On était à
Art Rock et ses mille et une couleurs

Après une édition 2015 placée sous le signe de la mode, Art Rock revêtait cette année des habits tout aussi colorés en arborant comme fil rouge la peinture sous toutes ses formes. Bigarrée, haute en couleurs, avec une palette large et nuancée, la programmation de ce 33e festival a fait flamboyer la cité de Saint-Brieuc trois jours durant.

Jour 1. 18h37, Jain et Blathazar en apéritif

C’est sous un ciel incertain et avec des températures très douces que nous avons rejoint Saint-Brieuc, serpentant dans les petites rues du centre pour trouver une place, puis rejoindre la longue file des festivaliers cherchant à rejoindre à temps l’espace principal du festival, en plein coeur de la ville. C’est là que Jain (photo) a ouvert les hostilités avec sourire et pêche, même si démarrer en fin d’après-midi et en solo n’aidait pas sur la grande scène. N’empêche, forte de son statut de petite sensation du moment, la demoiselle a reçu un bel accueil. Comme, du reste, les Belges de Balthazar, très à l’aise et bien rôdés au grand barnum des festivals. Une belle entrée en matière qui ne demandait qu’à gagner en fièvre.

21h12, Chill Bump enflamme la scène B

Nous commençons par arpenter les lieux, distinguer les petits changements de déco, en faisant vite le plein de jetons boisson et de tickets repas avant l’affluence du soir. Une bière plus tard, nous allons faire un tour sur la petite scène, dévolue à des artistes moins mainstream, le plus souvent en lien avec l’électro ou le hip-hop. Après les locaux de Colorado, ce sont les tourangeaux de Chill Bump de prendre possession de cette scène B, en l’occurrence pour un set qui enthousiasme le public. Le rap anglophone du duo, groovy et bien foutu, marrant par moments, bien trippant à d’autres, fait mouche, bonne première découverte du week-end.

21h20, The Shoes c’est le pied

La nuit est cette fois bien tombée. Retour à la grosse scène pour la venue manifestement attendue d’un autre duo, The Shoes (photo). Musicalement pas toujours époustouflant, voire un peu facile, le show reste ultra dansant et par là même efficace, ça saute et ça balance la patte à tout va dans le public. Le tout est servi par une illustration video très accrocheuse, faussement bricolée et cheap à partir du grand foutoir trouvé sur internet, jouant avec astuce et le sens du clin d’oeil, au point qu’on se demande si ce n’est pas ce que les gens auront retenu le plus.

22h14, face à la faim, cap sur Rock’n’Toques

Sortant pour un temps de la zone des deux scènes principales, nous rejoignons pour cette première soirée la place de la poste, où se trouve notamment le vaste espace couvert accueillant les concerts des artistes du métro et la restauration du dispositif Rock’n Toques. Quand un festival prend place, comme Art Rock, directement dans la ville, la question de l’offre de restauration et de boissons est particulière, chacun pouvant s’abreuver et se nourrir dans tous les bars et restaurants de la ville ou devant les stands éphémères installés pour le festival. Ce dernier a opté pour une approche originale, celle de demander à des restaurateurs, cavistes, patissiers, traiteurs, crêpiers de passer en mode streetfood et de proposer une vingtaine de plats originaux pour un prix raisonnable. On peut ainsi, plutôt qu’un kebab à 6€, consentir 2€ de plus pour une expérience culinaire variée et différente chaque soir. Sans oublier les vins, avec en ce qui nous concerne, une mention particulière à un petit Fitou et un Coteaux du Layon (3€ le verre) bien savoureux.

