On était à
La Magnifique Society, bulles de fraîcheur pour la première

Le week-end dernier, rendez-vous était pris à Reims pour trois jours au cœur de La Magnifique Society, héritier du festival Elektricity qui s’est éteint en 2016. Dans un cadre champêtre, les trois scènes nous promettaient un line-up éclectique, et leurs alentours une expérience sensorielle qui valait le détour. Alors, pari réussi pour cette première édition ? On y était, on vous raconte.

Jour 1. 20h17, on respire

Notre arrivée se fait dans une ambiance bucolique, au coeur d’une décoration très épurée. L'envoûtante Agnès Obel, sur scène, tient le public dans un silence religieux avec la délicatesse de sa voix suave. On s’éclipse pour troquer nos euros contre la monnaie locale sous forme de jetons… Système difficilement compréhensible tant il est désuet et fastidieux à l’aune du cashless. L’attente est longue, très longue : une heure passe pour avoir nos rubis et commander un (bon) burger-frites à 9€. Enfin prêts, on court devant notre premier vrai concert.

21h31, Bon Entendeur, reçu 5 sur 5

Le public jusque-là plutôt clairsemé et somnolent pour ce début de festival se libère devant les frenchies de Bon Entendeur (photo). Il danse, tourne, sourit, saute, lève les mains, bref vit pleinement le festival et se laisse guider par le groupe au commande. Celui-ci enchaîne des mixtapes électro plus entraînantes les unes que les autres mêlant tubes populaires et productions plus personnelles, illustrées par des effets visuels de lumière en phase avec la nuit tombante. On en sort électrisés.

22h45, on change d’Air

Changement de décor total sur la scène d’en face, le rappeur Lorenzo (photo) :  autoproclamé « empereur du sale », il offre à ses fans un véritable one-man-show. Bavard et déchaîné, il met toute son énergie à déverser son flow de paroles décalées et provoc’ et aura du mal à quitter la scène. La foule est visiblement conquise et réceptive à son style. Un peu plus loin sur la grande scène, Air enchaîne les titres mécaniquement. Le show est beau mais ultra-rodé, ça ne prend pas de notre côté.

23h33, à un chapiteau de Tokyo

Une bière plus tard, 7,5 € la pinte quand même, on se retrouve devant Trentemøller qui n’y va pas mollo sur la guitare, avec un fond d’électro bien pensé. C’est efficace et original, on se pose. Puis on décide d’explorer la flore et on entre dans le chapiteau « Tokyo Space Odd », dédié à la culture nippone. Avec des concerts, des références mangas, des spécialités locales et des jeux d’arcade à l’ancienne, on ne sait plus où donner de la tête. On ne résiste pas à l’envie d’enfiler les parties avant de partir, heureux comme des gamins.

00h49, on écoute sans modération

On termine entre le hip-hop travaillé d’Allta et l’électro planante et tout en nuance de Moderat (photo). Il y a une belle recherche esthétique des deux côtés. Sur la petite scène, c’est un déferlement d’énergie qu’offre le duo franco-américain, tandis que les berlinois de Moderat se mettent en retrait au profit des visuels qui défilent derrière leurs platines dans la nuit noire. Le public en ressort un peu béat, et nous aussi. On quitte les lieux pleins d’attente pour la deuxième journée.

Jour 2. 17h38, comme des poissons dans l’eau

Le soleil est au zénith et les lieux sont déjà bien remplis lorsqu’on se pose devant les jeunes de Requin-Chagrin, idéal pour se mettre dans le bain. On se mêle une bière à la main à un public calme, très à l’écoute. Puis on poursuit avec Paradis (photo) qui offre un show maîtrisé mais timide. Là encore, le public est présent mais comme bridé. Le chanteur parvient finalement à se détendre en fin de concert et les fans l’encouragent immédiatement. Avec tout ça on est aux anges, mais il est temps de se sustenter.

20h12, Porter de rêve

Déception pour nos estomacs : les food-trucks sont limités, et les queues interminables. Après l’attente, on découvre la poutine, spécialité qui comme son nom ne l’indique pas est québécoise, faite de frites, fromage et sauce brune. Repus, on file se poser devant la voix d’or de Grégory Porter (photo). On en prend pour nos oreilles, avec des envolées vocales en parfaite symbiose avec les musiciens. On sent l’expérience, la complicité, la générosité, et on aimerait que ça ne s’arrête jamais.

21h04, pas de quartier

Pas de répit, on poursuit dans la douceur et la volupté avec la bonne humeur et les voix cristallines de Parcels (photo). Les titres sont efficaces et enjoués à base de pop et de synthés. Le public danse, répond au chanteur. C’est un concert intimiste et bon enfant, parfait pour accompagner le début de soirée. Mais les animaux de nuit que nous sommes commençons à nous exciter : on a hâte de découvrir le set de Jacques, dont l’excentricité est toujours porteuse de surprises.

21h31, Jacques a dit… secouez la tête

Dans la même expectative que nous, le public est présent en masse devant la grande scène. Le show a commencé, et il se balance dès les premières notes, secoue la tête au son d’un set certes enthousiasmant et bien préparé, mais presque trop classique. Finalement, peu d’excentricité et d’identité marquée dans l’attitude de Jacques (photo), qui se met en réserve. On apprécie, mais on reste sur notre faim. La foule reste très sage et disciplinée. On espère plus d’inattendu et de folie pour la suite.

23h40, du bruit !

