On était à
Au Pont du Rock : la machine infernale

L'édition 2013 du festival morbihannais nous avait conquis par son équilibre dans la programmation et l'organisation bien huilée d'un événement de haute tenue. Le rendez-­vous estival de Malestroit, qui fêtait ses 25 ans, était donc attendu au tournant. Le dosage était diablement efficace et ces deux jours auront été un beau moment, une édition sans bémol ni réserve sous une identité rêche et ouverte.

Jour 1. 18h40, retour en terre connue

L'arrivée dans Malestroit, en cette fin d'après-­midi ensoleillée, respire déjà la joie des festivités à venir. Le camping, à l'entrée du site, ne connaît pas encore l'engorgement du soir, mais déjà convergent tranquillement des grappes de festivaliers venus planter leur week end au pays du gros son. Après une ouverture des portes retardée pour une raison qui restera inconnue du public, nous retrouvons un site conforme à sa configuration de l'an dernier : une vaste plaine triangulaire balisée par trois scènes d'un côté et, sur les deux autres, toutes les commodités (alignements de pompes à bière, bar à vins, restauration, toilettes, rockshop, stands préventions et…vente de tickets), bordées par des espaces conviviaux (bancs, sièges divers, tables couvertes) dans le style fait maison qui nous avait déjà bien plu l'année dernière.

19h04, le calme avant la tempête

Sous un beau soleil, nous nous posons tranquillement dans des lieux pour le moment vides et calmes. Quand on sait que ça ne va pas durer, on n'en apprécie que plus ce genre de moment. Ici, tout n'est pas strictement fonctionnel et il y a de la place pour se mettre dans un coin, discuter et profiter, quand d'autres se pressent déjà pour faire le plein de tickets ou commander leurs premières bières du week­end.

19h30, les Kings of Nothing ouvrent les hostilités

Dans le rôle des locaux de l'étape, les Kings of Nothing (photo) entrent d'emblée dans le vif du sujet avec un punk­rock rentre dedans mélodique et rêche, dans une veine Burning Heads et autres références de bon goût. Sous le chapiteau et devant un public pour le moment encore clairsemé, les gars de Malestroit enfoncent le premier clou d'une longue série à gros son, avec le sourire et le riff effilé. Bonne entrée en matière.

20h15, Triggerfinger fait parler la poudre

Le ton monte d'un cran avec l'arrivée du trio belge Triggerfinger (photo). Rythmiques concassées, riffs acérés, voix rauque et rugissante, on est dans du gros rock classieux, qui ne s'embarrasse pas de sophistication. Disto crade, grosse implication physique des trois bonhommes, attitude à l'avenant, une démonstration de force d'une efficacité tonitruante. Belle découverte de la soirée.

21h45, Yodelice en pro

La soirée ayant donc commencé sous le signe d'un rock puissant qui a donné ses lettres de noblesse au festival, ça continue dans la même veine avec un troisième combo vraiment rock à débarquer sur scène, en la personne de Yodelice (photo) et ses acolytes. Décor soigné, références musicales de bon goût, show très pro sans pour autant donner dans le racolage fastoche, le beau gosse s'en sort bien, convaincant malgré le côté lissé du set. Voix assurée et groove bien léché, Maxim Nucci a donné à voir et à entendre une prestation moins convenue que prévu et une identité à part entière.

22h37, Shantel enflamme la plaine

Alors que la soirée semble bien avoir pris une route sans fausse note, tout s'emballe encore d'un cran avec l'arrivée du gang débridé de Shantel (photo). Déjà vu et apprécié l'été dernier au Bout du Monde, l'Allemand dispense une heure explosive de fête ininterrompue, le public se lâche, danse, crie. La formule ultra efficace remplit pleinement son office de cœur joyeux de la soirée, sans surprise.

22h55, la pause reggea

Pendant ce temps là, sous le chapiteau qui décidément sera dévolu en grande partie aux groupes « de genre » pendant ces deux jours, nous découvrons The Skints (photo). Ils succèdent à Buster Shuffle dans le rôle du « groupe de reggae anglais à découvrir ». Et, de fait, comme l'année précédente, on découvre un groupe qui brasse un tas de références élégantes tout en déployant une identité propre, avec une belle énergie, un swing bien roots et des compositions riches et généreuses.

23h30, les retrouvailles

Quel bonheur de retrouver ces gars sur scène, après tant de temps. Pour autant, on pouvait craindre le syndrome de la reformation tardive et un peu fatiguée. Il n'en a rien été. FFF (photo), après plus de 10 ans d'inactivité, reste impérial. A voir débarquer Yarol, Marco, Niktus et les autres, on se rend compte tout de suite que ça va faire mal, comme aux grandes heures. En pleine forme, les gars donnent à voir et à entendre un set de gros fonck échevelé, généreux, énergique, débordant de groove suave et prolifique. Bien entendu, tous les hits sont passés en revue, notamment ceux du mythique Free For Fever, mais quel pied ! On peut regretter un son un peu trop massif (qui rend inaudible par moments la section cuivre, par exemple), mais n'empêche. La Fédération n'a pas démérité, emportant le morceau avec classe et une vraie joie des retrouvailles. Merci, les gars.

