On était à
Tribu Festival, les musiques africaines comme totem

Face aux frimas du mois d’octobre, le Tribu Festival offre aux aventuriers festivaliers le confort et l’immunité dans un cabaret éphémère, construit spécialement pour l'événement. Alors on a mis le cap sur Dijon pour explorer des territoires sonores variés, largement africains. On vous raconte la 18ème édition du Tribu Festival.

Jour 1. Jeudi 5 octobre. 18h00, le camp de base

A Dijon, l’heure de la réunification pour les festivaliers finalistes sonne au Port du Canal : après un début de festival éclaté dans différentes salles de la ville, marqué entre autres par le couple de chanteurs maliens Amadou&Mariam, les festivaliers se retrouvent pour les trois dernières soirées dans un site aménagé au bord de l’eau. On y arrive à pieds en longeant la péniche Cancale (photo) qui accueillera plus tard les afters du festival. Petit festival urbain, Tribu nous met d’emblée dans une ambiance festive grâce au village impeccablement scénographié façon jungle, à l’écart de la circulation. Derrière des fûts métalliques, recouvert d’un filet de camouflage tendu entre les arbres, le bar mise avec raison sur les produits de Bourgogne à petits prix : des bières de la brasserie de Fenay à 5€ la pinte et des vins de Volnay à 3€ dans des verres consignés à 1€. Quant à la bouteille d’eau à 50 centimes, on n’a encore jamais vu tarif aussi bas en festival.

18h30, la Tribu Mobile

Verre de rouge en main, on poursuit notre tour de découverte. D’abord la Tribu Mobile (photo), la camionnette peinte aux couleurs du festival qui fait office de billetterie : son intérieur est recouvert de papier peint panthère et sa galerie de toit chargée de vélos, de malles et de coffres ligotés façon fourgon africain. Ensuite l’offre de nourriture proposée, pour tous les goûts, cohérente et peu chère : des crêpes salées à 3€, des spécialités africaines “La Pirogue” dans le thème du festival avec du poulet yassa à 5€ et du jus de bissap à 50 centimes seulement, et un food truck local “Foodies Dijon” dédié aux burgers avec six variétés à 6,50€. Si on se sent à l’aise sur ce petit site c’est aussi parce qu’il est judicieusement aménagé entre les arbres avec des tables, des canapés recouverts de tissus panthère sur lesquels se calent des familles dont les enfants jouent dans les feuilles mortes de l’automne, et même une caravane de toilettes sèches.

19h00, le rappeur burkinabé

Avant de pénétrer dans le cabaret éphémère, le premier concert est offert gratuitement dans le village du festival. Frédéric Ménard, le directeur du festival organisé par l’association dijonnaise Zutique Productions, introduit les trois soirées à venir. C’est à Joey Le Soldat venu d’Afrique de l’Ouest qu’il revient de chauffer le public majoritairement familial de début de soirée (photo) :“J’ai fait 6000 km pour venir” lance-t-il. Accompagné par un batteur, il rappe en moré, la langue du Burkina-Faso, sur une mixtape. Les genoux des festivaliers se mettent à shaker sur son morceau ragga dancehall “Burkin Bâ”. A la nuit tombée, c’est sous la douce lumière créée par les guirlandes lumineuses accrochées aux arbres que l’on entre dans le cabaret. Ce vaste dancing couvert, au parquet en bois monté pour le festival est capable d’accueillir 350 personnes.