Pour se rebooster, on attrape rapidement des coupes de champagne, tradition locale oblige. La fin de la soirée sera électro ou ne sera pas, alors on se met dans de bonnes conditions. Le public bien chauffé par Jacques a tout juste le temps de se remettre qu’arrive la techno minimaliste et puissante de Boyz Noise, suivie de la musique très énervée de Vitalic (photo). Jeux de lumières hachés, enchaînements de couleurs, tout est fait pour que le public finisse en furie, et ça fonctionne à merveille.

Jour 3. 15h34, pépouze devant Papooz

Dernier jour du festival, l’espace se ressent clairement plus vide. Le soleil est encore là, les quelques personnes en présence écoutent lascivement la pop tranquille de Papooz. Celui-ci joue ses titres à l’aise, conscient que le jour et l’heure de passage ne sont pas propices à une grande assemblée en délire et attentive à ce qu’il se passe sur scène. Le chanteur résume la situation avant sa dernière chanson par un « ravi de vous jouer de la musique pendant votre sieste ! ». Pas mieux.

17h50, à la découverte de la « Petite Society »

On sort de notre léthargie pour aller voir si l’herbe est plus verte ailleurs. On s’essaye, dans un espace aménagé, à la conception de couronnes de fleurs et à un concours effréné où l’on tape le plus possible sur la grosse caisse d’une batterie, puis on se prélasse dans les transats à disposition. On passe un moment tranquille au son lointain des concerts qui se poursuivent, mais on regrette quand même un manque de diversité et de choix dans les propositions d’activités parallèles à l’expérience musicale.

19h43, elle, eux, et nous

De retour dans les festivités, on est aux avant-postes pour la pop funky de Her (photo), qui se présente tout sourire et enjoué. Entre deux pas de danses chaloupés, les chanteurs se répondent et font preuve d’une belle énergie. Ils méritent mieux que le public éparse et amorphe qui leur fait face. Le sentiment est le même devant le duo They qui ne démérite pas mais peine face à un comité relativement réduit. Il faut dire qu’en face, la prestation de haute volée de Camille ne les aide pas à trouver leur public.

22h12, voyage sonore

La nuit tombe et l’on se prépare à clôturer ce festival de la plus belle des manières. Le prodige de l’électro Thylacine (photo) se place derrière les platines et propose une expérience intimiste, puissante et dans l’émotion. Accompagné par des projections graphiques et quelques passages au saxophone, il envoie des compositions sophistiquées et originales qui réveillent une bonne fois pour toute le public. Il ne s’arrêtera plus de danser jusqu’à la fin du festival. Nous, on en redemande.

23h17, Møme joue dans la cour des grands

Møme (photo) prend le relais pour terminer. Il offre un set travaillé, une machine à bouger. Le public s’enflamme et la communion est totale entre les fans et le DJ, qui n’hésite pas à sortir et grimper sur la table. Sur la grande scène, Jamie Cullum est aussi en roue libre et laisse parler toute sa générosité dans ses titres jazzy, notamment lors d’une reprise d’anthologie de Please Don’t Stop The Music de Rihanna, qui nous laisse un beau souvenir de fin sous un ciel étoilé.

Le Bilan

Côté concerts

Le plus classe
Grégory Porter, sa prestance sur scène est sans égal.

Le plus frais
Her, le savant cocktail de groove sexy aussi élégante que pointue.

La meilleure mise en scène
Camille, elle est habitée par ses chansons et propose un univers visuel unique.

Le plus mystérieux
Thylacine, on en finit pas de redécouvrir sa musique et de trouver toujours de nouvelles subtilités...Vous avez 4 heures.

Le plus débridé
Jamie Cullum, petit homme, immense talent, il faut le voir pour le croire.

Côté festival

On a aimé :
- Les espaces verts partout, et qui s'éclairent le soir, un véritable bol d'air frais
- La taille humaine du festival : on ne se bouscule pas, les scènes sont rapprochées et on pourrait presque toucher les artistes tant il y a de proximité
- La prog' : avec de l'électro, du hip-hop, du jazz, de la pop, du rock, de la chanson française et des groupes japonais à foison, difficile de ne pas trouver son bonheur à droite ou à gauche
- La météo, parce que le parc aurait été beaucoup moins sympa s'il était devenu un un champ de boue

On a moins aimé :
- L'attente interminable pour manger, boire, et échanger sa monnaie
- Le manque de choix dans les propositions de fooding : cinq spots pour nourrir 12 000 festivaliers, c'est peu, trop peu, et l'expérience gustative est rapidement limitée
- La simplicité de l'habillage des lieux. Tout miser sur les arbres, c'est sympa, mais ça manque légèrement de dépaysement pour sentir ce qui fait l'identité particulière de la Society.
- Le peu de diversité des ateliers et activités en parallèle des concerts. On en a vite fait le tour, alors qu’il y a une vraie carte à jouer pour marquer davantage l'esprit du festival.

Conclusion

Le festival aura donc été, comme le voulaient les organisateurs, une véritable « bulle d’air autour du vivre-ensemble ». Dans un cadre idyllique sous l’étendard de la liberté et de la diversité, avec des concerts de haute qualité, on peut dire que l'engagement est respecté. On aurait aimé plus d’audace, avec un esprit propre au festival plus marqué et des propositions dans l’expérience sensorielle proposée aux festivaliers plus riche. Mais pour une première, on signe tout de suite pour les prochaines années. Longue vie à La Magnifique Society.

Un récit d'Anna Cortese. 
Photos d'Anna Cortese et du collectif Darkroom (Clément Caron, Alysse Thomé, Hervé Dapremont, Florent Mayolet) et de l'association Musicovore (Joël Dera)