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Le bilan des festivals de l’année 2022 : l’année de reprise

Pour la septième année consécutive, l’équipe de Tous les Festivals propose son bilan annuel des festivals. Après une version “limitée” en 2021, retour d’un bilan classique qui mêle les chiffres de fréquentation et une vaste consultation sur la santé du secteur après une année dite “de reprise” marquée par le grand retour des événements dans leurs formats ordinaires, ou magnifiés, de nouveaux enjeux et des difficultés qui interrogent plus que jamais le modèle du live dans l’Hexagone, et au-delà. 

Retour sur la saison 2022 et les chiffres marquants des festivals de musique actuelle les plus importants de France, qui ont réuni à eux seuls plus de 7.390.000 festivaliers. Un point sur les difficultés d’organisation rencontrées, la hausse des coûts et le manque de personnel, en passant par le prix des cachets artistiques en pleine explosion.

Méthodologie du bilan

Il est primordial de définir précisément et avec transparence la méthodologie appliquée dans ce bilan pour éviter des interprétations erronées. Nous avons fait le choix de conduire  l’étude en deux temps distincts : 
- Dans un premier temps, une étude des chiffres de fréquentation
- Dans un deuxième temps, une enquête qualitative portant sur la santé et les projections des festivals, conduite en décembre 2022 et portant sur l’année 2022 écoulée

Etude sur la fréquentation

Tout comme pour les bilans des festivals publiés en 2016, 2017, 2018 et 2019, nous nous sommes penchés sur les évolutions d’un secteur plus que jamais en mouvement. Dans un souci d'efficacité,il semble nécessaire de garder les mêmes critères pour comparer les chiffres et mettre les progressions en exergue. Après deux années quasiment blanches, nous avons réintroduit dans l’étude chiffrée des critères de durée et de fréquentation stricts, afin d’éviter un classement avec une trop importante quantité de données. Ce classement est établi sur l'année civile 2022. Les festivals figurant dans la carte ci-dessous répondent donc aux critères suivants :

- L'événement est considéré comme un festival de musiques actuelles
- L'événement s'est déroulé entre le 1e janvier 2022 et le 31 décembre 2022 (des mises à jour seront faites)
- L'événement a accueilli au minimum 15.000 personnes sur toute sa durée
- La durée de l'événement ne dépasse pas les 20 jours maximum
- Ne sont pas pris en compte les événements intégralement gratuits

Il est important de noter que la totalité des chiffres proviennent des festivals eux-mêmes. Le média ne remet en aucun cas en cause les chiffres annoncés par les organisateurs. Il n'existe à ce jour aucune obligation d'harmonisation des moyens de calculs, chaque festival suit sa propre méthodologie et annonce les chiffres qui lui paraissent les plus justes. Par ailleurs, certains événements ne figurent pas dans ce bilan, les organisations n'ayant pas communiqué sur les chiffres demandés ou n'ayant pas souhaité répondre à nos sollicitations.

Enquête qualitative

Suite à une première expérience concluante menée en 2021, l’équipe de Tous les Festivals a décidé de réitérer l'expérience d’une enquête auprès des organisateurs sur les difficultés rencontrées, les conclusions positives et une projection sur l’année 2023 à venir. Un questionnaire a été envoyé aux organisateurs de festivals de musiques actuelles. Le panel est le suivant : 

- 146 festivals de musiques actuelles,
- se déroulant en France métropolitaine ou qui auraient dû se dérouler en France métropolitaine,
- entre le 1er janvier 2022 et le 31 décembre 2022,
- 25% du panel a accueilli en 2022 plus de 10.000 festivaliers,
- les festivals ne dépassent pas 20 jours de durée

L’enquête a été réalisée entre le 8 et le 31 décembre 2022.

Fréquentation : 7.390.000 festivaliers réunis dans les 100 plus grands événements

Cette carte recense uniquement les 100 événements ayant réuni le plus grand nombre de festivaliers en 2022.