00h45, entre Deluxe et Tagada Jones

Après ça, nous avions le choix entre le barnum débridé et généreux des Deluxe ou le gros rock qui tâche 20 ans d'âge des inoxydables Tagada Jones. Allant de l'un à l'autre, nous avons terminé la première soirée en s'adonnant à un autre des plaisirs de festival, la discussion autour d'un verre, laissant finalement filer l'opportunité de voir ce qu'Etienne de Crécy et son Superdiscount 3 avaient à nous dire. Tard, bien tard, longeant les allées de la ville qui ne dort jamais (le camping du festival...), nous nous sommes résignés à aller dormir, au terme d'une soirée dont la fluidité et la tranquille montée en puissance avaient un goût de dosage presque parfait.

Jour 2. 17h20, parenthèse estivale

Autant dire que Malestroit s'est tranquillement réveillé au lendemain de cette première nuit, à un rythme très estival... Des jeunes braillards allant se baigner sur les bords du canal, investissant le bar du centre, dévalisant la boulangerie comme manifestement chaque année, squattant les pelouses des restes de l'abbaye ou juste prolongeant au camping dans la surpopulation joyeuse qui n'en finit jamais de trouver de nouvelles façons de faire n'importe quoi, les gens ont profité d'une parenthèse bienvenue avant la reprise des hostilités en fin d'après midi. Le tout, sous une chaleur écrasante, quand l'édition précédente, au même moment, craignait pour sa soirée sous des trombes d'eau.

17h55, reprise dans la douceur de The Seasons

Les Brestois de The Seasons (photo) ont relancé la machine, beaucoup plus tendrement que leurs prédécesseurs de la veille. Avec une pop folk bien troussée, des voix et des arrangements tout en nuances, le groupe a gentiment accueilli le public en toute simplicité, et ledit public le lui a bien rendu.

18h57, du punk rafraichissant

Bien entendu, la douceur ne pouvait pas durer indéfiniment. On découvre toute la diversité de la Bretagne, passant de Brest à Nantes avec les Von Pariahs (photo). Et là, belle claque. Du très bon punk rock, un chanteur fou, une bande de branleurs magnifiques au talent palpable, rugueux, qui va chercher ses modèles loin des poncifs du genre. C'est rafraîchissant, c'est séduisant et sans concession à la fois, bref un paquet de qualités que d'autres n'auront jamais et que ceux là ont d'emblée.

20h14, grandes et petites histoires de M. Fersen

Retour à des choses beaucoup plus civilisées et nettement moins brutales. Mais il n'est pas une seule façon de faire bouger les têtes. Servi par des textes ciselés et des mélodies imparables, Thomas Fersen (photo) a l'art mutin de séduire l'air de rien. Pas vu sur scène depuis un moment, nous le découvrons plus décontracté, léger, dansant ... Le problème pour un artiste qui a autant de répertoire attendu par le public pour un set incompressible d'une heure, c'est d'échapper au piège du jukebox. Exercice difficile mais assumé par Monsieur Fersen, qui dispensera sans états d'âme et, pour autant, avec une vraie fraîcheur que lui permettent des compositions d'une qualité indéniable, des classiques attendus et célébrés par une foule déjà massive en ce début de soirée et manifestement ravie d'entonner ou d'entendre les petites histoires faussement anodines d'un artiste qui donne à savourer sans la ramener.

21h05, Anna Calvi à la peine

Avec un répertoire pas franchement débordant de rock festif qui marche tellement en festival, l'anglaise Anna Calvi (photo) avait néanmoins pour elle, sur le papier et sur disque, des compositions troublantes et revêches. Mais, quand d'autres artistes, tout autant le dos tourné à la facilité première du tchak­tchak­boum­boum qui fait le bonheur du festivalier aviné, savent sidérer, toucher, aller chercher les tripes du public par leur démarche et leur authenticité, la londonienne nous aura laissé froid et dubitatif. Des moments de grâce pour trop de moments à côté. Du coup, dans une plaine qui commençait maintenant à devenir vraiment populeuse, nous sommes allés musarder du côté du chapiteau...

21h20, rockab' albigeois de Billy Hornett

...où jouait un power trio qui, lui, balançait sans se poser de questions inutiles toute l'énergie généreuse d'un rock'n'roll old school des plus réjouissants. Exhortant la foule à se lâcher et à danser le rock à bride abattue (quitte à traiter les gens d'Aveyronnais, ce qui, quand même, est un brin injuste...), les Billy Hornett (photo) ont joué avec la banane jusqu'aux oreilles, l'attitude dans le pantalon et les pieds qui ne se posent jamais vraiment à terre.

