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Des vieilles recettes aux jeunes pousses :  la potion magique des Charrues

C’est le plus grand de France. Depuis 22 ans, les plaines bretonnes de Carhaix accueillent le festival des Vieilles Charrues. Une institution, tout le monde s’est déjà dit « Tiens, si j’allais là-bas cette année ? ». Malgré l’annulation de sir Elton au dernier moment, Santana, Rammstein, Neil Young et les autres ont fait vibrer les valeureux Gaulois. 

Il est seulement 10h lorsqu’on arrive sur place le jeudi. Les parkings sont vides, mais le camping est déjà à moitié plein. La chaleur est là : bagpacks et tentes sur le dos, on remonte une sorte de petit marché. Arrivés au camping, on s’installe dans la zone 7. La fête a déjà battu son plein la veille, même sans concert. Les portes des Charrues n’ouvrent qu’à 17h : devant, une dizaine de bars / restaurants s’allongent. Premier constat : la pinte est à 4€. Des centaines de personnes sont déjà agglutinées à l’entrée, toutes vêtues de noir !

Bataille de lance-flamme et jet de sperme pour Rammstein

On arrive vers 20h sur la fin du premier concert de l’édition 2013: c’est Raphaël qui a ouvert le bal. Sympa à écouter posé dans l’herbe, mais difficile de faire lever les premiers festivaliers, même avec sa Caravane. Suivent une heure plus tard sur la même scène Kerouac les suédois de The Hives. A force de faire tous les festivals en France, le chanteur Pelle Almqvist sait dire « applaudissement » et en abuse. Mais le type est un vrai showman, presque une chanson sur deux dans les bras du public. Le rock sonne juste, c’est du classique, mais ça marche. Après deux tick et deux boom, on va se placer pour le rendez-vous du soir – voire du festival – Rammstein. « Seulement » 25 000 personnes les attendent. Le métal s’échappe des guitares saturées, c’est parti. D’abord des feux d’artifices, puis des flammes jaillissent de la grande scène. Non initiés que nous sommes, on met quelques chansons pour kiffer. Très vite, nos cheveux s’allongent, et les têtes remuent de bas en haut. Les titres s’enchaînent, et le public chante gaiement en allemand les tubes de leur jeunesse. Même répétitif, c’est un véritable show : le chanteur s’éclate. Un coup une bataille de lance-flamme, un autre un mime de sodomie à la limite du réel avant un jet spectaculaire de (faux) sperme vers le public. Rafraîchissant. On aime. Pour finir la soirée, Vitalic et son live VTLZR. Du très très bon électro. Ils sont trois sur scène, avec un batteur qui ajoute au set des basses significatives. Fin vers 1h, une bonne mise en bouche.


Pratiquement tous les festivaliers campent près du festival - Photo N.Hours

Après une grande nuit inespérée (on avait une place à l’ombre), levés 11h - assez rare dans la vie d’un festivalier pour être souligné - du lait de producteurs locaux est distribué sur le campement. Ce « petit blanc du matin » est une vraie bonne idée. D’autres bonnes surprises nous attendent : une gestion des déchets éco-responsable, avec des distributions de sacs poubelle et cendriers. Ceux qui rapportent des ordures peuvent gagner des goodies, jusqu’à des places pour l’année prochaine. Les toilettes sont aussi une bonne nouvelle, aucune odeur, asséchées par de la paille et du sable. Le seul point noir : la douche. Un seul lieu trop petit … ce sera donc lingettes pendant quatre jours ! Après un tour à l’hypermarché du coin, direction le festival. Il est déjà tard, et on rate Rokia Traoré et Lilly Wood & The Prick