Les 20 plus grands festivals annoncent à eux seuls près de 4,5 millions de festivaliers

 

Une édition exceptionnelle à deux niveaux

C’est le retour en grande pompe des festivaliers !

Alors qu’en 2021, seulement 69% des festivals de musique avaient pu avoir lieu dans l’Hexagone, nous pouvons officiellement considérer 2022 comme l’année de la reprise puisque 98% des événements ont pu se tenir. 

25,2% des festivals interrogés dans notre enquête ont affiché complet en 2022 et 53,8% célébraient une édition 2022 record en termes de fréquentation, comme le festival Aucard de Tours qui a rassemblé 20 000 festivaliers sur 5 jours, le festival Megascene qui a affiché complet malgré l’annulation d’une des têtes d’affiche, le festival Décibulles qui bat son record d’affluence avec 32 000 festivaliers sur le weekend ou encore Art Sonic qui a affiché son sixième complet consécutif avec 22 500 festivaliers.

Plus de 35% des festivals interrogés dans notre enquête ont accueilli entre 5 et 10.000 festivaliers, preuve supplémentaire qu’au-delà de la mise en lumière des “très gros” événements, les petites structures continuent à œuvrer dans les territoires. Des territoires qui bénéficient donc de nouveau des retombées de ces événements : transports, hotellerie, restauration et le secteur tertiaire plus généralement, le retour en grande pompe des festivaliers dans tous les départements de France marque aussi une reprise économique plus globale.

Mais bien que l’été n’ait pas été aussi catastrophique qu’estimé à la fin de l'été 2022 dans divers médias et tables rondes, il est néanmoins mitigé puisque du côté des événements qui n’ont pas pu écouler l’intégralité de leur billetterie avant leur ouverture, 51% affichaient un taux de remplissage entre 50 et 80%, 31% entre 80 et 90% et seulement 16% des festivals affichaient un taux de remplissage supérieur à 90%, dont Rock en Seine (150 000) par exemple. Il semble primordial de rappeler que, depuis la période pré-covid, et notamment suite à une hausse mirobolante des cachets des artistes, la plupart des événements doivent atteindre un taux de remplissage de plus de 90 % pour entrer dans leurs frais. 

Les politiques tarifaires évoluent elles aussi. 79% des festivals ont pris le parti de mettre en place le Pass Culture en 2022, permettant ainsi aux 15-18 ans d’en profiter sans se ruiner, et 72% ont une politique tarifaire adaptée, comme par exemple pour les personnes en recherche d’emploi, ou les personnes en situation de handicap. En moyenne, les festivaliers ont déboursé 34,5€ pour un billet un jour pour leurs festivals de musique préférés en 2022. 

Mais des difficultés financières et de recrutement qui s’exacerbent en 2022 

Plus que jamais, les festivals de musique en France ont fait face à des difficultés en 2022. Hausse des coûts des matières premières, pouvoir d’achat en baisse, difficultés d’approvisionnement, pénuries, aléas climatiques… 

Mais on compte malheureusement toujours plusieurs annulations, notamment du côté des Eurockéennes qui ont dû annuler deux soirées après un violent orage qui a fait sept blessés et We Love Green a dû interrompre les concerts le samedi soir pour les mêmes raisons au Bois de Vincennes. Même son de cloche à Rouen au festival Rush avec de très importantes pluies alors que le festival Freemusic s’est vu contraint d’annuler son édition 2022 suite au déclenchement de l'alerte rouge canicule par la Préfecture. Les organisateurs du Festival Alternatiba, à Lyon, ont dû quant à eux se résoudre à annuler leur événement faute de billets vendus en nombre suffisant, et dans le Limousin le Festival 1001 Notes a annulé 4 soirées sur 8 pour des raisons financières.

Et au-delà des aléas climatiques imprévisibles, 81% des festivals répondants déclarent avoir rencontré une augmentation des coûts techniques et 77,5% ont dû augmenter le budget destiné à la programmation artistique, notamment à cause de la hausse considérable du cachet des artistes. 

