On était à
London Jazz Calling, l’invasion sans clash des mutants du jazz

Il se passe quelque chose ces dernières années dans le jazz britannique. En avril 2017, GiantSteps et 3 Pom Prod, deux agences de production, en ont fait le thème d’un nouveau festival parisien. Avec six groupes programmés sur trois soirées à La Maroquinerie, le bouillon de cultures londonien est mis à notre porte. On vous raconte cette première édition du London Jazz Calling.

Jour 1. Vendredi 28 avril. 19h50, another bar upstairs

Tout festival commence par une bière, que sa programmation soit so british ou pas. Pour nous par du vin rouge car la bière n’est pas notre tasse de thé. Tout l’inverse de l’affiche et du teaser du festival qui eux, convertissent le thé en bière, comme un symbole de la fusion musicale opérée par la nouvelle scène britannique qui mêle jazz, drum and bass, broken beat, rythmes afro-caribéens… Et puisque cette avant-garde jazz défie les classifications, le festival s’installe à dessein dans une salle orientée rock et musiques indés du quartier Ménilmontant, où converge un public plutôt très jeune. Pas de mise en scène élaborée pour cette première édition du festival, toutefois on trouve un merchandising (tote bags, tshirts, feutrine pour platine vinyle et disques des artistes) dans le restaurant de La Maroquinerie et quelques mots d’anglais… au bar accolé à la salle au sous-sol ! (photo).

20h15, the second best dancer

En entrant dans la salle, c’est le costume doré et la coiffe home made de Paddy Steer, le personnage le plus énigmatique du festival, qui attirent l’oeil (photo). Mélange d’homme-orchestre et de Moondog par sa longue barbe, il capte l’attention par sa capacité à tout faire à la fois - batterie, synthétiseurs, voix trafiquée façon vocodeur - et par sa facilité à faire danser le public sur son électro déjantée en lançant le concours du meilleur danseur. Et lorsqu’il offre son vinyle, ce n’est pas pour récompenser le premier mais le “second best dancer”: Paddy Steer partage sa fantaisie jusqu’au bout.

21h20, a new formation

A peine le temps de s’absenter pour un verre que déjà résonne le son de Yussef Kamaal dans la salle archi comble de 500 personnes (photo). Sur le papier est annoncé le duo Yussef (Dayes) à la batterie et Kamaal (Williams) au clavier, qui a conquis des fans dont nous sommes en un seul album de broken beat d’influence jazz. On connaissait le batteur Yussef Dayes depuis depuis Banlieues Bleues 2016 où il jouait avec ses frères au sein du groupe United Vibrations, groupe qui s’est récemment fait refuser l’entrée sur le sol américain pour le SXSW. Ce soir sur scène sans Kamaal, Yussef est accompagné par un autre claviériste, un bassiste et un guitariste: “a new formation” glisse-t-il le visage contracté comme pour s’excuser de porter l’ensemble à bout de baguettes, ordonnant à son claviériste d’être plus attentif.

En sondant des fans d’une vingtaine d’années parmi le public, on constate qu’on est nombreux à savoir que le duo avait annoncé sa séparation par un post Facebook avant de l’effacer quelques heures plus tard, et que comble de la situation, Kamaal ce même soir à Paris assure un DJ set sous son alias Henry Wu. Alors, nouvelle formation pérenne ou juste destinée à assurer les engagements de concerts ? Quelle que soit la réponse, Yussef se donne entièrement, sa performance finale sur Lowrider embrase le public et nous on a les pieds en feu d’avoir dansé.

