On était à
Trois jours dans la jungle Rock en Seine

Festival à l’essence rock dans toutes ses facettes, le géant parisien faisait son retour pour la 12ème année consécutive. C’est parti pour trois jours de soleil éclatant à Rock en Seine, rendez-vous à la fois vibrant et étouffant, scintillant de découvertes mais avec son lot de mauvaises surprises.

Jour 1. 16h12, pieds dans la boue, tête au soleil

Dans un vacarme de voitures et pots d’échappement, on débarque depuis le bout du métro parisien aux portes de Rock en Seine. Vingt minutes d’attente, et nous voilà dans l’enceinte du festival. Le premier invité surprise, malgré une journée calmement ensoleillée, c’est la boue ! Une pluie intense s’est abattue toute la veille, et le sol est toujours bien détrempé. Dommage pour les talons hauts et les baskets blanches. Le site s’étend toujours en longueur, proposant cinq scènes jusqu’à la grande au bout du parcours. Pour nous ouvrir l’appétit, on laisse de côté la très appréciée Kate Tempest pour aller découvrir Throes + The Shine sur la scène de la Cascade. Une ambiance vitaminée aux sonorités africaines, pour pas mal de moment gym suédoise. On monte, on descend, on frappe des mains, une formule plutôt simple qui fonctionne, version afrobeat portugaise. Ca bouge ses fesses, du moins pour le moment.

17h15, du rock à tous les étalages

Quelques disquaires ont pris place au Village du Disque, un espace qui propose aussi quelques showcases et signatures d'autographes. En revenant sur nos pas, on tombe sur l’expo Rock’ art, où 40 illustrateurs, graphistes et dessinateurs de BD ont inventé une affiche d’un groupe au programme. Une belle idée pour se dégourdir l’esprit. Pour les oreilles, direction la scène de l’Industrie - déjà beaucoup appréciée l’année dernière - pour Jeanne Added. Sensation 2015, elle le confirme ici dans une performance à la fois énergique et maîtrisée. Sa voix enrayée et les quelques envolées saturées sauront trouver définitivement notre approbation. On ira faire un petit tour sur Wolf Alice ensuite sur la Scène Pression Live, où l’on aura plus de mal à rentrer dans ce grunge fouillis et gueulard, sans doute mal servi par la disposition très étrange de cette scène très haute pour un public complètement en pente. Une scène dédiée visuellement au dieu Kronembourg, avec notamment un stand de "dégustation" de ses nouvelles bières (rires).

18h57, psychédélisme verdoyant

Les allées sont de plus en plus remplies : la journée est sold-out et cela commence à se faire ressentir. Notamment aux bars : il nous faut déjà 15 minutes pour glaner une pinte, la kro à 6€ étant la normale. On trouvera aussi de la Skoll, et par endroits de la Carlsberg, 1664, Grim et Guinness. Pour payer, on testera l’appli Fivory au Bar Métal, pour un paiement via smartphone, ce qui nous fera gagner un temps précieux. La carte bleue est également acceptée partout, plutôt pratique, alors que les campeurs peuvent eux payer avec une camping Card. Côté live, retour sur l’Industrie pour le rock psychédéliquement dosé de Jacco Gardner (photo), même s’il sera compliqué de rentrer dans son univers. Une dose d’herbes de Provence inhalée permet de faire l’affaire pour certains, assis sur une butte verdoyante à gauche de la scène. L’endroit royal pour kiffer les concerts de cette scène. On en profitera pour discuter avec des anglais, puis des espagnols, avec pour seule langue le rock’n roll. (Bon, et la bière aussi)

20h47, Et 20 ans plus tard …

Après un passage par FFS, où le public est surtout actif sur les reprises de Franz Ferdinand, direction la grande scène pour la tête d’affiche du jour, The Offspring (photo). Il y a du monde, beaucoup de monde, et on se positionne derrière le premier rappel pour garder un peu d’espace autour de nous. Pas le temps de tergiverser, You’re Gonna Go Far, Kid ouvre les hostilités. Les titres s'enchaînent, et même si le groupe s'essouffle vite et que le son n’est pas au top, le public est heureux d’être là et de nombreux zones de sautillement jouissif se forment. En réalité, ça bouge surtout sur les titres connus, et tout l’album Americana y passe. Retour à la cour de récré, baladeurs CD dans la poche et patch à la tête de mort enflammé cousu sur l’Eastpak. Pour le reste, on admire la permanente dorée mi-grand-mère mi-Sangoku de Noodles, guitariste aux rides bien marquées. On se dit à dans 3 ans pour une nouvelle tournée souvenir ?

