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No Logo BZH 2023 : retour aux sources bretonnes du reggae

Le No Logo BZH installé près de Saint-Malo fête sa sixième année d'existence et cette année les organisateurs ont vu grand. Les aficionados de reggae, de dancehall et de dub ont de quoi se réjouir tant la programmation est variée et les grands noms s’enchaînent. Beaucoup plus de monde que l’an dernier est attendu. Le No Logo BZH, toujours complètement indépendant en termes d'organisation et de programmation du No Logo dans le Jura (attention à ne pas se tromper au moment de l’achat de votre billet), a entretenu l’esprit participatif d’un festival fait pour et par les festivaliers, et le tout toujours sans sponsors. Nous vous racontons tous ici des 4 jours dans notre festival de raggamuffins (de l’argot jamaïcain “va-nu-pieds”) préféré.

Jour 1. Vendredi 11 août. 18h, chaleur moite sur la Dub Arena

L’entrée sur le site se fait cette année avec une absence remarquée des habituelles brigades cynophiles aux affûts et contrôlant les poches et sacs des festivaliers pour y trouver une manne de marijuana. Comme auparavant, le retrait des bracelets est au niveau du camping, et déjà on croise certaines personnes s’étant présentées aux portes du fort de Saint-Père-Marc-en-Poulet, confuses de ne pas pouvoir y échanger leurs billets contre le sésame. De nouveaux messages fleurissent sur le site, appelant à plus de respect, à une fête plus agréable et sans relous.

Le Dub Corner, ou Dub Arena, est déjà en folie. On y retrouve Irie Ites (photo) aux platines, toujours à la pointe des productions actuelles et anciennes dans le domaine reggae et dub. Il nous honore de nombre de dubplates qui lui sont dédicacées, notamment une d’Amplifier du breton Pupajim. Le DJ pèse dans le game, et ce n’est pas pour rien qu’il a sa carte blanche au No Logo BZH.

Le barman, quant à lui, est déjà dans un état second et a quelques problèmes pour servir nos premières pintes. Malgré tout, l’ambiance est familiale. Toutes les générations se croisent, et l’on passe fréquemment à côté de familles, les enfants avec un casque de réduction de bruit distribués dans le festival.

Sur la grande scène, ou scène Tyrone Downie, du nom du pianiste et organiste des Wailers disparu en 2022, c’est Skarra Mucci & Dub Akom qui donne de la voix, alternant entre soul, reggae, dancehall et RnB avec un rythme effréné telle une bête de scène. Après avoir fait une reprise de Bad Boys (“what you gonna do when they come for you?”), il nous présente son guitariste Didier, all the way from Marseille city. Dub Akom est en effet un backing band de la cité phocéenne, c’est-à-dire une formation instrumentale spécialisée dans l’accompagnement des artistes internationaux, pour réduire notamment les coûts de déplacement. La France a une scène reggae suffisamment vivace pour que de tels groupes puissent exister, et c’est tant mieux car les musiciens de Dub Akom sont excellents ! Durant une autre reprise (Lose yourself d’Eminem), on aperçoit enfin le premier drapeau breton dans la foule. Il est 19h54, il se sera presque fait attendre.

21h, nous on veut continuer à danser encore

Après notre première galette-saucisse du festival (un grand classique toujours incontournable), on retourne à la grande scène pour assister au concert d’HK (photo). Accompagné par un grand ensemble instrumental. Chaque musicien de l’orchestre se retrouve à avoir son moment de gloire avec un solo qui le met en avant. L’ambiance fraternelle des paroles engagées diffuse plein de good vibes. Au moment de son grand tube “On lâche rien”, le chanteur part faire un slam dans le public qui en redemande. Après avoir joué le morceau “Danser encore”, composé durant les premières restrictions sanitaires pendant l’épidémie de Covid, HK nous invite à les retrouver, lui et ses musiciens, dans la foule des festivaliers : avec une telle programmation, ils comptent bien profiter des autres concerts à nos côtés !

Du côté de la Dub Arena, Irie Ites déroule sa carte blanche, et nous présente ses invités. On découvre de flow de mitraillette de Puppa Nadem, qui survolte l’ambiance du public amassé devant le Little Lion Soundsystem. Le mur d’enceintes nous vient de Genève, et nous prouve encore une fois que le réseau dub-reggae francophone est très fertile. Nadem s’adresse aux militants présents sous la tente et leur demande : “Are you ready to stand up and fight?”, puis enchaîne avec “Revolution”, un morceau fait avec un featuring de Skarra Mucci, qui passait un peu plus tôt sur la grande scène. Après avoir fait chanter le public, il lui déclare sa flamme : “Vous êtes wicked!”