Jour 2. Samedi 29 avril. 20H35, pure madness this saturday

Le lendemain la soirée s’ouvre par le duo que l’on attend le plus dans ce festival, Binker & Moses. On avait hâte de les réentendre depuis le dernier Banlieues Bleues où l’on découvrait la fougue de Binker Golding au saxophone et Moses Boyd à la batterie, et on les sentait chauds sur facebook pour leur deuxième concert en France :“Pure madness this Sat. Going in harder than last time” (ndlr : Folie pure ce samedi, ça va être plus fort que la fois dernière). En nous collant à la scène maintenue dans la pénombre (photo) on savoure ce qu’ils envoient seulement à eux deux. Remerciant cette “lovely audience”, Binker annonce la sortie de leur album dans un mois : on sait déjà que l’on craquera.

21h40, hoping things will go better next week

Le temps de remonter en terrasse pour un verre, Get The Blessing (photo) a déjà commencé à jouer, les changements de plateaux sont décidément très rapides. La salle est un peu moins remplie qu’en première partie, la douceur du resto à ciel ouvert en a retenu certains. On reste dans du jazz instrumental mais on change de génération, passant des jeunes Londoniens en jean basket à un quartet en costume porté par Clive Deamer et Jim Barr, batteur et bassiste de Portishead, le légendaire groupe de trip-hop de Bristol. Le public est totalement différent de la veille : un public de salle de jazz, attentif, transplanté à La Maroq’. Jim le bassiste dédie le morceau final à l’espoir que ça se passe mieux pour nous lors du scrutin présidentiel que pour les Britanniques avec le Brexit, “hoping things will go better next week”.

Jour 3. Dimanche 30 avril. 19h50, sunday rainy sunday

Hier remplie, la terrasse n’attire en ce dimanche pluvieux que les fumeurs (photo). On s’attarde avec du vin rouge au comptoir du restaurant, occasion d’entendre que la majorité du public est venue comme nous pour le groupe qui jouera en seconde partie, célèbre pour avoir inclus durant un temps le prodigieux saxophoniste Shabaka Hutchings. En attendant, on se chauffe lentement avec l'électro de Strobes, un trio guitare électrique - batterie - synthés. Dans le public on reconnaît quelques têtes présentes depuis trois soirs; pour une première édition les pass festival ont semble-t-il relativement bien fonctionné.

21h30, don’t make the fucking choice

La déflagration rythmique attendue impacte la salle sous la forme d’une fanfare punk composée de deux saxophonistes, d’un batteur et d’un percussionniste, d’une bassiste et d’un chanteur au charisme dément. Melt Yourself Down nous en met plein la vue et les oreilles, sautant dans la fosse, faisant gicler sur scène eau et bière. On connaissait la fièvre que dégage leur disque mais leur énergie en live est telle qu’elle fait jumper la salle dès le troisième titre joué, Dot to Dot. Le rythme punk est influencé d’accords des Balkans, ou de percu caribéennes dans The god of you où Kushal Gaya le chanteur (photo) répète “I’m your executioner”. Au public surchauffé il demande de ne pas se tromper de vote : “we don’t want her, don’t make the fucking choice”. Et c’est sur ce qui fut le concert le plus énorme que s’achève le festival.

Le bilan

Côté concerts

La confirmation
Binker & Moses, confirmation que ces très jeunes Londoniens sont à suivre dans leurs projets futurs.

La révélation
Melt Yourself Down, performance d’une énergie démente. On les revoit quand ?

Côté festival

On a aimé :
- La programmation dans laquelle se reflète Shabaka Hutchings même si le saxophoniste londonien surbooké était physiquement absent de cette édition.
- La salle de La Maroquinerie, le format trois soirées et le pass tarifaire mis en place.
- Le timing respecté.

On a moins aimé :
- Le manque de décor façon pub londonien annoncé sur le site web : on attend une vraie scénographie de festival pour la deuxième édition.

Conclusion

En mettant en avant la nouvelle scène britannique, London Jazz Calling exprime le caractère nébuleux et en perpétuel mouvement du jazz : le dénominateur commun des groupes programmés se trouve dans un rythme contagieux. Avec Londres comme foyer de créateurs de jazz mutant, on attend la deuxième édition avec impatience. God Bless ce nouveau festival !

Récit et photos par Alice Leclercq