Bruel et -M- envoutent le public des Charrues 

Patriiiiick ouvre notre bal. Il a la lourde tâche de remplacer Elton John, souffrant, qui a remis sa participation à l’année prochaine. Coup de poker, le remplaçant Patrick Bruel met très vite dans sa poche le public des Charrues. Une belle présence, pas simplement un enchaînement de tubes. Ses chansons tirent par surprise avec les ficelles de nos lèvres, ses paroles : « on s’était dit rendez-vous dans dix ans.. », « qui a le droit de faire çaaaa ? » ou « alors regarde, regarde un peu ! ». Entre vieux fans et jeunes curieux, le concert est réussi. 20h, il est temps de revenir vers notre époque avec Lescop sur la petite scène Grall. Ce beau ténébreux nous raconte des histoires sombres sur des rythmes frénétiques, et on accroche dès les premiers morceaux.  Sa pop noire nous envoûte, même si tout le monde ne succombe pas. Certains le trouvent trop Daho ou Darc. Mais on ne peut pas s'empêcher de secouer la tête sur l’improbable La forêt. La soirée est lancée. C’est l’heure d’aller faire un tour à la taverne : 25 cl de bière (Kro ou Coreff) ou de cidre pour 2,5€. Honnête pour un festival ! Niveau restauration, le choix est assez restreint. Cela sera notre grande déception : pas de « stands du monde », le choix se limitant presque au trio crêpe-kebab-tartiflette. Pas facile d’être végétarien(ne).


Matthieu Chedid, squatteur de festivals et bête de scène - Photo N.Hours

Après un tour rapide sur Kenny Arkana, c’est l’heure de retourner vers la grande scène. -M- on l'a déjà beaucoup vu. Il fait tous les festivals de France, de Belgique et du Luxembourg. Nous étions aussi là pour son jam improvisé aux Solidays. On choisit quand même d'y retourner, plus pour faire plaisir aux copains. Mais voila, après seulement quelques minutes de show,  on craque et on lui crie tous en coeur  "Je t'adore !" à ce Machistador. La Mojo party emballe tout le monde. Le public connait les paroles et s’adonne aux chorégraphies. Ils ne sont que trois sur scène pour un vrai spectacle. Cette fois, on regarde avec plus d'attention Brad Thomas Ackley, le « guitariste ». Guitariste, ça reste un euphémisme pour qualifier ce grand chevelu à la Basstar : un hybride entre une basse, une guitare et un échantillonneur. Matthieu Chedid n'oublie pas de rendre un joli hommage à Jean-Philippe Quignon, en chantant sa Bonne étoile, ancien président du festival décédé en septembre dernier. Il termine son concert par une note de douceur avec sa ballade Baia, le prénom de sa maman. Le grand -M- lumineux au dessus du trio s'éteint. « Au fait, il sera là à notre prochain festival ? ». 

Il est minuit. On poursuit dans la joie et la bonne humeur avec les zozos de Naive New Beaters. Le trio parisien fait remuer la foule avec son cocktail euphorisant de pop, rock et rap. Leur grand ami Mickey Mouse en a trop bu et fait n’importe quoi sur scène. La scène Grall est en Californie sur une plage de néons et de palmiers gonflables. Mais toutes ces agitations donnent faim. Dur retour en Bretagne, au moment de diner une crêpe mal cuite et mal garnie. A l’heure où les jambes commencent à fatiguer, Paul Kalkbrenner fait son entrée sur la scène Glennor. Pas pressés de retrouver nos duvets de fortune, on se dit que l’électro allemand c’est toujours mieux que les chansons paillardes. On retrouve de l’énergie sur des odeurs de plantes vertes et on s’échauffe pour un dj set de qualité. Lent, psychédélique, entraînant, l’atmosphère chauffe, monte, mais redescend vite. Petite déception : on assiste à un concert, et les pauses entre les morceaux à 2h du matin semblent interminables. Finalement ce n’est pas plus mal d’aller se coucher avec Francky, Fernande et Daniella. Il est 3h, plus aucun son ne sort de l’enceinte. 

Féfé au top, Neil Young entre formol et rock’n roll

Troisième jour et réveil difficile au camping des gaulois. Les tentes bruissent des confidences de la veille. C’est l’heure du lait, mais certains ont déjà les canettes de bière à la main. Il faut ensuite choisir entre douche et petit-déj car trop de monde. Vous devinez notre choix. En attendant la reprise des concerts, on va se promener vers l’espace « pub » du camping. Distribution de thé glacé et du journal de la région, recharger son portable avec le carré rouge, c’est ici. La vedette, c’est le stand de la marque de chips avec le monsieur moustachu sur la boîte. Ses goodies innondent le festival. Casquettes, bracelets, k-ways, et même des tentes géantes : une armée de clones publicitaires est en marche.