« Les festivals se préparent à N-1. Quand on s’est mis au travail il y a plus d’un an, on n’avait pas envisagé la guerre, un contexte inflationniste, des inondations, la canicule. On ne peut pas anticiper ça. Néanmoins on voit quand même les signaux d’un modèle qui est probablement à bout de souffle. Il faut prendre un moment de réflexion pour consolider le mode économique des festivals et le rendre plus pérenne. » précise Malika Seguineau, Directrice générale du PRODISS (syndicat national du spectacle musical et de variété).

Si les événements ont été soutenus jusqu’ici grâce au fonds de soutien exceptionnel aux festivals du CNM, celui-ci n’est pas voué à être reconduit. 7,7% ne bénéficient d’aucune aide publique et pour 35,7% des festivals, cette aide correspond à moins de 10% de leurs dépenses totales. 

Malika Seguineau le rappelle : « En 2022 on pouvait encore compter sur les plans de relance et il y a eu une aide versée à l’ensemble des entreprises du spectacle vivant à l’été 2022 pour accompagner la reprise. Pour la commission des festivals on avait cette année un budget exceptionnel de 5 millions d’euros. Le problème c’est qu’il y a eu 14 millions d’euros demandés. On revient à des budgets sans soutien particulier, c’est la taxe fiscale des billetteries de spectacles qui finance le soutien aux festivals. Est-ce que ça va être suffisant ? »

« Les mécènes et les sponsors ont été très présents cette année et ont notamment permis d’éviter une hausse très substantielle du prix du billet. Mais ces mécènes ce sont des entreprises, et les entreprises traversent les mêmes difficultés que nous. Qu’adviendra-t-il de leur soutien dans le futur ? » s’interroge t-elle

On a également pu constater des embouteillages dans les événements de l’été puisque 71,4% des festivals se sont déroulés sur les mois de juin, juillet et août. Cela a bien entendu pu poser des problèmes : 20% ont subi une pénurie d’équipements techniques (difficultés d’approvisionnement chez les festivals qui connaissent de multiples événements aux mêmes dates), et 24% répondent avoir subi une concurrence de nouveaux événements aux mêmes dates

Malika Seguineau s’interroge sur « les nouveaux festivals qui apparaissent dans un contexte où il y a déjà beaucoup de festivals en France et où la reprise est difficile. C’est difficile de créer un nouvel événement quand ceux qui ont une histoire et un lien très fort avec le territoire sont déjà dans la peine. » Pour exemple, l’Inversions Fest’ qui a eu lieu fin juin à Lyon, ne semble pas avoir trouvé son public. A cette date pas d’édition 2023 de prévue.

S’ajoutent en parallèle, d’importantes difficultés dans le recrutement : 32% ont eu des difficultés à engager des bénévoles, 24% ont eu des difficultés à embaucher des techniciens, salariés et saisonniers. D’après Malika Seguineau, « On a constaté de nombreux départs après 2 ans. Certains techniciens ont définitivement quitté le secteur du live et sont partis sur des secteurs avec moins de difficultés. D’autres ont changé de vie, comme beaucoup de gens. C’est la première fois que notre secteur est en difficulté pour recruter. De manière générale, on fait ce métier parce qu’on adore la musique, parce qu’on adore côtoyer les artistes, créer du vivant et du lien social. Mais à un moment il faut qu’on s’interroge sur le modèle-même de nos entreprises pour prendre en compte les envies d’une génération nouvelle qui veut travailler dans un univers qui lui plait mais qui veut aussi que ça réponde à des valeurs et à une quête de sens. »

Mais on note également des soucis de fréquentation puisque certains festivals ont connu une fréquentation relativement basse par rapport aux attentes. Après 5 jours de festival en 2022, le festival Musilac accuse un déficit de 1,2 million d'euros, et pour cause. L’événement n’a écoulé que 80 000 billets sur les 100 000 espérés. De son côté, l'Ardèche Aluna subit également une déception conséquente avec 60 000 billets vendus, sur les 85 000 escomptés, et bien en deçà de son point d’équilibre financier qui était de 72 000 places vendues.