21h00, la légende ghanéenne

Premier concert : le Balani Show Bizness de Bamako, sept musiciens de Mali qui créent un joyeux mélange de hip-hop, d’électro et d’instruments traditionnels comme le n’goni (un petit luth) et le balafon (xylophone). Cet irrésistible ensemble avait fait l’ouverture des Eurockéennes de Belfort 2016. L’ambiance ici ne se fait pas attendre: des festivaliers de tous âges se mettent à danser autour d’un danseur en costume blanc étincelant descendu sur le parquet et d’un spectateur en chaise roulante au premier rang. On admire ce respect et ce partage immédiat tandis que le DJ du groupe se met à jouer d’un likembé (piano à pouces) électrifié. Le temps d’un verre au bar aménagé au fond du cabaret et Pat Thomas & Kwashibu Area Band (photo) prennent le pouvoir. La générosité du show, la précision métronomique et le plaisir manifeste du groupe de six musiciens réunis autour de Pat Thomas, un légendaire chanteur ghanéen de disco-highlife, emportent le public. Le cabaret n’est rempli qu’à moitié mais tout le monde danse et quand résonne leur dernier morceau “I need more”, on est tous d’accord avec le titre !

Jour 2. Vendredi 6 octobre. 18h40, du free jazz en plein air

Le temps s’est bien refroidi vendredi, les quatre musiciens qui ouvrent la soirée par un concert en extérieur sont aussi emmitouflés que nous. Deux saxophonistes et deux batteurs, moitié français moitié américains, proposent le projet Twins (photo). Durant 50 minutes ils déroulent sans interruption un set de jazz improvisé qui monte en intensité jusqu’à l’ajout final de boucles électroniques par le batteur américain Makaya McCraven. Pour du free jazz, leur audience n’est pas conventionnelle : en plein air, devant les courses poursuites des enfants et les bavardages du public attablé pour manger et pas forcément initié. Mais par là-même Tribu Festival décomplexe face au caractère pointu du free jazz et nous offre l’expérience inédite de quatre jazzmen en train de créer sous nos yeux.

20h50, l'électro d’Afrique du Sud

La convivialité au bar du village est évidente et les festivaliers s’y attardent : deux d’entre eux nous disent d’ailleurs que pour les Dijonnais, venir au Tribu c’est l’assurance de croiser des gens que l’on connaît. Mais à l’intérieur du cabaret plongé dans le noir pour laisser place aux jeux de lumières, résonne le gros son afro-house de Spoek Mathambo que l’on avait découvert au dernier Banlieues Bleues. Derrière son laptop, le producteur electro d’Afrique du Sud fait bouger la centaine de festivaliers présents sur sa rythmique irrésistible portée par un batteur et un bassiste dont le plaisir est visible. “Let’s burn the rule book!” enjoint Spoek qui balance son titre “I Found You”. Encore et encore des verres de rouge au bar pour nous, le temps qu’un second groupe d’Afrique du Sud, BCUC (photo) prenne la scène…

22h50, la transe collective

… et soudain c’est la claque dans la face des Dijonnais. A chaque passage en festivals le groupe provoque le choc : à Jazz à Vienne comme au festival du Bout du Monde, on était déjà restés époustouflés. D’une puissance folle, leurs incantations martelées sur des rythmes implacables soulèvent le public qui, sans que l’on comprenne comment, double d’un coup. 200 paires de chaussures qui trépignent à toute vitesse sur le parquet pour exprimer leur communion : c’est plus fort que des applaudissements, c’est impressionnant à sentir. On comprend que l’un des percussionnistes vient de perdre sa mère mais que leur tournée continue, on les ovationne (photo). Après 1h30 de cet énorme concert, lorsqu'on passe une tête à l’after ambiancée par un DJ dans la cale de la péniche Cancale, on entend encore des festivaliers répéter “Don’t Stop The Music”, la phrase que scandait BCUC. Conquis les Dijonnais, on vous dit.

Jour 3. Samedi 7 octobre. 17h50, l’apéro latino

Le samedi est consacré aux enfants : des ateliers d’éveil musical sont organisés à La Minoterie, un complexe situé à proximité du village du festival. Lorsqu’on y fait un tour, on tombe sur SopaLoca, une fanfare rigolote de cumbia et autres musiques latines, encerclée d’enfants assis par terre. Au village du festival considérablement plus rempli que la veille, on retrouve un peu plus tard le même brass band, y compris l’imposant sousaphone joué par une fille (photo). Les bancs et tables sont pris d’assaut, le bar fonctionne à plein, la file d’attente pour les burgers s’allonge. Au milieu des galopades des enfants et des brouhahas des conversations, la fanfare ambiance l’apéro.