22h05, l'explosion Skip the Use

Quiconque se trouvait comme nous dans les premiers rangs du début de Skip The Use (photo) attestera que c'était la sensation attendue de la soirée, notamment des plus jeunes. Et on ne saurait nier l'impressionnante performance des Lillois, notamment de Matt Bastards, d'une présence sidérante, d'une énergie fulgurante. Le propos est bien en place, l'attitude travaillée, la machine à groover un peu trop calibrée radio en mode Shaka Ponk mais diablement efficace, et la générosité du groupe est plus que convaincante. Le public, du reste, était au diapason, déchaîné et tout à la joie de partager un pur moment de rock survitaminé.

23h22, de Blitz à Griefjoy

Difficile d'enchaîner après un tel plébiscite. Pourtant, le pari est gagné haut la main par Blitz the Ambassador, « Gahnéen de Brooklyn » distille un rap pêchu mâtiné d'influences africaines, de jazz, de funk, servi par un groupe très en place. Très convaincant, très surprenant, très apprécié. La suite c'est toujours sous le chapiteau de fond de cour, où le groupe Griefjoy (photo) met le feu. Mélangeant d'innombrables influences pop, électro, rock, hip­hop, le groupe emporte avec lui toute une foule séduite par la fraîcheur et l'implication qui lui est offerte. C'est le moment de la soirée où il devient difficile de faire des choix entre les scènes, et tentant de juste retourner boire une bière et de faire des rencontres improbables.

00h25, la ferveur IAM

Il devient mainteant difficile de se déplacer dans la plaine, tant il y a de monde. Et quand les marseillais d'IAM (photo) semblent sur le point d'arriver sur scène, l'attente est très manifeste. Ce groupe qui a marqué des générations bien au­ delà des frontières de son style musical, aura ce soir tout loisir de constater à quel point on ne sème pas toujours en vain par un propos cohérent et un travail de fond. Récoltant les fruits d'une démarche exigeante, à l'humanité si intelligente, IAM vit très vite un concert en forme de célébration collective. Le seul regret y est lié : presque tout le trop court set d'une heure sera avalé par les hits majoritairement issus du somptueux album L'école du micro d'argent, repris en chœur par une foule déchaînée et joyeuse, tous âges confondus. On en aurait aimé plus. Le contexte du festival ne le permettait pas.

01h40, Nasser en cerise sur le gâteau

Sonnés par les blockbusters du samedi comme par les belles découvertes qui s'enchaînent, , qu'attendre de la fin de soirée ? Nasser (photo). Désolé pour les gars de Saint-Lô, mais pour les avoir vus il y a quelques années, il était hors de question de rater le trio ce soir. Et ça n'a pas manqué de faire mouche. Cet improbable mélange de ces autres marseillais vous happe et ne vous lâche pas. Rock, électro, peu importe les ingrédients, ça vous saisit par la couenne et c'est complètement irrésistible. Nasser distille une musique étrangement organique, voluptueuse, hors cadre. C'était le bon clap de fin pour une soirée bien remplie, diverse et enjouée.

Côté scène

La claque
Nasser, plus que jamais l'ovni suave à retenir.

Le show festif
Shantel, une valeur sûre dont on ne se lasse pas.

La bête de scène
Skip The Use, un niveau d'énergie au­-dessus de tout le monde .

La découverte
Triggerfinger et Von Pariahs, deux manières différentes de manier le riff

Le bon retour
FFF, et son fonck bestial.

La déception
Anna Calvi, pas en phase avec la soirée.

Côté festival

On a aimé :

- le dosage et la répartition de la programmation, qui gardent au festival toute sa personnalité, jonglant entre choix aiguisés et blockbusters consensuels pour une cohérence d'ensemble des plus rares ;
- l'organisation impeccable, le professionnalisme et la disponibilité tant du côté des bénévoles que de la sécu ;
-­ l'aménagement du site qui garde toute sa place à la convivialité.

On a moins aimé :

- la taille des ecocups en diminution

Conclusion

Clairement à la hauteur de ce qu'on était en droit d'attendre de lui, le 25ème Pont du Rock restera comme un point d'équilibre improbable, sans accroc, avec un public nombreux et un soleil éclatant au rendez-­vous. Preuve s'il en est que l'équipe qui bosse à la préparation et à la réalisation de l'événement garde le cap en grandissant à pas mesuré. Une vraie preuve de bonne santé qui donne confiance et envie pour les éditions à venir.

Récit et photos : Matthieu Lebreton

 

Redécouvrez l’édition 2013 : programmatin féline à Malestroit