23h25, retrouvailles chaleureuses avec Louise

C’est peu dire que Louise Attaque (photo) était attendu. Point d’orgue de la soirée pour beaucoup, ce concert retrouvailles avec un groupe qui a beaucoup marqué son époque était loin d’être décevant. Certes, ceux qui déjà à l’époque se plaignaient d’une voix insupportable, de paroles faciles ou d’un violoniste médiocre n’auront pas trouvé là de quoi se réconcilier. Mais le groupe a montré une belle énergie et, à certains égards comme les Innocents par exemple, sa capacité à ne pas simplement balancer les tubes d’avant, mais à montrer ce qu’il est ici et maintenant, avec ce que le parcours de chacun entre temps a pu redonner au collectif. Concert sans grande surprise donc, mais qui aura comblé les attentes de tous les fans venus célébrer ce retour. Et puis bon, de toutes façonsfaites vous une raison parce que vous allez en bouffer cet été, du Louise Attaque...

01h14, les couleurs crash de Bombay

Nous gardions un bon souvenir des fins de soirées au forum de La Passerelle, et cette année encore ce sera le lieu de concerts moins énormes, dans une ambiance plus chaleureuse et humaine, sans pour autant que les déferlements de décibels manquent à l’appel. C’est le cas notamment avec les Hollandais de Bombay, trio ébouriffant d’énergie rock. Pas de grosse claque pour cette première soirée, donc, mais rien de tiède non plus. De quoi remettre ça avec envie le lendemain.

Jour 2. 15h12, mise à Nus

Pour les non Rennais de moins de 50 ans, le nom des Nus (photo) évoquera, au mieux, la reprise fulgurante du titre “Johnny Colère” sur l’album Tostaky de Noir Désir. Il y avait des amateurs de cette époque dans la salle, mais globalement pour la plupart des gens ce début de samedi après-midi au forum ressemblait à des retrouvailles étranges avec un groupe qu’on n’a jamais connu. A la faveur d’une reformation et d’un nouveau répertoire avec un disque tout frais (“le 2e en 35 ans, il paraît que c’est un record…” comme le dira le chanteur Christian Dargelos), Les Nus font donc à nouveau parler d’eux. Et donnent ici un concert excellent, où prédomine de façon paradoxale à la fois l’impression d’une écriture rock comme on n’en fait plus et celle d’une énergie et d’une présence atemporelles. On ne sait pas comment était le groupe il y a 30 ans, mais là il est bon, enveloppant, sensuel, puissant, les musiciens sont ensemble et ont un plaisir très visible à jouer. Très bon moment, merci les gars.

16h40, Jambinai, déflagrations coréennes au petit théâtre

Découvert en trio sous le petit chapiteau de Malestroit l’été dernier, Jambinai (photo) est revenu en Bretagne à 5, avec un deuxième album à faire valoir sous les ors surrannés du petit Théâtre de la Passerelle. Instruments traditionnels coréens convolant avec la distorsion et les déferlements rythmiques d’un batteur que n’aurait pas renié le Hellfest, le groupe offre une belle cohésion et une maturité affirmée, toujours dans l’oscillation entre moments de tension croissante et explosions soniques. Un excellent concert clôturé par une standing ovation et des musiciens radieux.

18h13, Catfish et les artistes du métro

Baguenaudant en attendant le début des concerts sur la grande scène, nous allons naturellement nous poser sous le chapiteau qui fait face à la Passerelle, où se produisent au moins deux fois dans le weekend les “artistes du métro”. Catfish, ce sont deux Jurassiens qui ne jouent pas du tout dans le métro, mais offrent un rock très racé, cinglant, à la Kills ou White Stripes, bref avec du relief, du rèche et de l’âme. Très bon concert, comme sera le lendemain celui du jeune trio In The Can, bel exemple de ces concerts gratuits et de qualité qu’offrent le festival et qui drainent un public curieux et festif.

20h26, Faada Freddy impérial sur la grande scène

Après un passage d’Odezenne très bien accueilli par le public, la grâce prend possession de la grande scène avec Faada Freddy (photo) et ses acolytes. Après une découverte éberluée dans le cadre intimiste du festival Mythos l’an dernier, nous étions curieux de le voir sur une grande scène, exercice forcément plus compliqué, qui plus est à cette heure précoce de la soirée. Force est de reconnaître que d’emblée c’est magique, puissant et subtil, ça vibre, c’est généreux et dansant, bref ça marche du feu de dieu. C’est avec un sentiment d’arrachement que nous quittons les lieux en plein milieu du concert. Pour aller voir un spectacle de danse contemporaine, en plus, merci bien.

