On était à
Les 3 éléphants, amicalement nôtre

On attendait avec impatience et plaisir, après un an de pause, de revenir au festival des 3 Eléphants. Le souvenir charnel était en nous, la mémoire d’un événement à la programmation stimulante et une identité propre et accessible. Sitôt la semaine bouclée et les dossiers rangées, direction Laval.

Jour 1. 20h33, Jungle too soon before the night

Bon, ceci dit, ça commence mal. Après s’être enquillé la route sous la flotte, qui laissait présager une soirée dans les flaques, on arrive comme on le craignait un peu tard pour le premier concert attendu de la soirée, les Hollandais de Jungle By Night (photo), programmés dès 19h30. Ce n’est pas la première fois que le festival programme si tôt des artistes assez enthousiasmants (Dakha Brakha, Laetitia Sheriff…) et c’est assez frustrant de rater une bonne partie d’un des concerts potentiellement le plus intéressant de la soirée, faute de n’avoir pu partir assez tôt, faire la route, se garer et rejoindre le site du festival pour 19h30 tapantes. Bon allez, le peu dont on profite confirmera juste que c’était très vraisemblablement aussi bon que les autres fois où on les avait vus.

20h56, ambiance douchée

Le vendredi soir est toujours un peu plus calme que le samedi, et en ce début de soirée, c’est le moment idéal pour aller faire le plein d’éléphants, la monnaie interne au site principal du festival. A raison d’1,30€ l’éléphant, on peut acheter une bière pour deux pachydermes (un peu plus si on veut autre chose que de la Kro), et manger à partir d’un seul jeton (soupe ou croque monsieur sucré), pour aller jusqu’à des plats à 6 éléphants (rougail, tartes, fouées, ou bien saucisses frites…), avec un choix abordable en prix et raisonnablement varié. Pour le reste, on retrouve les fondamentaux du festival mayennais, avec un aménagement soigné et original du site, placé cette année sous le signe du cinéma. Pour le moment, ceci dit, le site est plutôt peu fréquenté, et l’ambiance “froid et pluie” n’y aide pas.

21h15, groove irlandais, temps irlandais

Alors que les stands alimentation ont changé de place par rapport à 2015, pour ce qui est des scènes le dispositif reste globalement le même, avec des concerts en alternance entre l’Arène (salle “en dur”) et le Patio (grand chapiteau), tandis qu’en électron libre la micro scène en bordure de site qu’est le “club grand géant” propose des concerts plus confidentiels mais, on le verra, pas moins furieux. C’est sous le Patio qu’on va retrouver le rappeur irlandais Rejjie Snow (photo), découvert aux dernières Transmusicales. Malheureusement, l’alchimie ne prend cette fois pas trop : son très fort, morceaux toujours construits un peu pareil, bref on attend un peu la suite.

22h12, le congre plutôt que le vieux squale

En l’occurrence, l’événement de la soirée semble pour certains la venue de Christophe, le seul l’unique, qui a manifestement attiré pléthore d’amateurs. Bien entouré de musiciens efficaces, porté par un son accrocheur dont on regrette juste qu’il laisse peu de place à la voix et à la compréhension des textes, le bonhomme semble en forme et content d’être là. Pour notre part, on ira se mouiller la couenne aux abords du Club Grand Géant, où les Marseillais de Conger ! Conger! dispensent un rock noisy et bien teigneux qui redonne un peu de jus à une soirée qui tarde à décoller.

 23h37, électrochoc brutal et salutaire

Bon, et puis voilà, quoi, les américains déboulent au Patio, les trois fous de Show Me The Body déroulent un set d’une demi heure tonitruante, concassée, bien brutale et complètement indescriptible. Un commentaire à notre droite? “C’est bourrin!”... Certes. Mais ça fait du bien, quelque part, même si on ne saura jamais ce que venait faire un banjo là dedans.

 00h24, recoin ciné

Il semblerait que l’autre artiste fort attendu de cette première soirée soit Møme, sensation juvénile touche à tout et fourre tout par la même occasion. Des morceaux interminables et inoffensifs, mais qui plaisent, manifestement. On préfère quitter (c’est dire !) la chaleur de l’Arène pour aller au calme se glisser sur les fauteuils du coin ciné (photo) qui diffuse sans le son des images des éditions précédentes ou des extraits de vieux films muets du style Buster Keaton.

01h19, lâchez la meute!

Paradoxalement, et sans qu’il faille y voir là un amour immodéré pour les sections cuivres, le deuxième groupe qu’on attendait après Jungle By Night est à l’autre extrémité horaire du programme. Il faut en effet attendre 1h pour que débarquent les Allemands charmants de la sémillante fanfare MEUTE (photo), là encore découverte aux dernières Trans. Cette fois-ci, pas de déception, ça groove de tous les côtés, sans en faire de trop, en prenant son temps, avec goût et légèreté. Du coup, la soirée se termine avec le sourire, malgré le froid, et on s’en retourne dans les rues lavalloises en se demandant à quoi ressemblera le 2e round de cette 20e édition.

 Jour 2. 17h36, fanfare au soleil, transat et sommeil

Le site qui accueille les hostilités nocturnes n’est qu’une des facettes du festival. La programmation se déploie aussi dans divers endroits de la ville, notamment par des spectacles souvent gratuits d’art de rue. Le jour privilégié pour cette partie de l’événement est le dimanche - mais ne pouvant être là demain - nous faisons en sorte d’arriver tôt en ce samedi après-midi, d’autant que cette fois le soleil est de mise. Au “village”, sans prétention, la fanfare fait sensation. Formée d’une vingtaine de musiciens issus du conservatoire de Laval, le JukeBox Orchestra offre à ce milieu de journée des airs de fête, et ça swingue bien, malgré le jeune âge de certains, c’est très en place et bien arrangé.