Bien que certains événements d’envergure ont pu ajouter un ou deux jours à leur format initial, comme Beauregard ou encore le Cabaret Vert, ou même un week-end supplémentaire comme cela a été le cas pour le Hellfest, 73% des festivals n’ont pas changé de format comparé à leur dernière “édition normale”, en 2019. En 2022, le format le plus classique restait toujours celui de trois jours, mis en place par 34% des événements interrogés, quant 18% des festivals se sont tenus sur quatre jours

Des embouteillages artistiques et l’envol des cachets 

Les festivals de musique ont accueilli en moyenne 46 concerts sur toute leur durée en 2022 : 450 concerts pour le plus actif, et quatre concerts pour le plus intimiste. 

Parmi les artistes, on retrouve pas moins de 74% d’artistes francophones en moyenne, 13% de musiques urbaines, 19% de musiques électroniques, 21% de variété française et francophone, 21% de rock et métal et 11% de jazz. Le rap prend donc certes de plus en plus de place sur les têtes d’affiche, mais on est loin de l’hégémonie absolue mise en avant dans certaines études. En revanche, les artistes français et belges prennent, eux, une place plus que considérable sur les affiches : des conséquences de la période post-covid ? Des cachets internationaux inabordables ? Une volonté écologique ? L’arrivée d’une nouvelle salve de jeunes talents francophones très en vogue ?

D’après Aurélie Hannedouche du SMA, « Aujourd’hui pour se payer la tête d’affiche française de référence il faut sortir 150 000€. Ça devient délirant et c’est dommageable parce qu’on est un écosystème, on est tous dépendants les uns des autres et les festivals ne vont pas pouvoir jouer à ça très longtemps. On risque de mettre en danger les entreprises et les associations qui portent les projets et les artistes risquent de tuer eux-mêmes leurs potentiels acheteurs. » 

Alors qu’il était en constante hausse depuis plusieurs années avant la pandémie, le cachet des artistes a explosé depuis 2021. Paris Match estime cette augmentation entre 15 à 30%. “C’est une augmentation continue. En 2015, un gros cachet de tête d’affiche c’était 250 000 €, en 2022, les mêmes artistes, c’est le double, voire le triple. Aujourd’hui pour Beauregard, une grosse tête d’affiche c’est plus 400 000 €. Et on ne parle pas des Muse.” expliquent Claire Lesaulnier et Paul Langeois, les deux co-directeurs du festival Beauregard dans Actu.fr

Malika Seguineau du Prodiss complète « Les festivals ont besoin d’une tête d’affiche pour que le public vienne. Mais on a quand même eu en 2022 beaucoup d’artistes qui ont fait beaucoup de festivals dans un rayon de kilomètres très proche. Lorsque que vous voyez l’artiste une fois, est-ce que vous allez reprendre un billet pour le revoir encore ? »

Elle soulève également un problème territorial : « On a remarqué que sur la région Sud-Ouest il y a une énorme concurrence, une grande concentration de festivals, une sur-sollicitation du public et là ça a été dur pour tout le monde. Notamment avec Olympia Prod qui a beaucoup investi le territoire.» (ndlr : Garorock, Brive Festival, Les Déferlantes Sud de France, ODP Talence, Live au Campo…)

Mais au-delà des têtes d’affiche “squatteuses des festivals”, on peut soulever chez certains une volonté de renouveau et de mise en avant de nouveaux talents. Ainsi le festival NDK a lui aussi changé d’ADN pour se tourner davantage vers la découverte musicale et a laissé de côté la formule warehouse avec de grands noms internationaux. 58% des événements interrogés proposent par ailleurs un dispositif pour valoriser les jeunes talents et/ou les talents du territoire, comme c’est le cas au Printemps de Bourges avec les fameux “Inouïs du PDB” mais aussi le festival Yzeures’N’Rock qui met en avant les talents des régions Centre ou Poitou-Charentes, le Don Jigi Fest qui confie son ouverture à un groupe local ou Art Rock qui récompense des artistes ou groupes de musique du Grand Ouest, non signés par un label. 