Lorsque les portes du festival s'ouvrent, on ne se rue pas sur le devant des scènes mais sur les points d'ombre. On tente d'apprécier Wild Belle. Cachée derrière son chapeau et ses lunettes de soleil, la jolie blonde du duo en fait le moins possible. A-t-elle peur de transpirer ? L'insolation nous guette. On part à la recherche d'un peu de fraicheur. Il nous faut traverser le festival, pas si grand qu’il en a l’air, éviter les stands de tartiflette et se ravitailler en eau. On parvient à trouver un petit oasis sous le chapiteau des Jeunes Charrues. Le groupe After the bees nous offre une sieste folk bien méritée. Autre option détente: le Verger avec ses transats géants et ses spectacles d'art de rue. L'ambiance est familiale. Les petits festivaliers crient. Trois générations restent bouche bée devant la performance des acrobates qui s'agitent sur une grand roue métallique suspendue à 6 mètres du sol. 


Le rappeur a dynamité la scène Glenmor - Photo N.Hours

La température monte encore d'un cran avec le début du concert de Féfé. Le chanteur rappeur mouille la chemise alors que La sécurité arrose la foule au jet d’eau. Il est déchaîné. Il se jette comme au triple saut dans le public, slame, puis revient sur scène en transe. Pour terminer, il nous chante « Je veux du soleil » et une douce pluie douche les spectateurs surchauffés. Après cette folie, on se fait des petits bouts de concerts par-ci par-là. S’enchaîne sur la scène Kerouac Gentleman & the Evolution, du bon reggae à l’ancienne. Le calme revient avec Asaf Avidan. On s'assoit pour profiter de ses jolies balades acoustiques. Mais voilà, le garçon fait 18 festivals cet été alors son concert perd beaucoup de son charme. Et puis ses longs cris lancinants, c'est fatiguant ! On va jeter un œil vers Benjamin Biolay ensuite, mais son concert ne nous emballe pas trop non plus. Puis c’est au tour de Yann Wagner. C’est profond, électrique, ça ressemble à Kalkbrenner. Sans doute trop tôt dans la journée. 

Il est bientôt 22h, et c’est l’heure du rock à l’ancienne. Neil Young et son Crazy Horse se pointe sur la grande scène. 55 000 personnes sont là. Les vieux os de beaucoup se mettent à retrouver le calcium de leur jeunesse. Il y a moins de jeunes, mais les riffs de guitare folk comme le son métallique de l’harmonica plaisent. Certains passages font quand même très rock’n roll formol, et laisse le public immobile. Mais Heart of gold, hey hey my my ou Rock’in the free world nous rassemblent tous dans un même moment. On pensait sur la suite se déchaîner sur Hanni El Khatib, ce ne fut pas le cas. C’est le nouveau rockeur à suivre : magique sur l’Ipod, il n’est pas si énergique que ça sur scène. Dommage, car sa musique est vraiment novatrice et entraînante. The Roots termine la nuit. On les attendait, ils ne nous déçoivent pas. Le groupe est en grande forme. Le batteur entraine toute la foule avec lui. Leur rap instrumental et intelligent séduit même les plus réticents aux sons hiphop. Malins, ils ont compris qu'aux Vieilles Charrues, une reprise de Gun’s & Roses est un succès garanti. Une fin de soirée réussie. 