23h, à l’ancienne

L’artiste suivant invité par Irie Ites n’est autre que Huford Brown, ou U-Brown, un MC et DJ de reggae qui a commencé sa carrière en 1971. Il sert un set parfait in a rub-a-dub style, avec notamment un redub de “Chase the devil” de Max Romeo, sur lequel il change les paroles. Ce n’est plus une armure de fer qu’il compte porter car il nous dit : "I'm gonna put on a No Logo shirt". Le public adore. Après son passage, Irie Ites nous passe un dubplate fait par Barrington Levy, attendu sur le festival la journée du dimanche, et dédicacé au selecta qui nous fait sa carte blanche.

Peu avant minuit, c’est le groupe phare du reggae anglais Steel Pulse (photo) qui prend place sur la scène Tyrone Downie. Pour leur première venue sur le festival breton, les musiciens nous proposent un reggae très instrumental, avec une section rythmique composée de claviers, d’une basse, une batterie et une guitare, une section de cuivres très brillante avec un trompettiste et un saxophoniste qui fera des solos dignes d’un sax hero, le tout complété par une choriste. On reste impressionnés par la dread antédiluvienne du chanteur-guitariste leader du groupe, David Hinds. Le pianiste saute un moment sur le devant de la scène, et prend le mic pour un couplet très virtuose. On croit y percevoir l’influence de la scène jazz anglaise très vivace, et ce n’est pas pour nous décevoir !

Jour 2. Samedi 12 août. 19h45, du monde, toujours plus de monde !

Pour ce deuxième jour, les mesures de sécurité à l’entrée ont changé. Les gourdes d’eau qui la veille devaient être vidées avant d’entrer sont maintenant autorisées s’il n’y a pas d’alcool dedans. On assiste à un moment de grande confusion, tandis qu’une longue file d'attente féminine se forme à cause des fouilles inégalement réparties.

Le programme est chargé en ce jour de weekend au No Logo. Première grande star à performer sur la grande scène, Horace Andy (photo) laisse, en guise d’introduction, son tromboniste prendre les manettes avec un solo sur le thème du Parrain. Lui, arrive sur le morceau suivant. On est tout de suite happés par son vibrato si remarquable. Le reggaeman préféré du groupe de trip hop Massive Attack interprète la version originale de “Man next door”. Parmi la foule, de nombreux drapeaux kanak sont présents, bien plus que les drapeaux bretons, et ce comme l’année précédente. Le set enchaîne presque sans interruption, les musiciens faisant se superposer les derniers accords d’un morceau avec le beat du suivant. Le concert s’achève avec un hommage à Bill Withers, Andy reprenant “Ain’t no sunshine”, une musique dont il a déjà enregistré la reprise en version reggae.

21h, un peu de soleil phocéen chez les Bretons

En allant nous désalterer entre deux concerts on se rend compte que nos écocups cette année sont siglés du logo du festival, un petit investissement comparé à l’an dernier. Les écocups étaient toutes recyclées et dépareillées (on aimait bien le concept). On se presse bientôt sur la grande scène pour ne pas rater le début du concert des papés marseillais. Massilia Sound System (photo), c’est un club de cinquantenaires marseillais fans absolus de dub et de reggae à la sauce provençale. Ils sont aussi à l’aise sur scène qu’à une table de café autour d’un pastaga. Ils enchaînent dans la joie et la bonne humeur les titres les plus connus de leur répertoire (titres parfois chantés en occitan). Mais ils ne ratent pas une occasion entre deux chansons pour nous invectiver bruyamment dans une cacophonie burlesque : à grand renforts de blagues à papas et d'apitoiements sur leurs vieux os. Ils nous donnent rendez-vous en septembre en manifestation parce que, nous disent-ils, “je ne sais pas vous mais nous toute l’année, on a manifesté”. La fin du concert approche, c’est un bon moment pour leur ode à l’ail : le titre Aïoli, qui finit d’embraser définitivement la foule présente. On est ravi d’être là !

00h, ça chauffe sur la grande scène

Le moment tant attendu de ce samedi soir, c'est la prestation du jamaïcain Sean Paul sur la grande scène. Le maître du dancehall des années 2000 a fait déplacer une foule bien plus compacte qu’hier aux concerts de la soirée. C’est plein à craquer partout ! L’accès à la Dub Arena devient particulièrement compliqué (le passage ressemble de plus en plus à un goulot d’étranglement) et les esprits s’échauffent un peu. C’est bien dommage connaissant l’esprit du festival. Programmé au même moment que Sean Paul et ses danseuses, le chanteur Marcus Gad se défend comme il peut sur la Dub Arena, le selecta KZA qui l’a invité pour la deuxième fois sur le festival remercie d’ailleurs chaudement le public présent à la fin du concert. 