20h55, le piment de la soirée

C’est à l’intérieur du cabaret que notre intérêt musical est piqué par Spicy Frog (photo), un tout nouveau projet franco-indien. Trois français au sax, au clavier et à la batterie, rejoints par une chanteuse et un chanteur indiens, nous enthousiasment par leur électro jouée live. Les solos du saxophoniste Quentin Biardeau, un des membres du Tricollectif qui nous avait épatés à Vague de Jazz cet été, nous transportent. D’abord planantes, leurs créations se muent en décharge d’énergie applaudie par le public. Un public venu en nombre pour le groupe Malka Family… qui ne lésine pas sur les “On t’entend pas Dijon, vous êtes là Dijon ? Est-ce que vous êtes tous des oufs (ndlr : c’est le titre d’un de leurs morceaux) sous le chapiteau ?” Personnellement on n’accroche pas à leur funk à l’ancienne chanté en français, en contraste avec le précédent groupe plutôt futuriste, mais la foule venue faire la fête un samedi soir semble happée par l’effet nostalgie.

Jour 4. Dimanche 8 octobre. 11h20, l’immersion finale

Dimanche à la fraîche, rendez-vous au centre d’art contemporain de Dijon, le Consortium. Dans une vaste salle au sous-sol, nous sommes une cinquantaine de spectateurs immergés dans le noir absolu. Sous le titre mystérieux d’Acapulco Redux, Julien Desprez (photo) délivre une performance qui ne ressemble à rien de connu. A la fureur de sa guitare électrique se mêle l’effet stroboscopique de trois néons disposés au sol, commandés par des pédales qu’il actionne avec ses pieds. Julien investit l’espace, il se déplace pendant les séquences de noir absolu : on le pense ici mais l’éclair d’un néon nous le révèle là-bas, comme s’il voulait flasher dans nos subconscients les bribes d’une chorégraphie imaginaire. Il quitte l’espace scénique sous un effet de pulsations cardiaques produites par ses coups répétés sur sa guitare. Et c’est sur ce son et lumières radicalement novateur que s’achève le Tribu Festival, après de délicieux smoothies offerts par les organisateurs.

Le bilan

Côté concerts

La précision et les années d’expérience

Pat Thomas & Kwashibu Area Band nous ont marqués par l’unité du groupe et  la précision millimétrée des deux cuivres.

La puissance et la transe

Le groupe BCUC qui signifie “Bantu Continua Uhuru Consciousness” (l’homme en marche vers la liberté de conscience) a mené à la transe les Dijonnais, comme à chacun de leurs passages en festivals.

La fureur et les néons

Seul en scène, le guitariste Julien Desprez parvient à nous plonger dans trois dimensions: l’espace, le son et les lumières. Une performance marquante.

Côté festival

On a aimé

  • La qualité de la programmation.

  • La qualité du son et les lumières dans le cabaret éphémère.

  • Les tarifs de l’offre de boissons et de restauration.

  • L’attention portée à la scénographie du village.

  • La convivialité, l’ambiance, le public de toutes les générations.

On a moins aimé

  • On a beau chercher, on ne trouve pas de point faible. Même la météo, très froide mais dégagée, a permis de profiter des concerts prévus chaque début de soirée en plein air.

Conclusion

Petit festival urbain, Tribu Festival est grand par la qualité et l’originalité de sa programmation musicale, sa scénographie soignée, sa convivialité. Un sans faute pour ce temps fort musical de l’automne à Dijon, qui en est déjà à sa 18ème édition. Une véritable réussite pour l’association dijonnaise organisatrice, Zutique Productions.

Récit et photos Alice Leclercq