Le beau gosse Marc Lavoine sur la grande scène des Charrues - Photo N.Hours

Dimanche et dernier jour aux Charrues sous des records de chaleur . Le festival nous annonce des records de chaleur. Après avoir replié les tentes et rempli la voiture en prévision du départ du soir, on va se poser sur la scène Grall pour voir les jeunes de La Femme. Se poser est un bien grand mot. C’est littéralement le bordel quand on arrive ! Un son psyché sur des riffs de guitare et des airs de claviers. Seulement un album au compteur, et déjà un public aux rendez-vous : « Prend le bus prend le bus » gueulent-ils. Un des leurs se permet même … de slamer sur une planche de surf dans le public. La suite se passe sur la scène Glenmor avec le séducteur Marc Lavoine. Pas un mot, il commence direct. Regard ténébreux, chemise blanche anti-transpirante, quel beau gosse ! Niveau musique, il fait son job mais sans plus. Ses titres ne fédèrent pas autant que Bruel . Un moment agréable néanmoins sous une chaleur à mourir. On loupe larme à l’œil The Vaccines pour cause d’interview en salle de presse. La même pour Alt-J, qu’on regarde depuis les backstages. Un son énergisant, riche en couleur et sonorité. Les basses arrivent jusqu’à nous, alors qu’on se trouve bien loin de la scène Kerouac …


Dix doigts seulement pour envouter des dizaines de milliers de festivaliers - Photo N.Hours

Pour Santana, on décide quand même de se bouger. Ce n’est pas tous les jours qu’on peut l’entendre… deux heures de sourires et des riffs mi-guitare mi-clavier endiablés commencent. Des classiques, des solos improvisés, des airs espagnols, on aime. En plus du talent du guitariste, un groupe de musiciens de talent entoure l’artiste. Mais bon, après une heure de concert, cela devient quelque peu lassant et répétitif. On décide d’aller prendre l’air. Direction La Gale sur cette merveilleuse petite scène Grall. On a rencontré le crew quelques heures plus tôt. Sur scène, ça rap, ça rage, avec des paroles qui frappent. Des fois un peu trop facilement sur la police ou la justice. Mais très vite les basses de Kerouac nous appellent : Busy P s’installe avec son Ed Banger megamix. Facile pour le producteur : un peu de Justice, un peu de Breakbot, et le tour est joué. Le set se révèle être assez recherché, des remixes de ses poulains très juste entre ses « Busy P what the fuck ! ». Minuit sonne, Nous sommes des animaux résonnent, et comme pour Cendrillon, c’est l’heure du départ. On en oublie notre ballerine : Phoenix et Skip & Die seront pour la prochaine fois. Vraiment dommage de les avoir mis aussi tard le dimanche, les travailleurs du lundi ne pouvant pas en profiter....

Côté concerts :

La claque:
Féfé. Energie débordante pour un live endiablé. Un vrai bonheur.

La bête de scène:
-M-. Toujours là, jamais las. Vibrant artiste pour un vrai spectacle en trio.

Le gros qui assure:
Rammstein. Show à l’allemande, boules de feu et artifices. Ich will !

La découverte:
La Femme. Ambiance de folie et bordel rock électro psyché assuré.

La surprise:
Patrick Bruel. Remplaçant de luxe, il a fait chanter les 4 générations des Charrues.

La déception:
Paul Kalkbrenner. Trop de coupure, pas assez entraînant. Même avec un set de qualité.

Côté festival :

On a aimé :

- Un festival pour toutes les générations
- Des déguisements dans tous les sens
- Toilettes et éco-responsabilité de la gestion des déchets au camping
- La diversité des concerts proposés
- L’organisation des Charrues : bénévoles, sécurité et parkings

On a moins aimé :

- Vraiment trop peu de choix de nourritures et de boissons dans l’enceinte du festival
- La fin des concerts à seulement 3h.
- Les douches du camping. C’est ambiance de pas se laver pendant 4 jours mais bon…
- Les Bretons (ça va, on taquine !)

La Conclusion

On a passé quatre jours sur une autre planète, peuplée de gaulois éméchés, de vieux nostalgiques et de familles bretonnes au complet. On a fait des grands écarts musicaux et des batailles d'eau. Cette édition des "Vieilles", comme on dit à Carhaix, nous a comblé. On n'attendra pas dix ans pour s'y retrouver.

Récit : Céline Martel et Morgan Canda
Photos : Nicolas Hours