieur du cabaret. Potion classique, effet magique : les percussions et cowbell embarquent des festivalières au premier rang qui envoient valser leurs chaussures pour sentir le sol et danser afro devant la scène. Par rapport à notre souvenir de Banlieues Bleues 2017 où l’on avait découvert cette création Que Vola, le concert est 100% hot avec une dynamique dans les enchaînements que ne relâche à aucun moment Fidel (photo). L’ébullition est totale en fin de soirée avec Anthony Joseph qui, de sa verve puissante et sa voix chaude, mélange ses deux derniers albums People of the sun et Carribean Roots dans un show au son énorme. Le héros étant selon nous Robin Fincker dont les salves brûlantes au saxophone font monter la tension. On sort à nouveau en nage après avoir dansé furieusement sur une version uptempo déchaînée de Jimmy Upon That Bridge. Memo pour le futur : emporter un pantalon de rechange pour Tribu Festival.

Le bilan

Côté concerts

Le coup de coeur

Casey et son Expéka Trio, la force de la diction, droit au coeur

Les coups de bassin

The Mauskovic Dance Band, l’irrésistible disco tropicale venue des Pays-Bas

Le coup de grâce

Que Vola de Fidel Fourneyron, quand du jazz croisé à la rumba cubaine fait sauter les chaussures des filles

Côté festival

On a aimé

- Le village du festival : le site est ouvert en accès libre, accessible aux personnes en fauteuils roulants.
- L’identité dans la programmation : global groove, musiques urbaines, jazz.

On a moins aimé

- On n’a pas gagné le panier gourmand Happy Bourgogne mis en jeu.

Infos Pratiques

Prix de la bière
Bières de la Brasserie Artisanale des Trois Fontaines 2,5 euros les 25 cl, 4,5 euros les 50 cl.

Prix de la nourriture

Burgers, plats africains à 5 euros, crêpes 3 euros.

Prix du festival

16 euros la soirée de deux concerts.

Transports

Port du Canal, avenue Jean Jaurès à Dijon, Tram 2 Arrêt 1er mai.

Conclusion

Si Tribu Festival fait la part belle dans sa programmation aux résonnances du lointain, il est ancré dans l’ici et maintenant par son accueil cette année d’une cinquantaine d’oubliés des phénomènes migratoires actuels. Que nous réserve la vingtième édition ? Peut-être un focus sur les musiques du Pacifique et sur des projets que le directeur part découvrir lors de ses voyages en Nouvelle-Calédonie et Polynésie. A suivre.

Récit et photos Alice Leclercq