22h43, parenthèse incroyable de danse

C'est pourtant un moment assez énorme qui nous attend avec “the roots”, création du chorégraphe Kader Attou, dans le grand Théâtre. Dans un décor minimaliste et sur des musiques tant classiques qu’électroniques ou hip-hop, une dizaine de danseurs incarne pendant une heure et demi une succession de tableaux sans paroles sur un rythme effréné, avec grâce et une incroyable virtuosité. Le public est complètement saisi, en redemande. Superbe pièce au confluent de multiples influences qui rappelle qu’Art Rock est un festival ouvert à tous les arts, visuels, musicaux ou gestuels.

00h55, rendez-vous au forum avec Satan

Après cela, une pause de décompression s’impose, où on laisse de côté Joey Starr et son Carribean Dandy, ou encore le barnum de Caravan Palace. Pour terminer cette seconde soirée comme il faut, on opte plutôt pour l’ambiance surchauffée du forum. Nous arrivons à la fin du concert de Bagarre, qui a visiblement été salement quelque chose. Tant pis, on aura raté ça. Mais ensuite, putain quelle baffe, JC Satan (photo) envoie un tonnerre sonique de tous les diables, c’est rêche, ça crache, ça éructe, le son est énorme et ça sent fort la transe rock… Un concert énorme. Allez, étourdis, un peu, mais on en garde pour demain.  

Jour 3. 21h10, avec quelques heures de retard

Le dimanche commence par des rendez-vous manqués. Impossible de revenir avant le soir à Saint-Brieuc, on aura donc raté, outre les touaregs Imarhan et Oxmo Puccino,  le spectacle de la compagnie Artonik, inspirée de la fête indienne des couleurs, Holi. On croisera d’ailleurs toute la soirée des gens recouverts de couleurs vives, dans les cheveux, le visage, plein le sourire et les yeux. Bon, ça devait vraiment être quelque chose, dans le centre ville, cet après-midi. En plus d’avoir manqué ça, nous arrivons aussi trop tard pour les concerts de Rover et de Jeanne Added, qui étaient aux dires des présents très bon. On veut bien le croire, mais en grommelant. Nous arrivons pour le passage de Feu! Chatterton (photo), coqueluche du moment à l’identité si prononcée. Beau concert d’un jeune groupe singulièrement à l’aise, parfois un peu agaçant avec cette verve poseuse et fantasque qui s’écoute un peu trop.

22h05, Obey, de la rue au musée

Entre les concerts, ou avant, il était possible d’aller à la rencontre des peintures urbaines. Outre l’expo de pochette de vinyles comportant des oeuvres de peintres et celle de Tati Mouzo dans la galerie de la Passerelle, il était possible de voir celle de MadC, street artist allemande auteure de l’affiche du festival, mais aussi et surtout celle d’Obey au musée de Saint-Brieuc. Pas moins de 200 lithographies de Shepard Fairey, dit Obey, étaient rassemblées sur les hauts et larges murs du musée. L’approche graphique très léchée, la déclinaison sans cesse inventive d’une même identité, l’appropriation des codes rock, des esthétiques publicitaires des années 30 ou 50, du psychédélisme et de tas d’autres formes d’art graphique élégamment digérées composaient une expo magnifique, complétée par un film documentaire. A noter, tous ces lieux d’exposition étaient à moins de 5 mn à pied du site principal. Chapeau l’ouverture culturelle entre les différents champs artistiques.