L’expérience festivalière et les engagements sociétaux (enfin) au coeur de la stratégie des festivals de musique 

En 2022, on continue d'observer un virage dans les propositions annexes des festivals de musique qui travaillent sur bien plus que des enchaînements de concerts et se tournent davantage vers une véritable expérience festivalière. Ainsi 78% d’entre eux proposent des activités ludiques, sportives ou pédagogiques aux festivaliers sur les temps de pause ou en parallèle du programme musical : 52% d‘entre eux adaptent un programme spécial pour les enfants, 45% organisent des expositions (photographie, illustration, vinyls, street-art…), 45% organisent des salons au sein de leur événement (bande-dessinée, dégustations, marchés, stands…), 38% mettent en place des conférences et des tables rondes… On découvre donc une programmation stand-up au festival Woodstower, des tables rondes aux Transmusicales de Rennes, un salon de la bande-dessinée au Cabaret Vert ou des compétitions sportives au festival Natural Games.

Ce programme en direction des festivaliers va de pair avec les engagements sociétaux et environnementaux croissants qui sont désormais ancrés dans l’ADN même d’un grand nombre de festivals. 73% d’entre eux déclarent mettre en place un programme d'accueil en direction des personnes en situation de handicap et 42% travaillent sur une plus grande parité femmes/hommes sur scène. On retrouve notamment des gilets vibrants destinés aux festivaliers malentendants sur les festivals Au Foin de la Rue, à Nice Jazz, aux Papillons de Nuit ou au Hellfest, quand le festival les Rendez-vous Soniques invite des chantsigneurs sur scène. A Paris, à Rock en Seine, on a pu trouver en 2022 un plan en relief et des supports d’information rédigés en “Français pour tous”. 

Alors que depuis 2019, certains festivals comme les Suds à Arles ou encore le Levitation France travaillent à harmoniser la parité sur leurs affiches, le harcèlement et les agressions sexuelles et sexistes sont également pris de plus en plus au sérieux sur les événements en France à travers différents partenariats avec des associations spécialisées comme Les Catherinettes au festival Dub Camp notamment, le collectif féministe Nous Toutes à Rock en Seine, CEBI au festival Motocultor ou encore l'application Safer à Marsatac.

Côté développement durable, 70% des festivals répondants ont instauré un programme de suppression de l’usage du plastique et le dispositif Drastic on Plastic, qui propose un accompagnement pour des évènements zéro plastique, compte à ce jour plus de 120 festivals signataires. 

70% d’entre eux proposent une offre de boisson responsable (boissons locales et artisanales, offre zéro déchet…). Et nos estomacs ne sont pas en reste puisque 70% se tournent vers une offre alimentaire responsable comme le Sarcus Festival qui a pris la décision d’être 100% végétarien, le festival Les Escales de Saint-Nazaire qui a invité chacun des stands à proposer au moins un plat végétarien, ou encore le Cabaret Vert qui compte 70% de fournisseurs en provenance du département. Les festivals Décibulles, Chien à Plumes, Mégascène ou encore les Nuits Courtes proposent plusieurs dizaines de bières locales, Art Rock ne sert plus que du Breizh Cola et Jazz à Vienne propose du thé glacé artisanal bio, local et zéro déchet.

Enfin 64% des festivals incitent les festivaliers mais aussi les artistes à réduire les déplacements en voiture ou en moyens polluants en favorisant des modes de déplacement plus écologiques, en mettant en place des tarifs réduits pour les transports en commun, en travaillant sur un renforcement de ces transports, la mise en place de navettes, ou encore l’adaptation de l’accueil pour les cyclistes. C’est le cas du festival No Logo qui proposait un dispositif de bagagerie et un apéro musical pour les festivaliers qui décidaient de s’y rendre à vélo. 

Certains festivals, plus audacieux encore combinent le fun et l'utile, comme le World Festival d’Ambert qui a lancé un grand rendez-vous de l’emploi en 2022, Ambert job, un job dating organisé au cœur du festival avec 25 entreprises locales présentes. 