Nous déambulons sur le site du festival et croisons à plusieurs reprises un festivalier accordéoniste entouré de joyeux va-nu-pieds, l’ambiance reste très bon enfant malgré les piétinements. Sur la grande scène se prépare le concert d’une autre pointure du reggae venue d’Afrique Tiken Jah Fakoly (photo). Accompagné de plus de 10 musiciens et choristes, l’ivoirien se fait désirer sur scène alors que le concert a débuté par un long interlude musical. Nous ne sommes néanmoins pas déçus par la qualité musicale de celui qui est maintenant un habitué des scènes (il était d’ailleurs déjà venu au BZH en 2018).

Jour 3. Dimanche 13 août. 20h, dread locks et bobs Cochonou

Le troisième jour, les consignes de sécurité ont encore changé. On s’amuse avec les employés de la sécurité des contradictions entre les ordres qu’on leur donne d’un jour à l’autre qui, pour autant qu’elles sèment la confusion à l’entrée, ne mettent personne en danger. On s’installe un peu en avance pour le concert de The Congos (photo) sur la grande scène. Ce groupe historique du reggae vocal, initialement parrainé par Lee ‘Scratch’ Perry, fait alterner les quatre chanteurs aux micros, parfois en soliste, souvent en chœur. Les retours son se font via des enceintes à leurs pieds, et on imagine le mal fou qu’ont dû se donner les ingés son à faire des balances convenables.
Dans la foule on repère des festivaliers déguisés avec plus ou moins de classe : un empereur romain, des habituels chevaucheurs de T-Rex gonflables accompagnés par un mec se baladant avec une baignoire gonflable autour de la taille. Heureusement, certains font plus sobres et arborent fièrement leur bob Cochonou récupéré sur le Tour de France. Avant les ultimes rastafari blessings (bénédictions rastafari), The Congos nous honorent de leur célèbre “Row Fisherman”. C’est le temps pour nous d’aller nous hydrater.

21h30, c’est l’heure de l’antifascisme espagnol !

Le reggae alterne toujours avec une esthétique proche au No Logo. C’est au tour de Ska-P (photo) de nous jouer leur mélange de ska et de rock punk sur la grande scène. Ils se lancent dans un show foutraque où la musique est constamment rythmée par la section des cuivres. Un des trompettistes, Alberto Iriondo qui se fait appeler Txikitin, se balade sur scène quand il ne joue pas, en changeant de déguisement à chaque chanson. On le retrouve soudain portant un masque de singe et un uniforme fasciste, alternant les saluts franquistes et les mimiques simiesques. Le message est passé. Les chants s’opposant aux discours oppresseurs laissent place à leur célèbre ode à la ganja “Legalización”. Le public s’enflamme et le chanteur Pulpul se lance dans un slam endiablé. On suit sa progression dans le public grâce aux écrans installés sur les côtés de la scène, une nouveauté de cette édition. La réalisation live est par ailleurs excellente et nous rappelle par moments le travail fait sur les productions d’Arte concert sur d’autres festivals.

23h, black roses in my garden

On passe se restaurer à la Papille Verte (qui nous avait déjà beaucoup plu sur l’édition précédente) et savourer leurs plats végétariens, puis la chaleur nous pousse à continuer avec une bonne glace à leur stand dédié (élégamment nommé “J’ai les boules”, on ne juge pas). Le festival commence à peser sur nos vieux os, et on se trouve un bon coin assis pour savourer tout ça. Le temps nous manque cependant pour nous reposer car c’est le légendaire Barrington Levy (photo) qui prend place sur la scène Tyrone Downie. Le concert est d’une bonne qualité musicale, mais nous ne sommes pas particulièrement entraînés par ses fameux skeedledeebap et autres interjections de scat. Levy joue particulièrement la star, et on a un peu l’impression qu’il a le melon. C’est fort regrettable, car on attendait beaucoup de ce grand chanteur de reggae et de rub-a-dub style ! Il aura peut-être passé trop de temps à se préoccuper des fameuses roses noires de son jardin… on n’espère que ce n’est que passager.

Jour 4. Lundi 14 août. 19h30, enfin des artistes féminines !

Nous entamons notre dernière journée fatigués bien sûr mais encore bien trop curieux d’entendre le programme pour manquer à l’appel. Le festival a fait le choix de regrouper les artistes féminines sur une journée unique. L’idée était de les mettre à l’honneur mais le choix du lundi, dernier jour de festival, n’était vraiment pas judicieux. Beaucoup moins reconnues que leurs camarades masculins, les artistes féminines de la scène reggae, dub et rap ne peuvent pas espérer autant d’affluence à leurs shows un lundi, dernier jour d’un festival aussi dense. On songe à "More women on stage", l’initiative menée par Lola Frichet, la bassiste du groupe de rock Pogo Car Crash Control, qui incite à mieux visibiliser les femmes dans le milieu musical. Nous sommes un peu dégoûtés de voir certains concerts désertés par le public. Sur la Dub Arena, la franco-tunisienne Médusa TN (photo) ne se décourage pas en redoublant d'énergie. Avec un sourire lumineux, la jeune rappeuse nous fait danser en français, anglais et arabe dans le texte.