23h10, Duo de rave

On laisse Fauve à leur public - un très bon live déjà vu à Fête du Bruit ou au Chien à Plumes - pour aller se restaurer : difficile de ne pas trouver son bonheur tant il y a de quoi manger à chaque coin de rue et pour tous les goûts. Mais il y a du monde partout. Derrière la scène de l’Industrie sont disposés quelques food trucks qui attirent notre attention, là où le burger est roi, entre version french ou original. Plutôt une bonne pioche. Un peu de repos pour les gambettes, et arrivent face à nous Mr Oizo et Boys Noize pour un duo 100% électro avec Handbraekes (photo). Impossible de rester le cul par terre, on se lève, ça tabasse, et on aime. Un bon coup de basses pour finir la journée, qui dit mieux ? Après un passage sur Kasabian, extinction des feux à 00h30. Habitué aux festivals se terminant à 3h du mat’, voire plus, on aurait bien repris quelques concerts et deux-trois pintes. Peu importe, on sera en forme demain. On profite des 20€ offerts pour une première utilisation d’Uber, et retour à la case maison.

Jour 2. 16h02, insolation sonore

Le soleil tape comme jamais pour ce samedi. Les jambes des festivaliers se dévoilent, quelques torses également. Peu de déguisements, c’est surtout un défilé de mode que l’on voit Porte de St Cloud. Sourires, chill et début rythmé avec pour commencer DBFC sur la scène de l’Industrie. Un public compact devant, mais aussi sur la butte à l’ombre des arbres, où plus une place n’est dispo. Parfait pour se délecter d’un rock aux basses électriques, dans la veine de Django Django, mi-disco mi-cowboy. Il y a du tube qui se cache là-dessous, affaire à suivre. On continue avec Marina and The Diamonds (photo) sur la scène de la Cascade, avec hauts talons roses et costume moulant zebré. 50% du public est déjà conquis. Pour le reste, c’est de la pop US assez classique pour leur première date française, pour un set qui fonctionne gentillement.

17h30, Comme des enfants dans la jungle

Welcome to the Jungle ! Voilà comment nous aguichait la com’ de Rock en Seine cette année, à base de tigres, hippopotames et gorilles. Un espace jungle se dresse au coeur du festival, dans un endroit aux mille feuillages : chasse aux trésors, découvertes des animaux, coloriages, quizz interactif, le tout dans un partenariat intelligent avec le zoo de Vincennes. Petits comme grands s’y retrouvent dans une belle convialité, tout comme le bar Aztek et ses transats. Pas loin, les sucreries complètent le goûter des festivaliers : bonbons, glace Ben & Jerry, chichis, crêpe au Nutella ou bar à pralinés. En passant pas loin de l’industrie, Young Thug, groupe de hip hop, nous pousse à ne pas nous arrêter tant le set proposé touche l’inaudibilité.

19h00, zone de restauration en tournée

On continue donc notre balade. Un stand Guitar Hero propose de tester son dernier opus sur les Black Keys, pas loin d’un mini Rock en Scène pour laisser les plus petits, pendant que papa et maman vont se mettre à l’envers. Un petit tour sur Glass Animals et la scène Pression Live, mais notre ventre commence à gargouiller. Au fond, des stands nous font saliver, comme un food truck bagels ou un autre avec camembert rôti. On ira finalement vers la zone de restauration du monde, réplique exacte de celle de Solidays. On y retrouve les mêmes stands, également en tournée cette été, comme l’argentin, le sénégalais ou l’italien. On teste les patates irlandaises, nourrissantes mais peu ragoûtantes, assis dans l’herbe. Cette zone tampon permet de respirer un peu dans un festival où l’on se retrouve vite dans des mouvements de foule. En passant aller chercher une bière, on croise Daho et le Premier jour du reste de ta vie. On avait repéré un bar Skoll à droite de la scène de la Cascade. Bonne pioche ! C’est l’un des seuls du festival avec si peu de monde. Les toilettes sont elles pris d'assaut, et si les pissotières sont accessibles assez rapidemment, il y a vraiment très peu de cabine de vidange. 20 minutes d’attente garanties pour les demoiselles.

22h12, électro en seine

On sèche Stereophonics, puis Interpol, et l’on se retrouve devant Bianca Casady & The CIA un peu par hasard, de nouveau sur la scène de l’Industrie. Voici un spectacle étrange, avec deux trois cachetons d’avance sur nous. Une orchestration très lente pour une voix troublante et grésillante. On se croirait sur Arte à 3h du mat’, surtout grâce au danseur cagoulé. On reste jusqu’au bout, content d’aller vers un autre univers. Gramatik (photo) prend ensuite les commandes, et nous tient en haleine une heure devant la Cascade. Avec des musiciens à ses côtés, le DJ nous en fait voir de toutes les couleurs, pour des mix finement cisellés. Même tabac qu’au Cabaret Vert la semaine passée, même si avec deux fois plus de public, il y a trois fois moins d’ambiance. On aura plus de mal à accrocher aux Libertines, pour un live classique, propre, devant un public transformé en statue de pierre ou qui joue à un, deux, trois, soleil la nuit, on ne sait pas trop. Il est quand même sympa de retrouver Pete et Carl se faire des rock n’papouilles sur scène. On aurait sans doute mieux fait d’aller voir Shamir et son show pop pétillant.