Au printemps 2022, le Syndicat des Musiques Actuelles (SMA) s’alliait à une centaine de festivals indépendants comme le Sun Ska, Woodstower, La Nuit de l’Erdre, Marsatac, Hadra Trance Festival, La Bonne Aventure ou la Route du Rock pour lancer la campagne de sensibilisation “Vous n’êtes pas là par hasard” afin d’enclencher une prise de conscience des publics et rappeler les valeurs fortes qui les différencient des événements essentiellement guidés par des logiques de profit. Diversité des propositions artistiques, convivialité, partage, citoyenneté et responsabilité environnementale et sociétale sont au cœur des préoccupations et les festivals expriment une volonté de travailler ensemble sur des leviers collectifs et solidaires et imaginer les modèles d’aujourd’hui et de demain. 

Les festivals se projettent quasiment tous sur l’été 2023 : quid d’une réinvention des formats ? 

93% des festivals répondant donnent rendez-vous à nouveau en 2023, et près de 60% ont déjà lancé leur billetterie. Pour 32% des festivals, la vente des billets est en hausse par rapport à l’année dernière à la même période et 9% déclarent que cette hausse est significative, quand seulement 10% constatent une baisse au niveau de leur billetterie fin 2022. Pour 47,5%, le niveau des ventes à dates identiques sont les mêmes que l’an dernier. 

Mais face à l’inflation, à la hausse des prix, et aux difficultés qui risquent de ne pas disparaître d’ici l’été prochain, une grande majorité (69%) annonce d’ores et déjà être contrainte d’augmenter le prix des places. 

« Un festivalier qui va aller voir un concert à 90€, vu la baisse du pouvoir d’achat, c’est peu probable qu’il aille voir plein d’autres concerts le reste de l’année. » rappelle Aurélie Hannedouche. 

Un impact sur la fréquentation globale en 2023 ? 

Une décroissance encore timide

“Il est temps d’arrêter la course au gigantisme. Nous assumons le fait d’être un festival en décroissance.” Eddy Pierres, directeur du festival Panoramas dans une interview au Télégramme

En 2022, on a pu voir un début de changement, du côté du festival landais de Luxey Musicalarue par exemple, qui pour “garder son âme” décidait dès l’été dernier de baisser sa jauge de 5 000 personnes par soir par rapport à 2019. Et malgré le bruit médiatique qu’à pu ensuite provoquer le festival Panoramas avec sa prise de parti radicale de baisser la jauge de manière significative, de changer de lieu pour un accueil plus convivial et d’opter pour une programmation entièrement repensée qui met en lumière les talents de demain plutôt que les têtes d’affiche, 58% des festivals répondant à notre enquête signalent quant à eux ne pas repenser leur format pour 2023. 

On attendait beaucoup de cette année 2022 charnière, symbole de la reprise après deux années quasi-blanches et très complexes pour le secteur des festivals. Or, de nouvelles conjonctures imprévues sont venues ajouter des inquiétudes et des difficultés du côté des organisations : inflation, pénuries, manque de personnel, changement des comportements chez les acheteurs, hausse des cachets des artistes, des programmations standardisées… Si 2022 a vu les festivaliers réinvestir les chapiteaux et les pelouses de l’Hexagone, elle est aussi l’année où de nombreux professionnels du secteur commencent à très sérieusement tirer l’alarme. Les festivals de musique actuelle brandissent encore désespérément un modèle d’abondance, pourtant épuisé, démodé et qui va à l’encontre de la décroissance. Et quand certains appellent à se réunir pour repenser un univers plus durable et sécurisant, d’autres continuent à courir vers les spectacles hors normes et les investissements extraordinaires. Les derniers Etats Generaux des festivals qui se sont tenus en décembre 2021 parlaient d’un “modèle à réinventer” - à quand les prochains ? 

Une étude menée par Ata Dagher, Anja Dimitrijevic et Quentin Thomé pour Tous Les Festivals
Infographie : Camille Constant-Laurent
Photo : Sanam Aleboyeh