Nous prenons le temps de nous restaurer sur le stand de pizza à feu de bois italien. Il n’y a plus de queue nulle part et de la place partout pour s'asseoir. L’ambiance est plus détendue. Nous commençons à reconnaître des visages croisés plus tôt les jours précédents. Les langues se délient plus facilement. Les survivant.e.s du lundi ont l’air d’être les plus fervent.e.s défenseur.e.s de la convivialité chère au No Logo. Nous nous sommes fait des copaines.

00h30, la mère du reggae a parlé

Alors que sur la Dub Arena, Stand High Patrol est aux platine (un set de plusieurs heures ponctués de guest musiciens du groupe), une légende du reggae, la dernière grande tête d’affiche du festival, fait son apparition sur la grande scène. Marcia Griffiths (photo) est une artiste jamaïcaine connue et reconnue dans le monde entier. Ancienne choriste des Wailers, elle a entamé depuis plus de 30 ans déjà une carrière solo. L’impression qu’elle donne est celle d’une grand-mère pleine d'énergie et d’amour, prête à nous serrer un à un dans ses bras. Et cette voix ! Pleine de sagesse et de gratitude. À plusieurs reprises, elle rend hommage aux Wailers et à Bob Marley en reprenant les grands classiques du répertoire. Rien de mieux pour clôturer ce festival que cette prestation.

Avant d’aller nous coucher et de quitter définitivement (jusqu’à l’an prochain !) le site du No Logo BZH, nous retournons faire un tour à la Dub Arena car nous avions encore l’espoir de voir débarquer le chanteur Pupajim pour pimenter le set de Stand High Patrol. C’est raté mais à charge de revanche pour la programmation de l’an prochain !

Le bilan 

Côté concerts

Le meilleur du reggae à la sauce marseillaise
Massilia Sound System, parceque toute l’année on a manifesté

La reine mère du reggae met le feu
Marcia Griffiths, la douceur et la joie incarnée

Le français le plus respecté des platines du dub et du reggae
Irie Ites, le selecta et ses dubplates qui nous font rêver tous les ans

Côté festival

On a aimé :
- L’ambiance bienveillante et très ouverte du festival : tous les âges cohabitent dans la bonne humeur
- Le concept même du No Logo : pas de sponsors, indépendance totale, festivaliers acteurs de l’organisation, bénévoles issus du monde associatif et partenariat avec des associations locales
- Les artistes choisis pour la programmation de cette édition
- L’offre de restauration végétarienne abondante et les prix très corrects pour boire et manger

On a moins aimé :
- L’organisation de la programmation avec les artistes féminines toutes le dernier jour du festival: jour le moins fréquenté des trois…
- L’état des toilettes le dernier jour, clairement plus sale à cause de l’affluence plus grande (et l’absence de toilettes sèches cette année!)
- L’accès trop étroit de la Dub Arena qui a entraîné des cohues dès le premier soir
- De manière générale l’affluence plus importante cette année qui montre que le festival marche bien mais qu’il faut agrandir l’offre d’espaces (de musique, de restauration, d’endroits pour se poser) pour réduire l’attente partout

Infos pratiques

Prix des boissons
- Bière en pinte: entre 6 et 8 euros 
- Soft en pinte: 4 euros 

Prix de la nourriture
- Galettes à partir de 3€ (5€ pour une traditionnelle galette saucisse)
- Large choix de 9 à 15€ (10 à 13€ la pizza)

Prix du festival 
- Pass 4 jours : 100 euros
- Camping : Formule camping à 15 euros, avec toilettes sèches.

Transport 
- En voiture :  À 15 minutes de Saint-Malo, 40 minutes de Rennes, 55 min. de Saint-Brieuc et 1h45 de Caen/Nantes. En train jusqu’à la gare de Saint-Malo. 

Conclusion 

Le No Logo BZH ne nous a pas déçus. Cette 6ème est une réussite en termes de fréquentation, de musique et de visibilité. Les festivaliers et les artistes étaient au rendez-vous, offrant de magnifiques moments de communion et des concerts inoubliables. L'atmosphère  de ces 4 jours est toujours aussi conviviale, fraternelle et sororale. Nous avons fait le plein d’amour et de bonnes musiques pour passer l’hiver. Mention spéciale aux irréductibles festivaliers du lundi, les plus sympas et les plus avenants. Ne changez rien l’an prochain, sauf si c’est pour agrandir les espaces de festival et non le nombre de festivaliers (sinon ça va craquer) !

Récit et photos : Georges Lanvin et Fanny Salmon