Jour 3. 16h10, puissance rock’n roll

Après des performance remarquées de We are Match et Pond, on revient sur la scène de la Cascade pour les français de Last Train (photo). Quelle claque rock ! Une énergie juvénile triomphante, et une puissance suante sous leurs blousons en cuir, avec guitares saturées, solos sur le dos, jeté de guitare, bref, du rock’n roll pure souche comme on en fait de moins en moins. Ils nous avaient déjà retourné au Pont du Rock, voilà qu’ils balancent une performance taille patron à Rock en Seine. Même chose pour Fuzz, avec l’infatiguable Ty Segall aux manettes, vocales et batterie. A trois, grimés façon Beetlejuice, ils réussiront la performance de créer devant un pogo d’une heure sur la scène Cascade, et d’enivrer une bonne partie de la foule. Rock sauvage, rock puissant, rock brut. Au placard les Offspring et Libertines, Fuzz et Last Train rendent d’un coup obsolète les accords poussiéreux des vétérans. Les rockeurs de demain, ils sont là.

17h57, écoute, consomme et ferme ta gueule

Retour vers la grande scène : sur notre route, un stand jaune pétillant Nikon, un autre avec bouées Philips, un Coca greenwashé version recyclage, un SFR avec animateur camping… et on en passe. Nous voilà au coeur d’une oppression visuelle des plus désagréables, nous mettant un petit post-it sur le front : “N’oublie pas de consommer lundi !”. Oui, il faut trouver des subventions. Mais est-il nécessaire de transformer son festival en écran publicitaire sans interruption ? Pas sûr. Certains le font plutôt bien, comme le Hellfest, avec une zone dédiée et customisée à souhait pour tous ses partenaires.

19h02, blanc, rouge ou rosé ?

Pour Hot Chip comme pour Tame Impala, on se posera au loin pour les écouter. Des sets assez calmes, où l’on préfère discuter avec des amis retrouvés sur place, notamment en buvant un verre de rosé devant un bar à vin très joliment décoré. A l’inverse, Jungle nous avait bien fait dandiner un peu plus tôt, pour un savoureux mélange funk, rock et électro, et de la bonne humeur en barre. Pour notre dernier repas chez Rock en Seine, on décide d’aller vers le côté droit de la scène cascade, entre un stand Père Dodu, un autre Richemonts et un Quick. Publicité vous dites ? On opte pour un sandwich jambon de pays-raclette à 8,50€. Vu le prix, on n’oubliera pas une seule goutte de gras dans le papier.

21h02, un final irrespirable

On s’approche du final, et la reprise de lundi commence à s’esquisser dans nos esprits. Il sera difficile pour nous d’apprécier Alt-J, serrés comme des sardines et loin du coeur du public de la scène Cascade. C’est calme, c’est doucement pop, et on aurait surtout vu ce concert vers les 16h sur la grande scène. Même constat pour les Chemical Brothers (photo), où l’on subira un flux continu de festivaliers voulant être au plus près. Ca pousse sans vraiment s’excuser, tout ça pour planter ses deux chaussures dans le sol et ensuite ne pas bouger un orteil. Dommage, parce que le show visuel impressionnant des frères chimiques et leurs classiques rock électro poussaient à lever les deux jambes. On est très vite oppressé et l’on préfère se reculer pour respirer, et apprécier le concert de clôture de la 12ème édition, avec Galvanize et Block Rock’Beats pour derniers mots.   

Le Bilan

Côté scène

Les rockeurs de demain
Last Train, qui a dit que le rock français avait disparu ?

La perfection rock
Fuzz, recette magique version Ty Segall

La valeur sûre
Gramatik, une version live au top des sets électro

La découverte
DBFC, bientôt dans toutes les têtes

Encore là dans 30 ans
The Offspring, même avec moins de pep’s ils sont toujours là

La confirmation
Jeanne Added, l’une des belles révélations 2015

Côté festival

On a aimé :
Carte bleue acceptée partout, et même pour une bière
Le thème de la jungle et son sympathique espace découverte
Enfin un festival français qui attire un public d’étrangers.
Une programmation qui dérive le sens du mot “rock” sous toutes ses coutures

On a moins aimé :
Pas assez de bars ! Ou une lenteur de service. De l’attente même hors heures de pointes.
Compliqué d’apprécier les concerts de la grande scène, tant le public est compact … et mou du genou.
Le festival se termine trop tôt. On en redemande !
Beaucoup trop de stands partenaires ou de publicités.
Pas assez de toilettes pour les filles. Et pourquoi pas des toilettes sèches, tiens ?

Conclusion

Qu’est-ce qu’on aimerait voir ce public de Rock en Seine se lâcher ! Tous les éléments étaient pourtant réunis pour passer trois jours de feu, avec une programmation de grande qualité et un soleil de plomb. Mais il manque ce grain de folie qui ferait passer la mémoire de ce festival d’un bon moment à un souvenir inoubliable. Il est néanmoins l’un des seuls grands festivals français à attirer des festivaliers étrangers, et on ne peut qu’en être fier.

Un récit de Morgan Canda
Photos de Jaufret Havez et Morgan Canda