19h02, fantaisies de fin d’après-midi

Sur l’esplanade du Château-Neuf, la Compagnie “3 points de suspension” propose au public nombreux un spectacle aussi loufoque qu’inventif, le “voyage en bordure du bord du bout du monde”. Le public, très différent de la soirée de la veille, est familial, tranquille, souriant. On regagne cependant sans trop tarder le site des concerts du soir, car c’est pas tout ça, mais on commence à ressentir...

19h39, l’appel de la Buvette

Buvette. Derrière ce nom étonnant et qui ne paie pas de mine se cache un combo suisse de bonne facture qui, malgré le public encore peu nombreux en ce début de soirée, dispense avec une certaine classe un répertoire surfant avec légèreté sur une multitude d’influences musicales. Une entrée en matière agréable qu’accompagnent les premiers verres de bière.

20h45, emportés par Fishbach

Comme la veille, une des sensations attendues de la soirée était programmée dès 20h, mais cette fois on était dans les temps. Fishbach (photo),  repérée dans la petite scène recoin d’Art Rock l’année dernière avec sa personnalité déjà affirmée, révélation des dernières Trans et depuis portée aux nues par la presse musicale, se révèle effectivement très mûre, porteuse d’un répertoire et d’une expressivité qui percent dans le paysage habituel. Même les ados venus en masse très tôt pour MHD (qui jouera sur la même scène plus tard) se prennent au jeu et font bon accueil à cet ovni aux sonorités synthétiques très 80’s. Pas la grosse claque, mais un beau voyage quand même, que le contexte massif du festival ne garantissait pas.

22h33, ça se passe aussi loin des scènes

Comme les années précédentes, on est content de retrouver aux bars des équipes de bénévoles souriantes et motivées, disponibles et parfois bien délirantes, c’est quand même assez chouette comme marqueur de festival. Pourtant certain(e)s auront eu à la fin du week-end pas mal d’heures de service au compteur ! La nuit venue, l’heure avançant, à la faveur d’un temps plus clément que la veille, l’ambiance se fait plus évidemment festive, populeuse, et tout ça se passe aussi largement en dehors des concerts.

22h43, la fièvre MHD

Bon, quoi qu’on pense du bonhomme et du phénomène qui l’accompagne, c’est peu de dire que MHD (photo) était attendu. Une énorme ovation l’accueille et très manifestement beaucoup de (jeunes) gens ne sont venus que pour lui. Le jeune homme donne avec sourire et énergie à un public conquis d’avance. Honnêtement, on s’attendait à bien pire et cet afro trap qui mélange rap et rythmiques africaines fonctionne bien, même si tout ça est un peu répétitif et convenu. Ceci dit, il y avait du rock progressif sur la petite scène, alors on est quand même parti, vous comprenez.

23h08, Talisco sans Tabasco

Pour finir, on était assez curieux de voir ce que Talisco (photo) avait dans le ventre. En l’occurrence, bonne formule bien rodée, bonne implication du groupe mais la sauce était trop peu relevée pour vraiment affoler les papilles auditives. On en a donc pris une bonne rasade histoire de se faire un avis et de profiter de l’ambiance de ce coeur de soirée, et puis on s’est dit qu’on réécouterait ça tranquille à la maison le moment venu.

00h10, clap de fin

Un peu déçus de ne pas pouvoir rester pour goûter aux mix d’Acid Arab et Pouvoir Magique, nous rebroussons chemin, tandis que la fête bat son plein. Le lendemain, ça a dû être un beau dimanche ensoleillé dans les rues de la ville, sur les bords de l’eau, au pied des murailles, et le kidztival a probablement achevé d’en faire une journée familiale et populaire. Une belle manière pour clôturer une édition des 20 ans sans célébration particulière, juste à tracer son sillon sur ses mêmes fondamentaux.

Le Bilan

Côté concert

L’objet animal non répertoriable
Show Me The Body, monstrueux, teigneux, massif, court et serré.

La confirmation
Fishbach, une fois sortie de la chrysalide ça promet pour la suite.

Le groove cuivré imparable
Jungle By Night et Meute, enthousiasmants dans des contextes différents

La découverte
Conger! Conger!, protéiforme et à aller voir de plus près .

Côté festival

On a aimé :
- l'organisation bien huilée, l’efficacité, la jovialité et la disponibilité des bénévoles 
- la manière qu’a le festival de s’insérer dans la ville, de manière cohérente et diversifiée
- l’offre relativement diversifiée et abordable pour la restauration et la boisson
- la propreté du site 
- l’aménagement du site principal, aussi bien les installations visuelles que la configuration de l’espace, avec des “coins” pour se poser tranquille
- les concerts gratuits, les spectacles de rue et le “kidztival”

On a moins aimé :
- la programmation un ton en dessous des années précédentes (à notre goût, en tout cas) et la façon bizarre de l’organiser;
- le son trop fort à certains concerts (notamment au patio) et pas toujours très précis;
- la frustration de ne pas tout voir

Conclusion

On repart de Laval avec un sentiment mitigé : le mauvais temps du vendredi soir, et une programmation moins enivrante à nos yeux, nous donne l’impression d’une année plus capricieuse. Pour autant, quel plaisir de retrouver ce festival original et ambitieux, ouvert et chaleureux… ça fait du bien! Et cela donne envie de remettre ça l’année prochaine, car la formule qui a permis d’atteindre les deux décennies à l’événement repose sur un équilibre et des choix d’identité qui ne demandent qu’à se renouveler indéfiniment. Et suscitent une fidélité méritée.

Récit et photos de Matthieu Lebreton