00h25, gros calibres inégaux

Pour cette dernière soirée, la grande scène proposait ensuite la venue de Two Door Cinema Club. Grand concert spectaculaire à l’anglo-saxonne comme l’était celui de Placebo l’an dernier, la prestation des Irlandais était à l’image de leur musique: accrocheuse, lyrique, emphatique; manquait quand même au milieu de tous ces tubes pop dispensés très professionnellement un petit supplément d’âme et de charisme. Le genre de présence dont ont fait preuve en revanche les jeunes furieux d’Hyphen Hyphen. Pas forcément notre tasse de thé, mais on est obligé de reconnaître qu’ils envoyaient, pleins d’envie, de joie de jouer, portés par un public, il faut le dire, complètement acquis à la cause avant même le début du concert; ça aide.

01h31, un dernier rendez-vous manqué

Pour terminer le festival, on commençait au forum avec les anglais de Pumarosa, belle découverte. Le concert de Minuit, un peu convenu, a malgré tout beaucoup plu. Comme disait très justement quelqu’un en partant : “C’est dommage, parce que c’est pas mal… mais c’est pas “bien””. Nous étions avant tout préssés de retrouver la démesure pop de Kadebostany et l’énorme présence volcanique de sa chanteuse Amina. Avec retard tout se met en place, et on découvre un nouveau décor à base de tapis muraux à la gloire du Kadebostan, mais aussi des changements manifestes dans l’instrumentarium du groupe. Quand enfin ça commence, c’est le choc. Où est Amina? Qui est ce mannequin blond en talons qui griffe sa guitare de ses ongles manucurés en feulant dans un micro? Le temps de comprendre qu’il y a décidément eu changement de chanteuse, on prend aussi acte que beaucoup de choses tenaient à la personnalité et la présence fiévreuse de cette dernière. Sans elle, tout fonctionne un peu à vide et perd de son intérêt. Pas que la nouvelle recrue démérite, mais comment se satisfaire d’une Barbie proprette quand on attendait une petite punkette à la voix rauque et soul? Décontenancés, déçus, nous quittons les lieux sans demander notre reste.

Le Bilan

Côté concert

La découverte
J.C. Satan, incantatoires, hypnotiques

La belle maturaiton
Les Nus, découverte millésimée 30 ans d’âge.

La claque
Jambinai, grosse puissance de feu désormais.

Les retrouvailles pas décevantes
Faada Freddy toujours au-dessus du lot.

Les “petits” à surveiller de près
Chill Bump, Bombay et Fishbach, dans des registres très différents.

La mauvaise surprise
Kadebostany, plus la même saveur sans Amina 

Côté festival

On a aimé :
- Le foisonnement et la diversité de la programmation, ça tapait vraiment tous azimuts;
- L’organisation du festival qui lui permet de garder son côté populaire, en pleine ville (même sans payer on est au plus près du festival et on peut profiter de plein de choses);
- L’approche intelligente et complémentaire du centre ville en matière de restauration;
- La multiplicité des entrées vers des champs artistiques très divers, avec une belle cohérence d’ensemble, sans lourdeur

On n'a moins aimé :
- L
’engorgement à l’entrée tous les soirs;
- L
e trop petit nombre de lieux où acheter des tickets et jetons, en soirée c’était infernal
- L
e prix unique des boissons (2,5€ au mieux autant pour une bière que pour un coca) et le fait qu’il n’y ait qu’une seule bière proposée

Conclusion

Chacun aura nécessairement ses joies, ses découvertes et ses déceptions, très subjectives, sur cette édition et ce qu’il en attendait. Malgré tout, avec un peu d’honnêteté on est obligé de reconnaître qu’avec la profusion d’offres et la qualité, la diversité de celles-ci, il était impossible de ne pas s’enthousiasmer à un moment ou à un autre, de ne pas profiter de l’ambiance simple et festive qui s’empare le temps d’un week-end de la capitale costarmoricaine. Festival imparable dans le paysage printanier breton, Art Rock, d’année en année, ne déçoit pas. Il convoque têtes d’affiches et découvertes, concerts et autres formes d’expression artistique, avec une grande pertinence, un vrai souci d’accessibilité et une soif intacte de faire partager. A l’année prochaine!